Le prisme de la mémoire

Récemment, je mentionnais dans une de mes listes du mercredi un livre intitulé « The art of making memories » de l’auteur danois Meik Viking. Sa lecture m’a fait réfléchir aux manières très différentes dont je vis une expérience et dont je me la remémore par la suite.

Premier exemple concret: notre voyage à Hong Kong de septembre 2018. Cette destination, Chouchou et moi en rêvions tous les deux depuis des années – quoi que pour des raisons très différentes. J’avais réservé les billets d’avion (les plus chers de mon existence jusque là) et les hôtels pas moins de six mois à l’avance. Quelques jours avant notre départ, un typhon avait frappé la ville et provoqué la fermeture de l’aéroport, me faisant craindre une annulation de dernière minute. C’est dire si j’étais soulagée en arrivant enfin sur place.

J’ai vite déchanté. La chaleur accablante (et le contraste de température ahurissant entre l’extérieur et les centres commerciaux à la climatisation glaciale). Le grouillement humain, que j’avais bien supporté lors de mes trois séjours à Tokyo mais qui m’a rendue complètement maboule cette fois-là. L’absence totale de notion d’espace personnel. Le décalage important entre mon imagination et la réalité. Le fait que contrairement à ce qu’on m’avait assuré, non, tout le monde ne parlait pas un minimum d’anglais dans les lieux touristiques. Les normes d’hygiène, euh, très différentes de ce à quoi j’étais habituée.

J’étais au bord du meltdown trois fois par jour en moyenne. Vraiment, je me suis mordu les doigts d’avoir investi autant d’argent et d’énergie dans l’organisation de ce voyage.

Mais à peine six mois après notre retour, je me souvenais surtout des aspects positifs. Les festins de dim sum ridiculement bon marché. La vue incroyable depuis Victoria Peak. Les traversées magiques de la baie en Star Ferry, après la tombée de la nuit. Le fabuleux repas végétarien dans le restaurant du couvent de Chi Lin. Notre course folle dans Nathan Road quand on a entendu éclater les premiers feux d’artifice au-dessus du port. 5 ans plus tard, je peux jurer que je ne remettrai jamais les pieds à Hong Kong, mais je sais aussi que malgré les difficultés rencontrées sur le moment, je suis sincèrement contente d’avoir fait ce voyage.

Il m’est arrivé quelque chose de similaire cet été, quand nous sommes allés au Grand Est Mondial Air Balloons près de Metz. Je rêve depuis toujours de faire un baptême de vol en montgolfière, et jusqu’ici, mes plans avaient toujours été mis en échec. Quand j’ai compris que ça ne serait pas encore pour cette fois, j’ai d’abord assez bien contenu ma déception: je savais que je m’y étais prise beaucoup trop tard pour avoir des places, et j’étais déjà contente que la météo nous permette d’assister à un envol de masse.

Mais une fois en bord de piste, j’ai été mise à rude épreuve. La foule, le bruit, la longue attente debout… Chouchou avait choisi le meilleur endroit pour faire le type de photos qu’il avait en tête – notamment, des plans rapprochés de la préparation des ballons -, et ni cet endroit ni ce type de photos ne collaient avec mes propres envies. Moi, je m’imaginais peinarde au bord d’un champ de tournesols à deux ou trois kilomètres de là pour admirer la nuée de montgolfières dans son ensemble. Et quand elles se sont mises à décoller les unes après les autres, j’ai été saisie à la gorge par une tristesse horrible de ne pas me trouver à bord de l’une d’elles. Ne parlons même pas de la longue et cauchemardesque errance nocturne qui a séparé notre départ du site de notre arrivée à l’hôtel où nous devions passer la nuit.

Le lendemain matin, qui était un jeudi, la météo n’a pas permis aux ballons de décoller, et nous avons pris directement le chemin du retour à Bruxelles. J’ai surveillé les actualités du GEMAB durant les jours suivants: aucun envol n’a pu avoir lieu jusqu’au samedi soir. Et à ce stade, il ne restait plus qu’une cinquantaine de montgolfières. Alors qu’elles étaient 500 le mercredi soir, pour ce qui fut au final le plus gros et le plus magnifique envol de masse de l’édition 2023. Celui auquel nous avions justement assisté.

A partir de là, ma vision de l’événement a basculé de « C’était hyper pénible, frustrant et décevant » à « Quelle chance on a eue malgré tout! ». Et quand j’y repense à présent, c’est sous un jour très positif. Chouchou a fait de belles photos avec le nouvel objectif acheté peu de temps auparavant; on a repéré les lieux pour la prochaine édition et on sait qu’il faudra réserver les baptêmes longtemps à l’avance; je continue à suivre sur les réseaux sociaux les Sky Amazons, l’équipe lituanienne entièrement féminine qu’on a vue se préparer juste face à nous, et je les trouve super inspirantes.

La conclusion, c’est que je devrais peut-être cesser de craindre les expériences désagréables. Parce que parfois, le prisme de la mémoire en fait les souvenirs les plus mémorables et les plus épiques de tous. Des souvenirs précieux bien plus durables que l’inconfort enduré sur le coup.

1 réflexion sur “Le prisme de la mémoire”

  1. Je vois très bien ce que tu veux dire… J’ai voyagé avec mes kids et mon conjoint qui avait ‘ tooouuuuut organisé’. Super pour eux mais moi, qui aime parfois me poser sur une terrasse et regarder les gens passer ou avoir la tête dans les nuages. Je me suis sentie embarquée dans un truc où à certains moments j’avais l’impression d’être dans un circuit touristique avec des horaires à suivre. Bref tout était nickel, mais parfois je me sentais en décalage. Au final, j’ai dû lâcher prise par rapport à ce que je ressentais sur le moment en me disant : ok , c’est pas vraiment comme je veux à certains moments mais j’ai la chance d’être là avec eux et de voyager . Donc; « souffle, profite et tout ira bien ». çà m’a beaucoup aidé.

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