Depuis quelques années, je m’applique à déconstruire les injonctions dont la société accable les femmes en matière d’apparence. Pour le reste, j’avais déjà réussi à esquiver la maternité censée m’épanouir plus que toute autre chose, le modèle de vie conjugale traditionnel et le principe d’une carrière subalterne à celle de mon conjoint. Mais sur l’apparence, franchement, je m’étais laissée endoctriner sans broncher.
Depuis la puberté, je traquais le poil dans les moindres recoins de mon anatomie. J’avais passé toute ma vie d’ado puis d’adulte à lutter contre mon poids – sans trop de succès, étant donnés ma profession sédentaire, ma détestation croissante de toute forme d’exercice et mon amour de la bonne bouffe. Je voyais se profiler la cinquantaine et ses transformations physiques avec horreur. Dieu merci, j’avais suffisamment de capacités intellectuelles pour que mon estime de moi ne dépende pas de mon quotient baisabilité, mais quand même, je me prenais beaucoup la tête pour pas grand-chose. Comme nous toutes, je présume.
J’ai commencé par me convaincre que mes poils n’étaient pas plus dégoûtants que ceux d’un homme, et par ne plus y toucher pendant des mois d’affilée. Certes, j’ai été un peu (beaucoup) aidée par le fait que j’en ai très peu sous les bras, que mes leggings et mes jupes longues planquent mes mollets en toute saison et que mon amoureux est plus préoccupé par sa propre pilosité que par la mienne.
Sur la question du poids, le succès est plus mitigé. Je ne me suis pas pesée depuis presque deux ans, et quand le 40 a commencé à me serrer, je suis passée au 42 plutôt que de me boudiner dans mes fringues. J’essaie d’avoir une alimentation équilibrée et de bouger un minimum; pour le reste, je refuse de consacrer plus de temps, d’énergie et d’argent que nécessaire à la poursuite d’une silhouette quasi-inaccessible pour moi. Mais je reste persuadée que je serais en meilleure santé avec 15 kilos de moins (ne serait-ce que parce que mes articulations auraient moins à porter), et il m’arrive encore d’avoir envie de pleurer quand je me vois sur certaines photos peu flatteuses. Ce conditionnement-là est sans doute le mieux ancré chez moi, et je pense que je ne m’en débarrasserai jamais tout à fait.
Et puis, il y a ce foutu jeunisme qui de toutes les injonctions faites aux femmes est sans doute la moins contestée alors que c’est aussi la plus cruelle, la plus imbécile et la plus vaine. La jeunesse n’est pas une vertu morale, ni la vieillesse un défaut de caractère. Toutes deux sont de simples états biologiques transitoires et appelés – pour les plus chanceux – à se succéder. Nul.le ne saurait arrêter la marche du temps. On peut dépenser des fortunes et prendre des risques sur une table d’opération pour en gommer les signes, mais ce n’est que reculer pour mieux sauter. Le vieillissement est aussi inéluctable que la mort. Et bien qu’il ait clairement des inconvénients, on ne valorise pas assez ses avantages.
Oui, les chairs s’affaissent, les articulations se raidissent et le champ des possibles rétrécit. Mais l’esprit devient plus philosophe et plus serein; la sagesse et les connaissances se multiplient. Avec un peu de chance, on s’est trouvé.e et on est enfin à l’aise avec soi-même. On a pu construire une famille et/ou une carrière, acquérir une certaine stabilité financière. On a accumulé des trésors de souvenirs. On se soucie moins de l’opinion d’autrui. On cesse de se tourmenter quant aux choix à faire, et à la place, on profite du voyage.
Alors plutôt que d’entamer une lutte perdue d’avance, j’ai décidé d’embrasser ma cinquantaine. Je ne me maquillais déjà plus depuis des années; j’ai carrément cessé de me teindre les cheveux pour laisser mon poivre et sel désormais naturel prendre le dessus. Non, je n’adore pas ressembler à Edouard Balladur de profil, mais au final, je passe très peu de temps à me regarder. La plupart des jours, je m’aperçois dans la glace à chaque brossage de dents ou de cheveux, et basta. Mon apparence est et a toujours été la chose la moins intéressante chez moi. Pourquoi lui accorder une place disproportionnée dans mes préoccupations?
Le temps file et je refuse d’en gaspiller la moindre bribe à me lamenter sur des choses qui ne peuvent pas être changées. Ce serait plier devant les injonctions du patriarcat et du capitalisme, qui ont tout à gagner au fait que les femmes détestent leur physique. Mon esprit rebelle refuse tout simplement de leur donner satisfaction. Je ne haïrai pas le visage que mon amoureux contemple même au réveil avec des étoiles dans les yeux; je ne haïrai pas le corps qui m’a permis de visiter tant de beaux endroits, de faire tant d’expériences géniales, d’éprouver tant de sensations délicieuses. Je continuerai à les respecter, à les chérir et à espérer qu’ils me durent le plus longtemps possible. Parce que s’aimer et s’accepter telle quelle est un acte politique capital pour la cause des femmes, et aussi le meilleur moyen de jouir à fond de cette vie.
Rien à ajouter… 👏❤️
Joyeux anniversaire, et merci pour ces mots, ces réflexions. Ta vision des choses sur ces questions m’accompagne depuis un moment. Et cette nouvelle formulation me parle tout autant que les précédentes. Merci
Tout est dit…. merci.
<3
Merci! Et quelles belles photos!
Les cheveux, les poils, le poids… je te rejoins sur tout. Je m‘épile les jambes trois fois par an, en été, le reste de l’année j‘ai froid et je suis en pantalon, qui s’intéresse à mes poils? Personne!
Mes cheveux grisonnent depuis longtemps, maintenant je suis presque poivre et sel 🙂 mais comme toi, je ne me vois pas souvent dans une glace.. et surtout, soyons honnêtes, je serais incapable d‘entretenir une couleur, je serais toujours en retard pour le faire, ca serait bien dégueu…
Et le poids.. je suis plus jeune que toi, donc on parle plutôt de cinq kilos en trop… rien quoi! J‘avoue que c‘est le seul truc où je fais un peu attention, un peu pour des raisons de santé, un peu par paresse, la seule idée de devoir racheter toute une garde-robe une taille plus large me fait frémir (je shopping me soûle!), alors quand mon pantalon devient étroit, j‘essaye de freiner mon appétit…
Bon anniversaire à toi, longue vie au blog, aux femmes poilues et décomplexées qui savent s’apprécier pour elles-mêmes!
Bises
Céline
J’approche des 42 ans et je suis le même chemin de pensée que toi.
J’ai également des difficultés à me défaire complètement des injonctions sur le poids ou les standards de beauté, certains jours je me trouve belle et d’autres c’est plus dur.
J’ai un compagnon qui m’aime telle que je suis et j’évolue et me le dis. Mes poils ne sont pas plus dégoûtants que les siens, et ses cheveux blancs arrivent avant les miens. Je me réjouis de nourrir notre relation pour nous voir vieillir ensemble.
Merci d’avoir si justement mis en mots tes réflexions qui font écho aux miennes
Merci, cette année est celle de mes 30 ans et ces réflexions font du bien
J’aurai 42 ans en septembre et quelques kilos en trop mais je déteste le sport depuis mon plus jeune âge (quand j’ai un peu de temps libre, je préfère faire quelque chose qui me plaît).
Je ne porte plus que des robes/jupes été comme hiver puisque c’est ce qui me va le mieux vu ma silhouette (fine en haut, large en bas) et clairement ce que je préfère porter.
Après 3 enfants et les années aidant, mon corps a changé et cela me paraît aussi logique qu’inéluctable. Et tout comme toi, je passe très peu de temps à me regarder dans le miroir donc cela ne me gêne pas outre mesure. Alors bien sûr je préférais avoir une silhouette plus harmonieuse, être plus mince mais même plus jeune et bien plus mince, j’ai toujours eu au moins une taille d’écart entre le haut et le bas et j’ai fini par m’y faire. D’où l’intérêt de porter des robes (en A)!
J’ai quelques années de moins que mon mari et pourtant je blanchis bien plus vite que lui. Je refuse de teindre mes cheveux et les porte très courts parce que que cela me va bien et que c’est le plus simple (passer des heures à me faire un brushing n’est pas envisageable). Un jour je serai toute blanche et mes cheveux ressembleront à ceux de Judi Dench jouant M et cela sera très bien comme ça.
Ce qui me fait peur, ce n’est pas tant de vieillir mais le fait que mes parents sont âgés et que je suis très loin (Hambourg et eux à Lyon donc 1200km) et que c’est compliqué et coûteux de leur rendre visite régulièrement.