Un mot pour 2023

Mon anxiété a commencé à me faire souffrir très fort en 2008. A cette période, j’ai pris l’habitude, suivant une proposition de la scrapbookeuse américaine Ali Edwards, de choisir à chaque début janvier un mot pour donner une tonalité à l’année à venir. Quelque chose de plus global, moins contraignant que des résolutions précises et quantifiées. J’aimerais dire que j’en ai toujours retiré un grand bénéfice, mais rétrospectivement, il ne me semble pas que ces mots aient fait autre chose que clarifier ce dont j’avais le plus besoin à cet instant précis de ma trajectoire. Aussi, j’ai fini par laisser tomber l’exercice.

Je n’avais pas spécialement l’intention de le reprendre en 2023. Mais j’ai recommencé une thérapie au début de l’été dernier, et même si je n’ai pas l’impression que ça me serve à grand-chose, ça m’oblige à décortiquer mes mécanismes internes d’une façon dont j’ai cessé de le faire sur ce blog. Ma psy ne me fournit aucune solution pratique; j’ai tellement lu sur le sujet de l’anxiété que je ne peux même pas dire qu’elle m’apprenne quoi que ce soit du point de vue théorique.

Néanmoins, couplées à l’écoute du podcast « Change ma vie » dont je suis un grande fan depuis deux ans, nos conversations m’ont fait prendre conscience que ce qui m’angoisse le plus, ce n’est pas le monde qui m’entoure ni même les problèmes qui pourraient survenir: ce sont mes propres émotions. Qui me submergent dès qu’elles sont trop fortes, en positif comme en négatif. En positif, elles me donnent l’air d’un Zébulon frappadingue qui exprime sa joie bruyamment, avec force gesticulations et en répétant les mêmes trucs en boucle. En négatif, la colère me donne envie de brûler tout et tout le monde, tandis que la peur ou le chagrin me donnent envie de crever pour ne pas devoir les endurer. C’est insupportable.

L’ennui avec les émotions, c’est qu’on ne les contrôle pas. Mais nos émotions sont suscitées par nos pensées. Et nos pensées, en revanche, peuvent être reprogrammées si nécessaire. C’est comme ça, notamment, qu’on déconstruit son racisme ou son sexisme internalisé: en interrogeant les pensées-réflexes modelées par notre conditionnement social ou notre expérience de vie, et en les reformulant si elles sont infondées ou qu’elles ne nous servent pas. Par exemple, je peux ruminer ma tristesse éternelle de ne plus voir ma soeur qui n’a jamais de temps libre entre son job et l’éloignement géographique de son cadet. Ou bien je peux choisir de me dire qu’elle et mon neveu sont très occupés à vivre leur meilleure vie, et je peux m’en réjouir pour eux.

Bref, tout ça me travaillait depuis quelques mois. Et pendant les fêtes de fin d’année, j’ai eu un déclic dans le salon de notre Airbnb d’Edimbourg. Malgré toutes les appréhensions qui ne m’avaient pas lâchée entre le moment où j’avais réservé nos billets d’avion et le jour du départ, notre séjour était en train de se dérouler à merveille. De la même façon que, chaque fois que j’appréhende quelque chose, la chose en question finit 9 fois sur 10 par se passer sans anicroche. Et la 10ème fois, bah… je trouve un moyen de gérer d’une façon ou d’une autre.

Longtemps, une partie de moi s’est accrochée à mon anxiété en se disant qu’elle me rendait vigilante, prévoyante, et donc qu’elle m’évitait effectivement des ennuis. Mais si c’était pour me filer un AVC avant 60 ans, comme je commençais à le craindre au vu de mes dernières mesures de tension… Rien ne pouvait être plus grave que laisser Chouchou tout seul ou rester peut-être diminuée physiquement. Donc, il devenait impératif que je m’attelle à reprogrammer mes pensées de façon à ne plus angoisser pour un oui ou pour un non. Et alors que cette idée tournait en tâche de fond dans mon cerveau, un soir, un mot s’est imposé à moi. Ce dont j’avais besoin, c’était de confiance.

Confiance en la vie? Ca me donnait un peu envie de ricaner, vu la tronche de la vie en ce moment. Mais confiance en… les probabilités, peut-être, selon lesquelles les catastrophes surviennent quand même assez peu fréquemment dans une existence individuelle. Ou confiance en moi et en ma capacité à faire face le cas échant. En gros: tout va bien se passer, et sinon, j’ai des ressources pour gérer. J’en ai même beaucoup, que ce soit sur le plan mental, matériel ou relationnel. Et rien ou presque ne peut me nuire davantage que mon propre stress.

Donc, depuis notre retour d’Edimbourg, chaque fois que je me sens commencer à angoisser, je me dis: aie confiance. Baptême du feu, la perte du fameux sac à dos jaune dès le 1er janvier. J’ai paniqué pendant la première demi -heure, mais après… J’ai fait ce qu’il était possible de faire: signaler la perte à la police et à la SNCB, activer la localisation de mon laptop et mettre un message promettant une récompense à la personne qui me le rapporterait. Puis je ne me suis occupée que de gérer mes émotions et les pensées qui les provoquaient. Je me suis dit que mon sac pouvait réapparaître, parce qu’après tout, la majorité des gens ne sont pas des voleurs. Et que dans le cas contraire, remplacer son contenu me coûterait de l’argent que j’aurais préféré consacrer à autre chose, mais que ça n’entraînerait pas non plus ma ruine.

24h plus tard, mon sac est réapparu. Si j’étais du genre à croire aux signes de l’univers, je me serais émerveillée. En l’état des choses, je me suis juste félicitée: c’était la preuve concrète et immédiate que l’attitude choisie était la bonne. Et je ne dis pas qu’elle sera toujours facile à tenir face à des problèmes avérés. Mais la neuroplasticité est une chose épatante. Si je prends, maintenant que tout va bien, l’habitude de désamorcer le mécanisme de mon anxiété, j’aurai les bons réflexes le jour où ça ira mal.

En tout cas, c’est le plan.

5 réflexions sur “Un mot pour 2023”

  1. « ou rester peut-être handicapée », je ne sais pas comment le dire sans blesser mais cette tournure de phrase, même si elle est compréhensible, n’est pas okay, on a tous à déconstruire son validisme intérieur.

    1. Ta remarque n’est pas blessante. Mais d’un autre côté, je ne vois pas comment formuler autrement le fait que perdre tout ou partie de mes capacités physiques est une perspective terrifiante. Je ne considère pas les personnes handicapées comme valant moins que les autres, ou moins précieuses pour la société, mais ce serait hypocrite de prétendre que valide ou handicapée, ce serait pareil pour moi. Est-ce que c’est le terme « handicapée » qui pose problème, auquel cas, je veux bien en employer un autre, ou est-ce que c’est le sentiment même, auquel cas, je n’y peux pas grand-chose car c’est réellement le mien.

      1. Je suis d’accord avec le fait que notre société validiste est effrayante et ton ressenti est audible. Je pense que c’est le fait que les mots sous-entendent que les vies ont moins de valeur, pour les personnes qui vivent avec un handicap ou qui y seront confrontées un jour. C’est la société (moi, nous y compris, parfois) qui est nulle, pas les vies.

  2. Merci pour ce partage. Reine des projections anxieuses, depuis toujours, je me sens aussi une bonne candidate pour un AVC ou une crise cardiaque si je ne mets pas la pédale douce sur certaines de mes angoisses.
    Je me suis aperçue que beaucoup de situations figées de ma vie étaient le résultat de choix faits il y a longtemps pour me protéger de mes anxiétés et des débordements nerveux qui pourraient survenir si cela se passait mal, il est temps de réviser mes fiches.
    Je me sens lasse de cette fuite d’énergie pour rien et de ces portes que je n’ouvre pas, j’ai envie d’autre chose.
    Certaines expériences récentes, m’ont confirmé que j’avais bien plus de ressources à réagir que je ne m’en prête et que la plupart des scénarios catastrophes que je projette ne se réalisent jamais, fort heureusement.
    Alors oui, confiance !

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