Les neuroatypiques voyagent en bande

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Avant même mon diagnostic, je m’étais fait la réflexion que je fréquentais beaucoup de personnes neuroatypiques. Autrement dit, présentant un fonctionnement neurologique considéré comme hors norme. Ce terme englobe les personnes atteintes de troubles du spectre de l’autisme, de troubles de l’attention et de l’hyperactivité, de trouble borderline ou bipolaire, mais aussi les HPI et les « dys » (dyslexiques, dysphasiques, dyspraxiques). En gros, tous ceux dont le cerveau est câblé différemment d’une façon ou d’une autre, et qui se retrouvent donc en décalage par rapport aux attentes des neurotypiques.

A l’époque, je me disais que c’était parce que les neuroatypiques sont très largement sur-représentés dans le milieu des littératures de l’imaginaire – mon principal vivier de rencontres depuis plusieurs décennies. Il semble en effet assez normal que des gens qui ne se sentent pas à leur place dans le monde réel se réfugient dans un type de fiction où les choses fonctionnent autrement. Et puis les auteurs comme les traducteurs littéraires se recrutent généralement parmi les introvertis, les gens qui ont un besoin de solitude supérieur à la moyenne et dont les contacts sociaux vident les batteries au lieu de les recharger.

Mais plus je réfléchissais à la question et observais mes rapports avec les autres, plus je réalisais qu’il n’y avait pas là qu’une causalité statistique, une conséquence logique du type d’environnement dans lequel j’évolue. Depuis que j’ai été diagnostiquée, j’ai d’énormes difficultés à faire appréhender mon autisme par les personnes neurotypiques de mon entourage. Ca va du « Ah tiens, je n’aurais jamais deviné, vous n’en avez pas du tout l’air » pourtant bien innocent de mon généraliste, un praticien bienveillant en qui j’ai toute confiance par ailleurs, au « Mais en fait, tu ne supportes rien » clairement perplexe de ma soeur quand je lui ai dévoilé l’espace d’un week-end plusieurs des troubles sensoriels qui me pourrissent le quotidien. Je ne leur en veux pas: je conçois bien que pour qui n’a jamais eu de raison de se pencher sur le sujet, les neuroatypismes sont un terrain mystérieux et passablement incompréhensible. Nul.le n’a la science infuse. Et comme beaucoup de mes petits camarades, j’ai fait un excellent job de masking jusqu’à récemment. Les gens qui m’entourent ne sont pas devins; il n’y a aucune raison pour qu’ils aient deviné ce que je mettais tant d’énergie – et parfois d’habileté – à dissimuler.

Reste que je n’ai pas ni l’envie ni la force de me justifier en permanence. De retourner mes tripes sur la table avec tout le monde pour expliquer le degré réel de mes difficultés, alors que décortiquer mes émotions et me montrer vulnérable a toujours été extrêmement problématique pour moi. J’ai réussi à le faire avec deux amies neurotypiques proches parce que je sentais une écoute sincère et sans préjugés de leur côté. Je savais que ça ne modifierait pas nos rapports: ça y introduirait juste une meilleure compréhension. Les autres… Je n’ai pas envie qu’ils me prennent pour une affabulatrice, une personne en quête d’attention ou pire: une infirme dont il faut avoir pitié. C’est plus simple de limiter mes contacts avec eux.

Par contraste, les neuroatypiques n’ont pas nécessairement les mêmes troubles que moi – les autistes seuls en présentent déjà un spectre très varié, qui peut donner des profils en apparence tout à fait dissemblables d’un individu à l’autre. Il suffit pour s’en convaincre de regarder l’excellente série « As we see it ». Mais tous les neuroatypiques savent ce que c’est de se sentir comme une pièce carrée que la société tente de faire rentrer de force dans un trou rond. Tous ont dû, à un moment ou à un autre, aller contre leur propre nature et adopter des comportements qui leur semblaient, au mieux illogiques et au pire répugnants, juste pour arriver à survivre dans un monde dont les codes et les usages ne sont pas les leurs. Avec eux, je n’ai pas besoin de me justifier. Si je dis que je suis incapable de faire une chose qu’un neurotypique considèrerait comme facile ou anodine, ils me croient et ne tentent pas de minimiser mon inconfort ou de faire gentiment pression pour que je m’exécute quand même. Avec les neuroatypiques, je n’ai pas besoin de stresser et de dépenser des cuillères que je n’ai pas.

8 réflexions sur “Les neuroatypiques voyagent en bande”

  1. Merci pour ces textes toujours très éclairant.

    Je ne fais pas partie des neuroatypiques et pourtant ton texte raisonne en moi très fort. Je maîtrise très bien l’art du masque, je ne sais absolument pas pourquoi je dois rentrer dans des cases, je me sens agressée en permanence lorsque je suis à l’extérieure de ma bulle et plus le temps passe, plus je limite mes interactions sociales non-professionnelles.

    Ton texte m’a fait me demander quelle était ma catégorie à moi… et ça fait depuis la publication de ce dernier que je cherche (je dois être la dernière licorne, je ne vois que ça…).

    Merci pour ces réflexions, je pense que tes partages font beaucoup de bien.

      1. Oui, dys oui… mais j’ai de la peine à comprendre en quoi ça modifie ma perception des choses. Alors oui, je relis 500 fois un commentaire avant de le publier, il y aura des fautes malgré tout et ça va me frustrer si je m’en rends compte. Ça a un impact sur mon estime de moi, mais pas sur le fait que les sons aigus me font péter les plombs, que je déteste qu’on me touche, que si il y a une personne qui a des émotions trop fortes dans une pièce ça me touche tellement que j’ai envie de partir en courant et que je pleure dès que j’entends un chœur. Et ce sont juste quelques exemples…

        1. Je ne suis pas psy mais tout ça ressemble quand même beaucoup à une hypersensibilité non? Qui pourrait être seule, ou bien s’inscrire dans le cadre d’un neuroatypisme plus large non diagnostiqué.

          1. Oui, ça ressemble à de l’hypersensibilité, mais en même temps tout le monde se dit hypersensible et il est difficile de faire la différence je trouve entre une hypersensibilité « normale » et une hypersensibilité qui sort du cadre.
            Mais Anne et toi me donnez à réfléchir… je pense que j’ai trop entendu que j’étais timide, que je fais très bien le caméléon, que mon estime de moi est pas top, top (mais je me soigne) et que je mets trop de choses dans la case « introvertie ».

          2. Y’a les gens qui disent « Je suis un peu autiste » et puis il y a les vrais autistes. Y’a les gens qui se disent hypersensibles, et puis il y a les vrais hypersensibles. Et oui, les manifestations qui mettent sur la voie du diagnostic sont souvent les mêmes dans les deux cas. Tout est une question de degré, et de cumul de plusieurs facteurs à des degrés élevés.

        2. Je me permets de rebondir sur ton commentaire et celui d’Armalite. Ce que tu décris, pour le connaître également est à considérer comme de l’hypersensibilité à un degré très élevé. ta perception est telle que tu es envahie littéralement par l’extérieur. La différence avec des traits autistiques, Armalite pourra nous le confirmer, est de ne pas comprendre l’environnement humain en général, faute de comprendre les codes. Mais le point commun est une adaptation permanente au monde extérieur.

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