
Ce matin, donc, nous sautons du lit à 7h30 pour être nourris, propres et correctement emmitouflés quand notre guide Erlens, booké hier soir en catastrophe sur Viator, passe nous chercher devant l’appart-hôtel avec son van Mercedes gris. Il neige dru sur Riga, et il fait sérieusement froid. Je crains d’avoir eu une très mauvaise idée, mais quand je m’ouvre de mes craintes à Erlens, il a un geste désinvolte: il maîtrise à fond la conduite par ce genre de météo; sa voiture est équipée des bons pneus, et de toute façon, la météo changera probablement douze fois dans le cours de la journée entre ici et notre destination.

Nous prenons donc la direction de la frontière lituanienne. Tout en roulant, Erlens nous raconte l’histoire de son pays, dont nous ne savons que très peu de choses. Petite par la taille et plus encore par la population (1,7 million d’habitants pour une superficie 2x supérieure à celle de la Belgique, qui en compte 11 millions…), mais géographiquement bien située avec ses trois ports sur la Baltique, la Lettonie a successivement été sous domination polonaise, suédoise, soviétique, et je crois que j’en oublie. Elle compte une forte population russophone, et accueille actuellement aussi bien des réfugiés ukrainiens que des Russes qui fuient le régime de Poutine. Sa principale ressource naturelle est le bois: de fait, dès qu’on sort de Riga, les arbres se succèdent à perte de vue. Le Covid-19 a poussé beaucoup d’habitants de la capitale, désormais contraints de travailler de chez eux, à retourner dans leur province où la vie était beaucoup moins chère. De là vient sans doute notre impression que les rues de Riga sont bizarrement désertes pour une aussi grande ville, qui concentrait autrefois près de la moitié de la population totale du pays.

Au bout d’une heure, nous franchissons la frontière lituanienne. Les champs cultivés succèdent aux forêts, et encore une heure plus tard, nous nous garons sur le parking de la Colline des Croix. Cette modeste butte de terre, jadis occupée par un petit château, est désormais couverte de centaines de milliers de croix catholiques. Erigées pour commémorer les victimes de la rébellion contre les autorités russes en 1831 puis en 1863, ces dernières ont été retirées par l’union soviétique, sont réapparues, ont été brûlées dans un curieux incendie en plein hiver, sont réapparues de nouveau, ont été bénies par le Pape Jean-Paul II et n’ont cessé de se multiplier depuis. Les gens viennent du monde entier pour déposer ici une croix petite ou grande dans laquelle ils ont placé leur foi, leur chagrin ou leurs espoirs. Aujourd’hui, le vent balance les plus petits crucifix suspendus aux grands, les faisant tinter comme les pendeloques d’un carillon. Même pour une athée convaincue comme moi, c’est un lieu aussi émouvant que visuellement impressionnant. Avantage d’y venir fin mars: il fait si froid que nous sommes seuls avec Erlens. Inconvénient: une fois de plus, je me gèle sévère dès que je retire ma parka. Au moins cette fois, je ne mange pas de sable en même temps. Et notre guide avait raison – le soleil joue à cache-cache avec de gros nuages moutonnants qui forment un parfait arrière-plan pour nos photos.









Sur le chemin du retour, la discussion se fait plus personnelle. On parle de comédies françaises, de chasse et de végétarisme, du spectre de la guerre qui plane sur les pensées de tous les Européens (mais particulièrement des habitants des pays baltes), des études de programmation informatique qu’Erlens a entreprises depuis le début du Covid… C’est très agréable de confronter notre vision du monde à celle de quelqu’un qui vit à l’autre bout de l’Europe et qui en a nécessairement une expérience très différente. Après avoir traversé la frontière dans l’autre sens, nous faisons halte pour le déjeuner dans la ville étudiante de Jelgava, et j’invite Erlens à manger avec nous au restaurant qu’il nous a conseillé. Assis à une table contre la baie vitrée qui surplombe le fleuve Lielupe, nous continuons à bavarder à bâtons rompus. Erlens a adoré « Intouchables » et est fan d’Omar Sy; je lui conseille de se jeter sur la série « Lupin » et, s’il l’a aimée, de ne pas hésiter à jeter un oeil aux romans de Maurice Leblanc qui l’ont inspirée.


Quand nous sortons du restaurant, il neige de nouveau. Mais le temps de finir notre trajet, le soleil est revenu lorsque nous prenons congé de notre guide devant l’entrée de l’appart-hôtel. Je crois qu’on a tous passé une agréable journée. Par contre, j’ai fait la conversation tout le long même si Chouchou a beaucoup parlé aussi, et je suis à court de cuillères sociales. Et comme le tri de photos ne donne pas de résultat immédiatement satisfaisant, je renonce à mon projet de retourner boire un verre au Skyline bar pour notre dernier soir à Riga. Nous nous faisons livrer par un bon resto de cuisine ouzbek – un pilaf au mouton qui tabasse – et dînons au chaud comme les vieux que nous sommes.
C’est extraordinaire cet endroit, il faut absolument que j’aille voir ça
En découvrant les photos sur Instagram, je me suis d’abord sentie oppressée. Je crois que c’était une réaction épidermique d’athée convaincue. Et puis, grâce à vos explications, à Chouchou et à toi, j’ai compris à quel point ce lieu était extraordinaire. Merci pour la découverte et bravo pour ces sublimes photos, la lumière est incroyable !