Où j’appréhende la fin

 

Comme tout le monde, je piaffe d’impatience à l’idée de retrouver ma vie d’avant. Aller au resto les soirs de flemme, rejoindre une amie dans un bar à cocktails le vendredi à 18h pétantes pour trinquer à la fin de la semaine, me poser dans un salon de thé avec un bouquin après avoir fini mes courses en ville. Pouvoir de nouveau circuler librement entre la France et la Belgique, prendre les vacances que j’attends depuis un an. Serrer ma famille dans mes bras. Sortir sans masque, ne plus flipper à la moindre petite quinte de toux. Cesser d’avoir le coeur dans la gorge chaque fois que je consulte les dernières nouvelles. 

Et en même temps, quelque chose en moi appréhende le retour à la normale.

Car si la pandémie a créé de nouvelles sources de stress, elle en a aussi fait disparaître d’autres dont je n’avais pas mesuré l’impact. J’adore voyager; c’est ma motivation numéro un dans la vie. Mais mille questions me torturent quand j’effectue mes préparatifs, que je choisis ma destination, mes dates, mon hébergement et ce que je compte faire sur place. Suis-je en train de prendre les bonnes décisions, celles qui nous permettront de rentabiliser l’argent dépensé et le temps passé loin de nos bureaux respectifs? 

A l’approche des vacances, mon appréhension grandit avec mon excitation. La nuit qui précède l’aller, je n’arrive pas à dormir de crainte de ne pas entendre le réveil. J’arrive à l’aéroport avec 3 ou 4 heures d’avance, et je suis sur des charbons ardents jusqu’à l’embarquement. Une fois sur place, je suis perpétuellement sur le qui-vive, à guetter le truc qui va faire dérailler mes plans ou provoquer des tensions dans mon couple. La déception et la frustration sont des émotions que je gère spectaculairement mal, et comme j’attends toujours beaucoup de mes voyages, le potentiel pour les deux est immense. 

De manière générale, je me mets tout le temps la pression pour profiter un max, en mode « On ne vit qu’une fois ». Chaque heure de temps libre dont je ne tire pas une intense satisfaction me semble une opportunité gâchée. Chaque jour où je n’ai pas accompli quelque chose de significatif en plus de mon boulot, je me flagelle mentalement. Chacun de mes week-ends doit contenir au moins une activité qui sort de ma routine ordinaire. Chaque année où je n’ai pas coché au moins un truc sur ma bucket list m’apparaît comme une année perdue. 

Paradoxalement pour quelqu’une qui déteste le changement, j’ai besoin de nouveauté en permanence, de choses qui stimulent mon imagination et ma créativité. Sans cela, je m’étiole. Mais je m’étiole avec une résignation qui, les bons jours, ressemble presque à du zen. L’ennui imposé renforce ma gratitude pour les plaisirs simples: lire sur le canapé avec ma couverture lourde et une tasse de thé, faire un puzzle en écoutant un podcast, savourer un bon petit plat le soir devant Netflix, me blottir contre mon amoureux après avoir éteint la lumière. Jamais je ne ralentirais volontairement, mais si le monde m’y oblige, par certains côtés, je trouve ça très reposant. 

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3 réflexions sur “Où j’appréhende la fin”

  1. je me reconnais beaucoup ds ce que tu dis ….ne plus rien organiser au niveau voyages est un repos pour mon esprit aussi….pas de stress et d'angoisses! Mais bon là çà commence à faire long! et contrairement à toi une fois sur place toutes mes angoisses s'envolent!

  2. Nelly Poignonnec

    Nous devons être tant de personnes à nous reconnaître dans ce que tu écris… Cette période a le bon côté d'endiguer temporairement cette fameuse injonction paradoxale qui nous motive autant qu'elle nous effraie à devoir faire face à nos propres pulsions de vie.

  3. Ohlala comme je me reconnais beaucoup là dedans !!!
    "Chaque jour où je n'ai pas accompli quelque chose de significatif en plus de mon boulot, je me flagelle mentalement." Voilà… tout est dit !

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