
Parmi toutes les choses qui m’ont chamboulée pendant le confinement et qui ont continué à peser ensuite sur mon moral, la crainte de ne plus pouvoir voyager a occupé une place prépondérante. Et, oui, j’ai bien conscience qu’il s’agit d’une préoccupation de privilégiée (ou « problème de riche »). Mon amoureux et moi étions en bonne santé; nous avions toujours du travail et pas de problèmes financiers – difficile de demander plus en cette période si critique pour beaucoup d’autres gens. Aussi, même si l’annulation de notre road trip en Ecosse m’a beaucoup attristée, sur le coup je l’ai prise avec philosophie: ce n’était la faute de personne, tout le monde était dans la même galère, les Highlands seraient toujours là à la fin de la crise et nous serions encore plus contents d’y retourner.
Mais plus la pandémie accélérait, plus la crise économique s’accentuait, plus l’avenir des compagnies aériennes et du tourisme en général devenait incertain. J’ai réalisé que personne ne pouvait dire quand il serait à nouveau sûr de voyager, que ça risquait de ne pas être avant de nombreux mois et que les conditions ne seraient sans doute plus jamais aussi favorables que ces dernières années, particulièrement pour les destinations lointaines. Cela m’a obligée à une remise en cause qui allait bien au-delà du fait de devoir repenser mes prochaines vacances.
Voyager, c’est à peu près la seule chose qui m’intéresse dans la vie. Je n’ai jamais voulu d’enfants pour rester libre de mes mouvements; j’ai choisi un métier qui pouvait s’exercer de façon nomade, et si le boulot de mon amoureux ne le retenait pas à Bruxelles, cela ferait des années que nous passerions 9 mois sur 12 à l’étranger. Voyager n’est pas juste un moyen d’échapper à ma routine quelques semaines par an: c’est ma raison de vivre. J’aime mon quotidien, mais j’ai besoin de l’excitation de la découverte. Je vis dans un petit appartement, je n’ai pas de voiture, j’achète de moins en moins d’objets. Je ne fume plus depuis presque 15 ans, je bois très peu, je ne suis même pas boulimique de sucre. Les voyages sont mon seul luxe et mon unique drogue – mon oxygène. Ils développent ma culture, alimentent mon imaginaire, m’ouvrent l’esprit et me rendent plus tolérante. Ils me fournissent matière à réfléchir, à écrire et à partager.
Je sais que je catastrophise et qu’en réalité, il est peu probable que l’industrie du tourisme dont tant de gens vivent à travers le monde disparaisse du jour au lendemain. Les billets d’avion vont sans doute augmenter; de nouvelles mesures sanitaires seront probablement mises en place. Voyager risque de devenir plus compliqué et plus cher, mais ce sera toujours possible. Au pire, même si je ne pouvais plus jamais sortir d’Europe, il me resterait des tas de destinations que j’adore à portée de train ou de voiture. Rien qu’avec l’Ecosse, la Scandinavie et le Portugal, j’aurais largement de quoi explorer jusqu’à la fin de mes jours.
Mais la question n’est pas vraiment là. Ce qui m’a donné le vertige et plongée dans le désespoir quand je me suis retrouvée seule chez moi, à partir de la mi-mai, c’est de me demander qui j’étais si on m’enlevait cette chose capitale à mes yeux. Ce qui resterait de moi si je me retrouvais clouée en France ou en Belgique. Ce qui me motiverait encore pour me lever le matin. Ce qui me fournirait une raison de travailler, au-delà de la nécessité de payer mes factures. Ce qui me donnerait envie de me projeter dans l’avenir malgré l’actualité anxiogène et mon propre vieillissement.
Pour l’instant, j’avoue que je n’ai pas trouvé de réponse.
Sauf exception, les commentaires sont désactivés. Si vous voulez poursuivre la conversation, je vous invite à le faire sur la page Facebook du blog.

C'est exactement ce que ressens en ce moment, je me cherche encore (problème de riche,c'est tellement ça). Mais sans objectif de voyage, je ne me reconnais pas.L'anxiété et la tristesse prennent plus de place.
Je vais essayer de réinvestir mon quotidien: aller voir des spectacles, des concerts (quand ils reprendront), c'est là que j'ai encore une marge de progrès. Je suis pas certaine que ça sera suffisant.
J'ai l'impression que le coronavirus et le confinement ont complètement remis en question nos identités.
Je cogite beaucoup sur cette question d’identité et voyages mais de l’autre côté du spectre : je voyage peu. Le milieu duquel je viens ne m’a pas appris à voyager et si le frein financier n’existe presque pas pour moi, d’autres me sont plus difficilement surmontables. Réussir à organiser jusqu’à la fin un voyage relève d’une victoire (je ne compte plus les voyages organisés et jamais bookés). Au delà de la question de l’argent, on devrait pouvoir trouver des endroits de partage, où apprendre comment faire: ce sont vraiment des compétences qui ne naissent pas de rien. J’ai souvent ressenti le décalage avec les gens (riches et éduqués qui voyagent depuis l’enfance) que je fréquente maintenant que je suis adulte, c’est un malaise pour moi de ne pas pouvoir répondre à la question « vous partez, ces vacances? » et on ne me la pose plus. Du coup le COVID a remis un peu tout le monde à égalité, me permettant de me sentir plus à l’aise. Sauf que d’autres ressources ont pu faire la différence à nouveau. Bref, au-delà de mon ressenti personnel, j’aime me renseigner sur les ressorts sociologiques de tout ça, pour y voir plus clair, me frayer un chemin. Et ça fini par m’aider aussi au niveau de mon identité. Maintenant qu’un ralentissement se fait sentir, C’est peut-être le moment de lire sur le sujet? J’ai eu la chance de faire une interview de Saskia cousin, anthropologue, et de la personne qui tient le compte « decolonial voyage » sur insta (dans le hors série de Axelle consacré aux voyages de femmes) et j’ai vu que La revue socialter a sorti un numéro sur la redéfinition du voyage par le COVID (Tourisme : année zéro ?).
@Ness: Le milieu dont je viens ne m'a pas appris à voyager non plus; j'ai passé toutes les vacances de mon enfance chez mes grands-parents au fin fond de l'Auvergne (et mes parents étaient déjà bien contents de pouvoir partir y respirer loin de la ville). Mais l'envie était tellement forte que j'ai passé outre le côté un peu paniquant au début. J'ai commencé par des choses simples, genre un billet d'avion pour une grande ville + un hébergement pour une semaine + un guide pour recenser les activités sur place. Aujourd'hui encore, je répugne à organiser des circuits de road trip parce que c'est beaucoup de possibilités d'imprévus, surtout avec un seul conducteur. Mais quand je suis vraiment motivée, je me lance quand même. Stressée à mort, mais je me lance.
Bonjour, sans apporter de solution, je partage aussi mes questions existentielles sur les voyages :
depuis quelques années, je suis de nouveau célibataire. Si avant les voyages étaient nombreux et mûrement réfléchis, ils sont maintenant sur des coups de folies, au dernier moment, et toute seule. Ça fait du bien de ne pas réfléchir 6 mois à l'avance, être libre de faire des visites ou pas, ou 3 jours entiers au bord de la piscine, se laisser dériver…
Mais depuis quelques temps, cela m'ennuie ! Ne pas pouvoir partager ses moments sur le fait, ou montrer ses photos en retour à des amis ou famille qui n'en ont pas grand-chose à faire… Et puis se rendre compte des dégâts et déchets qu'on génère, le tourisme de masse, visiter des pays superbes aux populations si pauvres. Un sentiment de culpabilité. (Mes prochaines vacances se situraient aussi en Scandinavie ou Irlande)
J'ai déménagé dans un bel et grand appart. avec balcon, et les vacances à la maison sont bonnes. Des week-ends de temps en temps pour voir la mer me suffisent.
Il faut juste être forte à la remarque de la rentrée «quoi ? T'es pas parti pendant tes vacances ?»
Bah non, et alors ?
Je souhaite vivement retrouver le goût de l'aventure, mais pour l'instant…
Salut. Accro ou pas, cette histoire de voyage ne laisse presque personne indifférent… Du fait que mon père était diplomate, j'ai beaucoup voyagé pendant mon enfance et mon adolescence; mais ces voyages étaient des séjours de quelques années: rien à voir avec ces voyages "éclair" qui sont devenus la norme. Du coup, je ne conçois pas le fait de me déplacer rien que "pour visiter et me changer les idées". Il me faut de vraies motivations: sentimentales (embrasser les amours, les amis ou la famille), professionnelles, de santé… Je trouve que le tourisme de masse, qui est devenu la norme, a fait beaucoup de mal à la planète et que nous en payons les conséquences, en quelque sorte (cf. Venise, Barcelone, la Corse, Dubrovnik, Amsterdam, dont les habitants en ont marre des dégâts et des nuisances); quand les touristes des croisières débarquent, ce sont de véritables hordes destructrices (je sais de quoi je parle, j'habite un port de mer); et tous ces déplacements superflus y sont pour quelque chose dans cette pandémie qui nous tétanise à présent. J'ignore si le covid va changer la face du monde, mais si cette terrible catastrophe servait ne serait-ce qu'à remettre certaines attitudes à leur place, ça aurait servi au moins à quelque chose.
Les avions pollueraient donc moins selon qu'on les prend pour une raison noble comme aller voir sa famille, ou une raison méprisable comme se changer les idées. Intéressant.
Hello, Je suis bien d'accord avec toi et je partage tes inquiétudes concernant l'avenir du tourisme. Tout comme toi, voyager est ma passion. Je passais la plupart de mes 25 jours de vacances annuels à aller voir mes parents en France, mais j'essayais toujours de faire en sorte de garder une semaine par an pour moi pour voyager, et peut être deux longs week-ends. A court terme, peut être qu'il serait possible pour toi de découvrir d'avantage la France et la Belgique en voiture ou en train, ou même l’Allemagne et les Pays-Bas?
Bonne semaine!
Je me retrouve totalement dans ta description. Il y a de superbes paysages en France également, mais la sensation de dépaysement n'est pas la même.
À l'anonyme pour qui il "faut de vraies motivations" pour voyager : je trouve ça encore pire de prendre l'avion par "obligation" (qui souvent résulte d'un choix de vie ou de travail) plutôt que par plaisir. Non seulement ça me fait chier, et en plus ça bousille la planète. Les businessmen qui font 13 heures de vol pour rester 3 jours sur place me débectent.
La avions polluent quelques soient les raisons pour lesquelles on les prend.
Je me rappelle l'histoire de la fille d'un émir Saoudien qui avait fait l'aller-retour Arabie Saoudite – Nice pour pouvoir acheter la marque de chewing gum qu'elle ne trouvait pas en France. C'est certainement le genre de réplique qu'elle pourrait utiliser, n'est-ce pas ?
Voyager est aussi un de mes hobbys number one. J'ai cette soif inextinguible de découvertes également. Je crois que ce sont les seuls moments de l'année où je suis pleinement sereine. Les escapades entre amies sont mes bouffées d'air et je suis sûre qu'elles me permettent d'être une meilleure maman à mon retour. Je ne peux pas envisager ma vie sans voyages et à moins que ce ne soit la fin du monde, je ne crois pas que cela soit nécessaire. C'est juste que ces derniers mois ont été compliqués et que les suivants le seront aussi.