Comment les traducteurs littéraires sont-ils rémunérés? 2/2

Dans mon billet précédent, je vous expliquais que, comme les auteurs, les traducteurs littéraires sont payés sous la forme d’un pourcentage sur les ventes, mais reçoivent au moment où ils effectuent leur travail une avance appelée l’à-valoir qui leur reste acquise quoi qu’il advienne. En ces temps de surproduction éditoriale, peu d’ouvrages se vendent assez bien pour que les droits générés dépassent un jour l’avance en question, qui reste donc souvent l’unique rémunération du traducteur. 
Un à-valoir est calculé en fonction du volume de texte à traduire, exprimé en nombre de feuillets. Qu’est-ce qu’un feuillet? Excellente question. Au début de ma carrière, le standard universel était le feuillet d’imprimerie français, c’est-à-dire, le nombre de pages de 1500 signes théoriques qu’atteignait la traduction. Par 1500 signes théoriques, j’entends: une page qui contiendrait 1500 signes espaces comprises si elle était totalement pleine, sans début ni fin de chapitre, sans alinéas ni retours à la ligne. Hormis peut-être dans l' »Ulysse » de James Joyce (le pudding littéraire le plus compact qui ait jamais été publié), le nombre de signes réels ne va jamais monter à 1500; sur un texte moyennement aéré, il tourne plutôt autour de 1250. 

Mais petit à petit, d’autres définitions du feuillet – c’est-à-dire, d’autres modes de comptage systématiquement moins avantageux – ont fait leur apparition. Certains de mes clients calculent désormais le nombre de feuillets d’un texte en prenant le nombre de signes de la VO, en ajoutant 10 à 20% de foisonnement (la proportion dans laquelle, du fait de la structure des deux langues, un texte français va être plus long que l’original anglais) et en divisant par 1500. Ou pire: en prenant le nombre de signes de la VO et en divisant directement par 1500. Or selon les textes, la différence entre 1500 signes VO réels et un feuillet d’imprimerie français peut aller du simple au double. Il est donc très important de s’intéresser à la manière dont un éditeur définit son feuillet.
L’autre facteur qui va déterminer le montant de l’à-valoir, c’est bien entendu le tarif du feuillet. J’ai un client qui le module en fonction des traducteurs: plus bas pour les débutants, dont le texte nécessitera davantage de corrections en aval, et plus élevé pour les vétérans. Tous les autres proposent un tarif standard non-négociable à ma connaissance. Là encore, les tarifs du feuillet, assez homogènes il y a 25 ans, varient aujourd’hui considérablement d’un éditeur à l’autre. En ce qui me concerne, ça va de 15€ les 1500 signes VO à 19€ le feuillet d’imprimerie français. La différence entre les deux semble considérable, n’est-ce pas? 
En réalité, elle ne l’est pas nécessairement. Car lorsqu’on est payé au volume, pour déterminer si on gagne bien sa vie ou pas, il faut ramener sa rémunération à un tarif horaire. Ainsi, un texte mal payé au premier abord, mais si facile qu’on peut aligner 10 ou 15 feuillets de l’heure, se révèlera beaucoup plus rentable pour le traducteur qu’un texte difficile bien payé du feuillet, mais pour lequel on arrivera péniblement à 4 feuillets de l’heure. C’est un critère important à prendre en compte. Pas le seul, bien sûr: il m’est arrivé de faire des traductions difficiles et mal payées pour le fun, parce que j’adorais le bouquin et que j’avais envie de relever le challenge. Mais on ne va pas se mentir, ce type d’ouvrage ne représente guère que 10% de mon CV. 
Comme toujours, je suis disponible en commentaires pour vos questions et éventuelles demandes d’éclaircissements.

9 réflexions sur “Comment les traducteurs littéraires sont-ils rémunérés? 2/2”

  1. C'est comme en lettrage (où maintenant on est plutôt payé en forfait plutôt qu'à la page) : un bouquin qui semble mal payé peut être intéressant si on le fait en 2-3 jours là où un autre très bien payé sera moins "rentable" parce que demandant 10-11 jours de boulot. Il faut vraiment regarder en global, et voir comment les différents travaux s'équilibrent entre eux.
    Merci pour toutes ces infos !

  2. @Morgan: En bédé aussi, la traduction est payée au forfait, et c'est beaucoup plus difficile d'évaluer la rentabilité du truc au premier abord.

  3. @Morgan (mais je suis sûre qu'Armalite a la réponse) : qu'est-ce que c'est le lettrage ? (désolée si c'est une question idiote !)

  4. Question qui peut paraître bête mais est ce que la ponctuation et les espaces sont considérés comme des signes ? Il me semble qu'il y a quelques années un éditeur avait modifier sa définition du signe et avait donc beaucoup baissé les tarifs des traductions.

  5. @Lauriane: Les gens qui font le lettrage sont, à ma connaissance, ceux qui rédigent les textes dans les bulles des bédés.
    @bookishcat: Il n'y a pas de question bête. En principe, oui, on compte les espaces. Et oui, un grand éditeur avait décidé de ne plus les prendre en compte il y a quelque temps. Il paraît qu'en signe de protestation, les traducteurs lui ont rendu des textes sans espaces 😀

  6. @Lauriane : le lettrage, en BD, c'est prendre le texte des dialogues, fourni par l'auteur ou le traducteur, pour le placer dans les bulles (ou hors bulle selon les cas). (Je simplifie)
    (Après mon explication, en général, les gens me demandent "ah, tu parles japonais ?". Non mais je traduis pas, les gars !! :))

  7. Merci pour cet article ! Evidemment, ça arrangerait toujours le client qu'on compte le nombre de signes sans les espaces…
    En traduction audiovisuelle de documentaires, le tarif oscille entre 15 et 20 € pour ma part (le tarif syndical du SNAC est à 35 € environ, mais je ne connais personne qui décroche des tarifs pareils… si seulement !)

  8. Merci pour ces articles, c'est vraiment intéressant! J'espère qu'il y en aura d'autres…☺️

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