« Coeur glacé », ou la chronique d’un pauvre petit Occidental bien nourri

Très attirée par sa belle couverture embossée et ses dessins à l’aquarelle, je me suis jetée sur ce « Coeur glacé » hier lors d’un passage chez Brüsel, et je l’ai lu aussitôt attablée à l’Exki d’en face. Un quart d’heure plus tard, je le refermais complètement déprimée.

C’est l’histoire d’un mec ultra-ordinaire. Un Monsieur Tout-Le-Monde nettement moins rigolo que le mien. Il examine sa vie à la loupe, se pose plein de questions sur le monde qui l’entoure, fait des constats d’une banalité affligeante. Il n’a aucune raison d’être malheureux, pourtant il ne trouve de goût à rien. C’est le parfait occidental moderne sans véritables problèmes, qui souffre de sa vie trop facile et dépourvue de sens. L’exposé de ses angoisses existentielles et de ses bonnes intentions, j’aurais pu le faire, quasiment avec les mêmes mots, et j’ai trouvé ça assez effrayant.

« Avec ma femme, on aime bien de temps en temps faire un beau voyage. Aller à la rencontre d’autres cultures. En général, on ne suit pas les circuits touristiques classiques. On s’aventure hors des sentiers battus. Il nous est arrivé de côtoyer une misère noire, qu’on n’imagine pas dans nos régions. En même temps, ces gens ont très souvent un goût de la vie qu’on a perdu chez nous, une saveur, une authenticité, un sens de la fête, une convivialité, quelque chose d’indéfinissable. Ca m’a fait énormément réfléchir sur notre mode de vie occidental. »

Certaines situations touchent juste jusqu’à la nausée: la soirée avec les amis où l’on parle immobilier autour de l’apéro, le SDF qui vient toquer à la fenêtre de la voiture et qu’on détourne la tête pour ne pas voir. Par moments, un peu d’humour grinçant sur la société de consommation ou les préoccupations des gens de différentes époques, le matin au réveil, vient pimenter l’atmosphère globalement plombante. Sans jamais prétendre dénoncer quoi que ce soit, sans même la moindre once de mépris pour son protagoniste mais avec une ironie assez lourde, « Coeur glacé » met en évidence l’insupportable vacuité des first world problems – les problèmes de la classe moyenne occidentale, disons.

Graphiquement, l’album est superbe, avec une majorité de ligne claire et d’aquarelle, mais aussi des emprunts à d’autres styles et même quelques photos ou illustrations de pub intégrées de manière très ingénieuse, ainsi que des dessins pleine page emprunts d’une poésie mélancolique. Bref, un album de très grande qualité, mais à ne pas mettre forcément entre toutes les mains!

4 réflexions sur “« Coeur glacé », ou la chronique d’un pauvre petit Occidental bien nourri”

  1. C'est vrai qu'il nous faut admettre (ou pas) notre banalité et le fait qu'on appartient tous à un "groupe sociologique" y compris si on a l'impression d'avoir du recul sur soi,du second degré,de la lucidité etc,ça ne fait pas de nous des personnes échappant à une bête catégorie.C'est décevant,voire flippant,mais à moins de devenir une serial killeuse ou un prix Nobel (mieux),je ne vois pas comment y couper…

  2. Après avoir lu ce billet j'étais très intriguée par cette BD…je crois que j'espérais secrètement y trouver une réponse ou peut-être une autre version de la même chose…Je me disais que si une œuvre était consacrée à la banalité des choses, c'est que ses créateurs avaient peut-être trouvés LE twist, THE "way out" jusqu'ici insoupçonné et qui justifierait tout…le vide, le non-sens et surtout ce désespoir latent, à peine dissimulé, qui nous ronge et nous use, nous les chanceux consommateurs…sur fond de count down. Mais ce n'est pas ici que nous trouverons de l'espoir, la perte de sens dans notre société semble sans issue…A ne pas lire un dimanche après-midi pluvieux. Nous c'était un samedi soir, et c'était limite 🙂

  3. vi je sais…mais j'espèrais qu'on y trouverait peut-être quelque chose…enfin bon. Je crois qu'on doit continuer à chercher, mais à l'intérieur de nous 🙂 bonne soirée Armalite, et merci pour ce blog, il est très beau et enrichissant !

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