Où je manque de peu le sans-faute karmique

Samedi matin, encore toute auréolée du bon karma de mes efforts de sociabilité de la veille, je prends le TER pour me rendre à Grandeville. Je profite des 13mn de trajet au frais pour descendre quelques pages de « Salaam London » qui est décidément un excellent bouquin. Lorsque j’arrive, il est à peine 11h, trop tôt pour aller manger. Je me dis que je vais jeter un coup d’oeil aux fins de soldes pour tuer le temps jusqu’à midi.

La vive lumière du jour délave le bleu du ciel sans nuages et blanchit uniformément les rues. En passant coup sur coup sur les deux seuls cinémas restants de la ville, je constate avec tristesse qu’ils ne passent aucun des films que j’aurais aimé voir: plus de « Starbuck », pas de « Je me suis fait tout petit » ni de « Cinq ans de réflexion », et « Le Lorax » seulement en VF et en 3D, argh. Devant un vieil immeuble pseudo-haussmannien, un homme à l’air perdu m’aborde. « Excusez-moi, je suis mal voyant, je dois déposer un courrier dans la boîte aux lettres de ma dermato qui se trouve à l’intérieur du hall, mais je n’arrive pas à trouver le bon interphone. » Le nom de la dermato ne figure sur aucun bouton. Je sonne aux deux qui ne portent pas de nom: pas de réponse. Tant pis, je sonne à tous les autres jusqu’à ce que quelqu’un m’ouvre la porte, et puis j’aide le monsieur à repérer la bonne boîte. Il me remercie chaleureusement et, comme le remercier en retour de m’avoir fourni l’occasion d’une BA à peu de frais me semble manquer de tact, je me contente de lui souhaiter une bonne journée. 

Chez Cache-Cache, un petit sac-cartable en synthétique me fait de l’oeil. Normalement, je n’achète que du cuir, mais à ce prix-là, on va dire qu’aujourd’hui j’ai décidé d’épargner une vache. A la caisse, je compatis au malheur de la vendeuse: la clim du magasin est cassée alors qu’il fait plus de trente degrés dehors. Elle me signale qu’il me manque cinq euros d’achats pour avoir droit à… une réduction de cinq euros, donc j’embarque une parure collier et boucles d’oreille en triangle. Comme je n’ai pas les oreilles percées, je propose de lui donner les boucles. Craignant d’être accusée de vol par son patron, elle préfère refuser. Bon, ça ira dans le sac pour la prochaine troc party, le 16 septembre. Encore un quart d’heure à tuer; je rentre chez Texto où je n’achète jamais rien non plus sous prétexte de cheapitude. La paire de compensées qui me plaît n’est plus disponible dans ma taille. « Mais allez donc regarder à l’étage, vous trouverez peut-être quelque chose qui vous plaît », suggère la vendeuse, dont le bronzage terracotta et le maquillage prononcé m’empêchent d’estimer son âge dans une fourchette de 25 à 45 ans. Je monte sans conviction, pour passer le temps… et là, je tombe sur une ravissante paire de ballerines en cuir corail ouvertes au bout et découpées de partout. Il reste ma pointure. Je les essaie en me disant qu’elles doivent être raides comme tout et faire mal aux pieds: elles sont méga souples et confortables. Bon. Ben ça sera ma paire du mois (et tant pis pour la vache de tout à l’heure).

Déjeuner au restaurant Sur la place, où je suis la première cliente. J’adore cet endroit à l’écart de l’agitation des rues commerçantes, sa fontaine glougloutante, ses arbres grouillants de cigales qui fournissent une ombre bienvenue, ses petites tables gaiement colorées, sa carte avec des plats chaque jour renouvelés, tous au même prix et systématiquement délicieux. Je prends une ardoise fraîcheur avec velouté de petits pois à la menthe, brousse au concombre, brochettes de melon, salade italienne haricots verts-tomates-oignons rouges-coppa-copeaux de parmesan-pignons. C’est un régal. Je bouquine un peu le temps de digérer en attendant mon dessert: une Tatin abricot-romarin servie avec une boule de glace à l’abricot dont la douceur contraste agréablement avec l’acidité du fruit cuit. Miam. Le vin rouge servi au verre n’est vraiment pas terrible, mais tant pis: je complimente la patronne pour sa cuisine du marché si fraîche et son service toujours nickel avant de repartir ravie.

Sur la place
Place dame Sibille
83000 Toulon
L’après-midi, je passe voir Kiki au magasin où elle bosse, puis je descends sans me presser vers le centre commercial. De grosses machines sont en train de nettoyer la chaussée après que les commerçants du marché ont remballé leurs étals; une betterave pleine de terre gît abandonnée dans un caniveau, et je ralentis encore le pas pour ne pas m’éclabousser toute seule avec l’eau accumulée dans les rainures du sol. Je m’arrête chez le torréfacteur pour racheter du thé à préparer glacé, car mes stocks monpatelinois sont au plus bas. Je reprends deux grands classiques, le thé du Hammam et le thé des Alizés du Palais des Thés et, sur le conseil du propriétaire, je teste aussi le thé de la Martinique, mélange à l’ananas dont il est infoutu de me citer la provenance mais qui sent délicieusement bon. 
Le rideau de fer de la grande parapharmacie pas chère qui se trouve dans la galerie commerçante est cassé. Il faut faire le tour par l’extérieur et traverser la réserve pour accéder au magasin, dont la clientèle est du coup plutôt rare en ce samedi. Une vendeuse pas franchement débordée m’aide à trouver le Photo-Reverse dont on m’a vanté les propriétés miraculeuses contre les taches d’hyper-pigmentation. Je manque m’évanouir à la vue du prix. « En ce moment, il est en promo, le deuxième à moitié prix. » Euh, à 64€ le tube, je vais commencer par le tester avant de faire des stocks. Comme j’achète aussi deux produits Avène dont un solaire, j’ai droit à un coffret-cadeau avec un mini-brumisateur d’eau thermale, un tube de crème après-soleil, un sac à maillot et un immense cabas de plage qui tombe à pic pour que j’y regroupe tout mon shopping. Chouette! A la Fnac, on m’informe que j’ai cumulé assez de points pour avoir droit à un chèque cadeau de 10€; en l’absence du tome 5 des « Gouttes de Dieu » au rayon manga, j’en profite pour me faire un petit plaisir régressif et m’offrir le tome 1 de « Hikari no densetsu« , plus connu des Françaises de ma génération sous le nom « Cynthia ou le rythme de la vie ». Comme je me dirige vers les caisses, je passe près d’une minuscule fillette de trois ans maxi qui feuillette un énorme roman d’un air fasciné. « Tu ne trouves pas qu’il y a un peu trop de choses à lire pour toi? » demande sa maman, amusée. Je lui fais les gros yeux et souffle: « Chut, ne la découragez pas! ». Nous échangeons un sourire. 
Quand je ressors de la Fnac, il est à peine 15h30. Je n’ai pas d’autres courses à faire, mais pas non plus envie de rentrer déjà chez moi alors qu’il fait si beau. Je troque les compensées qui commencent à me faire mal aux pieds contre mes nouvelles ballerines corail et rebrousse chemin jusqu’à la place de l’Opéra. Confortablement installée dans un fauteuil en osier, je parcours le Biba de septembre et le dernier Marie-Claire avec Vanessa Paradis en couverture. Mon portable sonne; c’est un faux numéro (sauf si on m’a rebaptisée Yvonne à l’insu de mon plein gré). Le monsieur à l’autre bout du fil s’excuse; je lui dis que ce n’est pas grave et je lui souhaite une bonne journée. En partant, je propose à une dame également seule qui vient de s’installer à la table d’en face de lui laisser mes magazines, puisque je les ai terminés. Surprise, elle accepte volontiers. Et je remonte vers l’avenue pour prendre mon bus. 
Il arrive après dix minutes d’attente. Je monte et demande joyeusement un ticket au chauffeur. Le type qui était en train de discuter avec ce dernier singe ma voix haut perchée et chantante avec un sourire goguenard: « Un ticket s’il vous plaît! ». Je le fixe d’un regard mauvais. « Oh ben quoi, je plaisante, faut savoir rigoler dans la vie. » Ma réponse tombe, glaciale: « Je rigole seulement quand c’est drôle. »
Si près. Je suis passée si près de la parfaite journée Zénitude & Amour de mon prochain.

8 réflexions sur “Où je manque de peu le sans-faute karmique”

  1. La Princesse

    Attends, je dis "objectif parfaitement atteint" pour cette journée.

    Amour de son prochain, ça veut pas dire "Tendre la joue à tous les cons qui passent" non plus 😉

    (Ah j'aidonc des progrès à faire dans la catégorie je pense)

  2. J'apprécie ces articles où l'on a l'impression de te suivre durant toute ta journée !

  3. On aurait presque pu se rencontrer ;)) Et je confirme, le rideau de fer de la grande pharma du Centre est toujours coincé….

  4. Oh ! Puis-je faire un peu de HS et rebondir sur un petit détail ?

    J'ai testé le thé du Hammam que j'ai beaucoup chaud, mais… froid ça ne passe pas. Tu le sucres ? Tu y mets des rondelles de citrons ou d'orange ? ou tu le bois juste comme ça ?
    (je veux réussir trouver un thé froid qui me plaise sans succès et commence sérieusement à me demander si c'est mon mode de préparation qui ne convient pas…)

    Merci, merci…

  5. Personnellement, je le bois tel quel. Environ 4 cuillères à café de thé, infusé pendant 4 à 8h dans un litre d'eau froide au frigo. Je sais que certaines personnes rajoutent du sucre, je trouve que c'est une hérésie mais je doute que la brigade du thé vienne les arrêter pour ça ^^

  6. Je dois probablement avoir un problème de proportion… Le palais des thés fait des sachets plus grand pour faire du thé froid (8gr si mes souvenirs sont bons), mais avec un temps d'infusion de 30 minutes ^^. Merci de ta réponse 😉

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