
Certaines de mes interactions sociales ont un coût énergétique peu élevé. Si je déjeune avec ma Ministre de Tout et ma Générale des Embrouilles, ou que je passe deux jours à écumer les musées et les magasins avec Isa – bref, si j’échange avec des gens qui me connaissent bien et qui acceptent grosso modo ma manière de fonctionner -, je n’ai pas besoin de temps pour m’en remettre. Je vais rester seule dans mon coin pendant les trois jours suivants, mais je pourrai vaquer à mes autres activités.
En revanche, en cas d’interaction sociale émotionnellement lourde – avec ma famille ou les gens du boulot, par exemple -, je mets longtemps à trouver le sommeil le soir même, et je ne suis bonne à rien le lendemain. Je me repasse tout ce que j’ai dit en me demandant si je me suis bien fait comprendre, si je n’ai pas été trop directe selon les normes neurotypiques, si je n’ai pas fait ce que la plupart des gens considèrent comme de l’humour de mauvais goût, si je n’ai pas gaffé sans même m’en rendre compte. (Quand j’ai gaffé et que je m’en suis rendu compte, c’est bien pire: j’y pense encore des années après.)
Toute seule chez moi, je poursuis la conversation à voix haute, en reformulant et en ajoutant des précisions. Je répète mes phrases plusieurs fois en changeant de ton pour trouver celui qui serait le mieux passé. Je cherche une manière plus acceptable de présenter les choses. Je redoute d’en avoir trop dit ou pas assez. J’imagine la façon dont mes interlocuteurs m’ont perçue, et c’est rarement flatteur. Je me persuade que tout le monde m’a trouvée bizarre, ou trop bavarde, ou trop péremptoire, ou que les gens se sont mépris sur mes intentions. Je m’en veux quand j’ai été trop militante, et je m’en veux quand je ne l’ai pas été assez. Ca m’épuise.
Si j’ai révélé des choses trop personnelles dans le feu de l’action, je le regrette atrocement, et ça me donne juste envie de me replier encore plus sur moi-même. Voire de cesser toute communication avec les personnes concernées. Je préfère qu’on me voie comme un robot ou une sorcière, plutôt qu’on sache où et quand j’ai mal.
Même quand j’ai passé un bon moment, je ne suis jamais certaine que ça a été réciproque. Les neurotypiques sont toujours en train de mentir avec leur visage ou avec leurs mots, parce que leur priorité consiste à ne pas faire de vagues, à maintenir un certain statu quo et à ne surtout pas froisser la personne d’en face. Moi, ma priorité, c’est d’avoir une parole vraie en toutes circonstances. Pas forcément d’assener des vérités qu’on ne me demande pas, ou de raconter des choses que je préfère passer sous silence. Mais je refuse de déformer mes pensées, mon opinion et ma réalité pour satisfaire aux conventions sociales en vigueur. Et dans ces conditions, c’est très difficile d’avoir des interactions sociales confortables avec les gens qui ne fonctionnent pas comme moi. J’ai toujours l’impression de marcher sur un fil impalpable, en équilibre précaire entre mon intégrité et la sensibilité d’autrui.
Ces interactions-là, elles me filent ce que j’appelle une gueule de bois émotionnelle qui flingue ma journée du lendemain. 24 heures, c’est le temps minimum dont je vais avoir besoin pour décortiquer et digérer ce qui a été dit. Pour reconstituer mes réserves d’énergie mentale, vidées à toute allure par la nécessité de peser au préalable chacun de mes mots et de mes gestes, d’essayer de contrôler mes expressions et mon langage corporel qui me trahissent trop souvent.
Bref: hier, j’ai dîné avec mon oncle et ma tante, et aujourd’hui, je n’ai pas été fichue de traduire un seul signe.
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