En ce jeudi matin, nous quittons notre appart-hôtel de York vers 9h20 pour prendre un train de retour vers Londres, où nous resterons jusqu’à lundi prochain. Après quatre séjours ensemble dans des hôtels de plus en plus chers et de moins en moins bien, ça faisait dix ans que nous n’avions pas remis les pieds dans la capitale anglaise. Mais cette fois, nous avons un projet de shooting bien précis en tête pour ce week-end.
Au terme d’un voyage sans histoire, nous arrivons pile à l’heure à King’s Cross. Comme nous sommes très chargés, nous décidons de prendre un Uber plutôt que de nous infliger un trajet en métro + bus. Notre chauffeur nous conduit jusque dans le quartier d’Islington, dans l’est de la ville. Nous y avons réservé une très jolie chambre avec salle de bain et entrée indépendante chez Frank, un photographe primé désormais à la retraite. Pendant que Chouchou s’extasie sur les beaux livres de photos, je passe en revue les romans dont j’ai lu et adoré à peu près 50%: « Jonathan Strange & Mr Norrell », « The time traveler’s wife », « Eleanor Oliphant is completely fine », « The corrections »…
Une fois installés et rafraîchis, nous regardons comment gagner le centre… et nous apercevons que nous sommes plus ou moins dans un trou de transports en commun. La première station de métro est à un quart d’heure de marche, et elle ne se trouve même pas sur une des lignes principales mais sur l’Overground. Qu’à cela ne tienne: après avoir vérifié que nous pouvions payer à bord en Contactless, nous allons prendre un bus qui nous conduit lentement mais confortablement jusqu’à Tottenham Court Road. Bien sûr, nous nous asseyons à l’étage, et bien sûr, Chouchou veut être tout devant – c’est un de ses glimmers, et on ne discute pas avec les glimmers.
Premier arrêt en ce début d’après-midi: le Butterfly Trail, une immense installation vidéo en réalité mélangée – ce qui signifie que les spectateurs peuvent interagir avec les écrans au moyen de QR codes. L’accès est libre et franchement, c’est très bien fichu.
Nous y passons un assez long moment avant de nous diriger vers un de mes stops londoniens historiques: le Forbidden Planet. La librairie a bien changé depuis que je l’ai découverte au début des années 1990; désormais, on y vend plus de produits dérivés que de livres. La foule nous aide à réfréner nos impulsions d’achat. Nous sommes sur le point de ressortir les mains vides quand Chouchou me dit: « Tu as vu? » et me désigne une affichette devant laquelle j’étais passée sans la remarquer. Terry Moore, l’auteur de mon comics préféré « Strangers in Paradise », sera en dédicace aujourd’hui à 18h.
Ma première pensée: « C’est un signe de l’univers! » Et certes, je ne crois pas du tout aux signes de l’univers, mais Terry Moore est américain et depuis presque 30 ans que je le lis, je n’ai encore jamais eu la moindre occasion de le rencontrer. Immédiatement après, mon cerveau rationnel intervient. « Tu as déjà tous ses bouquins, donc tu devrais en racheter un et te le trimballer jusqu’à Bruxelles, puis Tonpatelin. Sans parler du fait qu’il te faudrait piétiner dans une file d’attente pendant tu ne sais pas combien de temps, au milieu de tu ne sais pas combien de gens, dans une boutique à l’atmosphère étouffante. Tout ça pour dire à quelqu’un qui a déjà dû l’entendre un million de fois « J’aime beaucoup ce que vous faites », et récupérer un dessin que tu regarderas peut-être ensuite trois fois dans ta vie. » Sagement, je décide de ne pas saisir cette occasion unique. (Plus tard, j’avoue: je regretterai un peu.)
Chouchou se rend compte qu’il a oublié à l’Air BnB le câble qui lui permettrait de recharger son iPhone avec sa batterie de secours, et il est peu probable qu’on tienne jusqu’à la fin de la journée avec ce qui lui reste. Nous nous mettons donc à la recherche d’un Apple Store pour racheter un câble, ce qui se révèle plus compliqué que prévu et suscite un peu de grogne dans les rangs.
Enfin munis du précieux accessoire, nous nous dirigeons vers Cecil Court, une rue dans laquelle se succèdent des tas de bouquinistes spécialisés. J’y allais uniquement pour prendre des photos, mais à ma grande surprise, je finis par y faire mon premier achat londonien: une belle édition de « The master and Marguerite », que j’ai lu et adoré dans une bête version poche française quand j’avais 18 ou 19 ans. Je suis encore plus surprise d’avoir fait cette découverte dans une librairie ésotérique qui empeste l’encens et où une voyante reçoit des clients dans une alcôve. S’il y a bien un genre d’endroit où je n’imaginais pas dépenser des sous un jour…
Il commence à pleuvoir; j’ai faim et envie de faire pipi. Nous nous arrêtons au Wa Café, une pâtisserie japonaise où, au terme d’un peu d’attente car l’endroit semble très populaire, nous réussissons enfin à obtenir une table. Après avoir hésité entre un cheesecake et un strawberry shortcake (mes deux gâteaux japonais préférés), j’opte pour le second, qui se révèle divin. Chouchou choisit le Gâteau Matcha et se régale également. Pour arroser le tout, un ice tea glacé au yuzu.
Nous passons ensuite chez Gosh! Comics, où je craque pour une collection d’essais graphiques sur l’incertitude, puis faisons un petit tour au magasin Wolf & Badger voisin où je résiste au chant des sirènes d’une paire de pantoufles en peluche blanche ornées de superbes broches rouges et roses « Fuck » et « Off ». Nous terminons cette virée shopping chez House of MinaLima (le studio de design responsable des décors des films « Harry Potter », qui a également produit de splendides éditions illustrées et pop-up de nombre de classiques de la littérature enfantine). En arrivant sur place, j’hallucine à la vue de la queue devant la porte d’entrée. Mais nous prenons notre mal en patience, et nous faisons bien, car à l’intérieur, la galerie sur deux étages est absolument magique.
Nous rebroussons chemin jusqu’au Singapulah, un restaurant singapourien repéré un peu plus tôt: plus d’une vingtaine de personnes font déjà la file devant. Même chose devant tous les endroits tentants dans Chinatown. Nous finissons par atterrir chez Old Chang Kee, un snack singapourien (parce que quand j’ai une idée dans la tête, je ne l’ai pas dans les pieds) où nous mangeons de la street food toute simple mais pleine de saveurs. Le patron nous offre même un succulent chausson au curry en plus de notre commande.
Repus, nous faisons encore un arrêt dans un Sainsbury’s pour acheter de quoi petit-déjeuner demain matin. Puis, tête baissée sous la pluie, nous allons reprendre le bus vers notre Air BnB. Il ne nous reste que quelques arrêts quand un crétin monté avec une canette de bière ouverte trébuche dans l’escalier et nous arrose copieusement. Bien entendu, ce sont surtout nos manteaux qui ramassent. La suite de notre séjour londonien sera donc parfumée au houblon de 3ème catégorie. O joie.