I’m not nice but I’m a good person

Hier midi, alors qu’on se goinfrait en choeur de Pavlova à la fraise, ma Ministre de Tout m’a raconté une bévue sociale récemment commise par son compagnon. J’en suis restée perplexe tel un Colvert face à une brosse à dents électrique: « J’aurais dit exactement la même chose. Je ne vois pas où est le problème ». Ma Ministre de Tout et sa fille (à qui il va falloir que j’attribue un poste dans mon gouvernement de futur Maître du Monde. Commandante en Chef des Embrouilles? Nous verrons.) …Elle et sa fille, disais-je, ont poussé de hauts cris et entrepris de me démontrer avec véhémence que non non non, on ne pouvait pas faire ça.

Je les ai crues sur parole, parce que ma Ministre de Tout possède une intelligence relationnelle très fine; je ne connais personne qui soit mieux capable qu’elle de charmer à peu près n’importe qui dans n’importe quelles circonstances. N’empêche que je ne comprenais toujours pas, et que j’ai in petto rangé le bouzin dans l’immense fourre-tout des Principes Illogiques et Contre-Productifs Inventés par les Neurotypiques pour Compliquer la Vie des Personnes Sensées.

Les règles de la communication humaine me passent totalement par-dessus la tête. J’ai une approche du dialogue 100% pragmatique et directe. Je ne dis pas tout ce que je pense: s’il me semble que ça fera de la peine à mon interlocuteur.ice, je garde les choses pour moi. Mais si on me pose une question, je donne la vraie réponse. Souvent, des faits qui me semblent neutres et que j’énonce sans mettre aucune émotion derrière sont perçus comme des reproches, voire des agressions.

Ne parlons même pas des fois où je suis censée deviner ce que la personne d’en face veut réellement entendre; ce sont des jeux mentaux débiles auxquels je refuse de participer. Si je dis « Vert », ce n’est pas « Rouge ». Si je dis « Non », ce n’est pas « En fait oui, mais je veux me faire prier ». En retour, je prends toujours ce qu’on me dit pour argent comptant. Vous vouliez autre chose? C’est votre problème; je ne suis pas télépathe et vous n’aviez qu’à être plus clair.e. Et si quelqu’un a le malheur de sortir une blague raciste ou une énormité sexiste devant moi… Dieu le préserve de la charge à fond de train du cheval de mon militantisme, jamais enfoui bien loin sous la surface des conventions. (Le militantisme, pas le cheval).(Pauvre bête.)

Moyennant quoi, il n’existe aucun univers alternatif dans lequel je suis considérée comme quelqu’un d’aimable. Polie, oui: je m’efforce toujours de l’être, à moins qu’on m’ait sérieusement cassé les noix. Drôle et intéressante: ça peut arriver si je suis bien lunée, qu’il me reste des cuillères et qu’on me lance sur un de mes sujets de prédilection. Mais chaleureuse et sympathique, non. (Cette personne-là, c’est ma Ministre de Tout, pour les gens qui ont suivi; or il ne me semble pas utile de dédoubler les profils dans mon futur gouvernement.) Et après m’être longtemps débattue avec cette idée, parce que c’est quand même moyennement sexy d’être considérée comme un dragon sarcastique, j’ai fini par m’y faire. Mieux, par le revendiquer.

Des gens chaleureux et sympathiques qui, dans le fond, étaient des hypocrites, des lâches, des tire-au-flanc ou des manipulateurs, j’en ai connu plein – le Chacal Jaune en tête, mais la compagnie est longue. J’ai passé ma vie à m’adapter aux façons de faire des neurotypiques, et je continue dans certains domaines faute de choix. Masquer pour inspirer de l’affection, par contre, c’est non. Je pourrais très bien apprendre par coeur les règles de la communication sociale et les appliquer même quand je les trouve stupides. D’autres autistes le font pour arriver à survivre. Je n’en connais aucun que ça ait rendu heureux, ou à qui ça ait ne serait-ce que rapporté de vraies connexions humaines.

Je n’ai pas besoin qu’on m’apprécie. J’ai besoin de m’apprécier, moi. Je suis la seule personne avec qui je vais passer 100% du reste de ma vie. Par conséquent, je m’emploie à vivre en accord avec mes valeurs personnelles: honnêteté, intégrité, équité et bienveillance. Parfois j’échoue sur le dernier point, mais l’intention y est toujours. Tant que je suis droite dans mes bottes, tant que je peux me regarder dans la glace et dire: « Tu n’es pas parfaite, mais tu es une bonne personne », je peux tout à fait supporter de ne pas être la fille la plus populaire du lycée.

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