Parfois, on attend avec impatience le nouveau roman d’une autrice qu’on adore, et finalement on est déçue. Parfois, on se jette sur un livre dont le sujet tape pile dans nos centres d’intérêt en se disant qu’on va passer un super moment et… en fait, on s’ennuie.
Et puis parfois, à l’inverse, on peut être bouleversée par un roman sorti de nulle part, que rien ne destinait à finir entre nos mains. Pour moi, ce fut le cas de « Someday, maybe ». Je n’en avais jamais entendu parler jusqu’à ce que, grimpée sur l’échelle d’une librairie anglaise pour prendre une photo, je tende la main vers un ouvrage situé de telle sorte que mon bras serait pile dans la bonne position. Clic. Je l’ai tiré à demi de son étagère. L’illustration de couverture était vraiment belle. Clic. Intriguée, je l’ai retourné et j’ai parcouru la quatrième de couverture.
Here are three things you should know about my husband:
1. He was the great love of my life despite his penchant for going incommunicado
2. He was, as far as I and everyone else could tell, perfectly happy.
3. On New Year’s Eve, he killed himself
And here is one thing you should know about me:
1. I found him.
Bonus fact: No. I am not okay
Une chose que vous devriez savoir sur moi, c’est que l’une des pires peurs de ma vie, c’est que Chouchou meure avant moi. Et puis, bien que pas spécialement riant, le sujet du deuil et du chagrin fait partie de ceux qui m’interpellent de plus en plus au fil du temps. J’ai donc emporté « Someday, maybe » à la caisse avec le nouveau Rebecca Makkai (dont j’espérais beaucoup et qui, ironiquement, est tombé dans la toute première catégorie citée au début de cet article).
C’est donc l’histoire d’Eve, une Londonienne d’origine nigériane âgée de 32 ans et mariée depuis 10 ans à un photographe blanc issu d’une famille très riche. Quentin a coupé les ponts avec son milieu d’origine pour suivre sa vocation artistique, mais il demeure en contact régulier avec Aspen, sa mère veuve qui déteste Eve et la tient responsable de toutes les façons dont la vie de son fils a dévié des attentes qu’elle avait pour lui. Pourtant, le couple semble très heureux. Jusqu’à ce réveillon du Nouvel An où Eve retrouve le corps de Quentin baignant dans son propre sang.
Elle sombre alors dans un gouffre d’incompréhension et de chagrin dévorant. Sa famille chaleureuse, presque envahissante, et sa meilleure amie qui est une vraie force de la nature l’entourent de leur affection et de leurs soins, mais rien n’y fait. Eve se repasse le fil de son mariage en quête de signes, culpabilise de ne pas avoir vu que son mari allait aussi mal, s’abrutit d’alcool et de médicaments pour atténuer la douleur, ignore les appels furibonds et les accusations extravagantes de sa belle-mère. Jusqu’au jour où elle fait une découverte qui va complètement changer la donne…
350 pages de souffrance aiguë, exprimée avec tant de talent et de force qu’il est impossible de ne pas la ressentir aussi, de ne pas désespérer avec Eve et avoir envie de suspendre Aspen avec ses propres intestins (mais peut-être que c’est juste moi). Pourquoi me suis-je infligé ça? me demanderez-vous. Parce que l’écriture est belle, juste, pleine de saillies d’un humour tellement acide qu’on grimace à la lecture de certaines réflexions d’Eve comme si on avait mordu dans un citron. D’autres passages, sur la nature et la mécanique du deuil, m’ont particulièrement touchée:
Nobody tells you that to grieve is to shoulder the expectation of others. The requirement is that you mourn in silence, cloak yourself in dignity and make others comfortable.
Grief makes you believe you are special, its one and only; like it is not careening around destroying millions of lives every day and is devoting all its unwanted attention on you.
I am brought back to the inescapable fact that lives are lived outside of mine and people are not mere characters in my story but are stories all of their own.
I will sit before others and they will ask my story, and I will tell them my husband died, but this will become a footnote when right now it is the entire plot.
Roman magistral sur un sujet difficile, « Someday, maybe » a tellement résonné en moi que tout de suite après l’avoir fini, j’ai écrit à l’autrice sur Instagram pour la remercier. Si vous vous débattez ou vous êtes débattue un jour avec un deuil douloureux, peut-être retournera-t-il le couteau dans la plaie, ou peut-être vous aidera-t-il à vous sentir comprise et moins seule. J’espère qu’il sera prochainement traduit en français.
Je note, merci pour la recommandation.