La nuit n’a pas été bonne; je me réveille à 6h avec le dos en compote et zéro enthousiasme pour l’activité du jour. Sans même parler de mes visions (probablement) irréalistes de noyade souterraine… Et si les galeries étaient trop étroites et que j’avais l’impression d’étouffer? Et s’il y avait suffisamment d’humidité pour me faire péter les plombs comme pendant cet escape game en sous-sol de triste mémoire? Et si je faisais une attaque de panique à littéralement cent mètres sous terre? C’est avec des pieds de plomb que je me prépare et suis Chouchou jusqu’à l’arrêt du tram, puis à travers la gare centrale en quête du bus spécial « mines de sel ». Le trajet est assez long, trois bons quarts d’heure, mais nous avons de la chance: montés au départ de la ligne, du moins sommes-nous assis tout le long.
Arrivés à Wieliczka, nous nous empressons d’aller récupérer nos billets au guichet en échange de notre numéro de réservation en ligne, puis nous allons manger dans un resto à touristes voisin. Pour accompagner mon escalope de porc, je me dis que quelques légumes ne me feraient pas de mal, et j’opte pour une soupe à la tomate. Moins d’une minute plus tard, le serveur m’apporte une assiette fumante contenant un demi-paquet de fusilli, l’intégralité d’une plaquette de beurre et l’équivalent d’une tranche (fine) de tomate liquéfiée. C’est ce qu’on appelle un epic fail.
A 13h50, nous allons faire la queue sous le soleil dans la file marquée « english tour ». Notre groupe de 30 personnes se compose très majoritairement de Français – et on ose prétendre que mes compatriotes sont mauvais en langues! Notre guide nous entraîne à l’intérieur deux minutes après le groupe précédent et deux minutes avant le groupe suivant. Quelle usine! J’avais lu que le circuit touristique (le plus court et le moins physique parmi les 3 proposés) comportait 800 marches et descendait à 135 mètres de profondeur. En comptant une moitié pour descendre et l’autre pour remonter, une simple division donnait des marches qui m’arrivaient aux genoux, ce qui m’inquiétait quelque peu. En réalité, on ne fera quasiment que descendre: à la fin, un ascenseur nous ramènera à la surface. Ouf! N’empêche que l’interminable suite de volées de sept marches qui nous permet d’atteindre le niveau 1 sur 9 me donne l’impression d’avoir été projetée dans « La maison des feuilles » de Mark Z. Danielewski… (Chouchou, qui a filmé tout le long, m’informe qu’en réalité, ça n’a duré que 6 minutes.)
Je suis assez vite rassurée sur les conditions matérielles de la visite. Les galeries sont larges, pas toujours très hautes mais je rappelle que je suis un Minipouss, et ni froides ni particulièrement humides (je regrette même de m’être encombrée d’un sweat-shirt). Tant que j’évite de penser aux milliards de tonnes de pierre qui s’entassent au-dessus de ma tête et à l’impossibilité de regagner rapidement la surface, tout va bien. Je ne peux hélas guère me focaliser sur les explications du guide: entre son accent très prononcé et les bavardages des autres membres du groupe, je capte à peine une bribe de phrase par-ci par-là. Alors, je me contente d’ouvrir les yeux et d’admirer la fabuleuse ingénierie qui permet l’exploitation continue de cette mine – de nos jours, la plus grande d’Europe – depuis plusieurs siècles. Comme toujours, ma perception de la réalité est toute personnelle. Après avoir sondé avec fascination un monstrueux abysse pendant 30 bonnes secondes, et m’être imaginée laissant tomber un objet dedans pour écouter combien de temps il mettrait à atteindre le fond, je réalise qu’il s’agit de la surface d’un lac reflétant le puits qui se trouve au-dessus. Hum.
Ce que je vois me désarçonne quelque peu. Je m’attendais à des stalactites de sel, des carrières souterraines, voire des gros tas de blocs bruts – or nous traversons chapelle sur chapelle, séparées les unes des autres par quelques dioramas explicatifs et statues de grands personnages historiques, avec à peine quelques dépôts blanchâtres de-ci de-là. J’imagine que la véritable extraction a lieu plus bas, dans les niveaux où nous n’irons pas. Mais comme très souvent, le décalage entre mon imagination et la réalité est une source de déception que je dois faire un gros effort pour surmonter. Reste tout de même des visions étonnantes. « Regarde, une salle de bal! » m’écrié-je à l’attention de Chouchou en découvrant un vaste espace au plafond duquel pendent des lustres en cristaux de sel. « Non, c’est encore une chapelle, juste plus grande que les autres », me détrompe-t-il impitoyablement. Et en effet, une effigie de Jean-Paul II se dresse dans le fond. Franchement, ma version était beaucoup mieux.
Au bout d’une heure 45, la visite touche à sa fin. Avant de quitter le guide, je lui demande si la boutique de souvenirs souterraine à côté de laquelle il nous laisse est la seule, ou s’il y en a d’autres à la surface. Il me répond sur un ton goguenard que l’équipe de marketing du site compte 20 personnes toutes très motivées pour me prendre mon argent et que par conséquent, oui, il y a d’autres boutiques à la surface. Mais pour regagner cette dernière, je suis contrainte de m’entasser dans un clapier d’un mètre carré avec 5 autres adultes et 2 enfants. Quand la porte se referme avec peine, je prends une grande inspiration et, pressée dans un coin derrière le bras tendu du Chouchou, je me concentre sur une seule chose: les courants d’air froid sur mon visage, qui indiquent que nous remontons très vite. Les vis qui brinquebalent et les parois qui tremblent n’existent pas, je refuse d’admettre leur réalité. Je ne veux surtout pas savoir à combien est ma tension là tout de suite.
Après tout ça, j’estime que j’ai mérité de m’offrir le collier d’ambre verte d’un prix pas du tout raisonnable qui attire mon regard dans une vitrine. Il ira très bien avec mes robes en lin, et chaque fois que je le porterai, il me rappellera que je peux faire des choses difficiles (pas forcément dans l’absolu, mais pour moi, mes TSA et mon TAG). Dans la même veine, j’estime que j’ai mérité de rentrer à Cracovie en taxi plutôt que de me retaper une heure et demie de transports en commun bondés alors que je suis nerveusement à plat et que Chouchou donne de gros signes de fatigue. D’habitude, je déteste remettre ma vie entre les mains d’un inconnu qui tente de m’arnaquer une fois sur deux selon mes statistiques personnelles, mais là, nous avons convenu du prix à l’avance; il roule calmement et son mini-van climatisé est super confortable. C’est ce que j’appelle 25€ très bien investis.
Le soir, je dis à Chouchou: « Il faut vraiment que je mange des légumes. On prends des plats à emporter dans un resto végétarien? » Il lance une recherche internet dans le quartier, mais rien ne m’inspire. « Je me ferais bien un thali; tu précises indien végétarien? » …Chou blanc. « Ou juste indien, d’ailleurs; tous les restos indiens ont des plats végétariens. » Sauf que lorsque je me retrouve confrontée à une carte normale, une voix sort de ma bouche à l’insu de mon plein gré pour réclamer un butter chicken, un riz basmati et un garlic naan. Caramba, encore raté.