Les côtés positifs de l’anxiété chronique

Ca va bientôt faire douze ans que mon anxiété chronique me pourrit la vie dans les grandes largeurs. Tous mes efforts pour la contrer n’ont réussi qu’à procurer des répits occasionnels et me doter d’une panoplie d’outils qui, sans être miraculeux, me permettent de la gérer au quotidien – plus ou moins bien selon les périodes et la gravité des déclencheurs, mais ceci est une autre histoire. Aujourd’hui, je voulais vous parler des effets positifs de cette anxiété chronique. Car même s’ils sont loin de contrebalancer ses effets négatifs, ils existent.

L’anxiété chronique me fait veiller sur ma santé
C’est elle qui me pousse à aller régulièrement chez le docteur, à faire un bilan sanguin et un examen des yeux par an, un frottis tous les 2 ans, une coloscopie tous les 5 ans même si ce n’est pas le truc le plus drôle du monde et que ça nécessite une anesthésie générale à chaque fois. C’est grâce à elle que je m’astreins à porter des chaussettes de contention pendant mes longs trajets en avion. C’est elle qui, depuis que mon généraliste a déclaré que ma tension était à la limite de l’acceptable, me permet de ne céder que rarement à la tentation du sel et du fromage – que j’adore pourtant. Et c’est encore elle qui m’encourage à pratiquer le yoga et à marcher le plus possible (bien que pas encore assez). Je fais partie des « questionneurs » dont la motivation est entièrement interne; sans mon anxiété chronique, les recommandations du corps médical ne suffiraient pas à me faire prendre autant soin de moi. 
L’anxiété chronique me rend efficace sur le plan administratif
Je sais qu’il y a des gens qu’elle met en panique et incite à jouer les autruches sur ce plan comme sur le plan médical. Moi, elle me pousse à anticiper les problèmes potentiels et à tenter de résoudre immédiatement ceux qui surviennent. Ma paperasse professionnelle est toujours à jour. Je sais exactement comment fonctionne l’usine à gaz de mon statut d’auteur, au point que c’est généralement moi qui renseigne mes collègues perplexes. Il y a deux ans, j’ai calculé que c’était avantageux pour moi de passer d’une déclaration de revenus en BNC à une déclaration en traitements et salaires, et j’ai géré toute la bascule (plus complexe qu’on pourrait l’imaginer, et pour laquelle il n’existe aucun mode d’emploi officiel) sans aucune anicroche. 
L’anxiété chronique me rend productive au travail
Quand j’angoisse à mort, si l’heure s’y prête, je me réfugie dans mon boulot. Je concentre toute mon attention sur le texte que je dois traduire, ce qui me permet de m’arracher à la spirale de mes idées noires. Parfois, le temps que j’arrive au bout de ma session, mes pensées catastrophistes ont reflué, et je me sens raisonnablement sereine. Parfois, elles sont toujours tapies en embuscade et me sautent dessus dès l’instant où je referme mon fichier. Mais au moins, j’ai gagné deux heures de répit et 20.000 signes. Et quand les circonstances échappent à mon contrôle, pondre des feuillets facturables est un accomplissement concret auquel je peux me raccrocher, un moyen de me réapproprier un semblant de stabilité. 
L’anxiété chronique m’incite à la prudence
Je mets de l’argent de côté au cas où; je suis bien assurée contre la plupart des accidents de la vie; je ne vais jamais me coucher sans avoir vérifié que ma porte était fermée à clé; j’ai une checklist de choses à faire avant de quitter mon domicile pour plusieurs semaines: couper l’eau et le chauffe-eau, éteindre le chauffage ou la clim… Je n’enregistre mes coordonnées bancaires sur aucun site de vente; je n’utilise pas le cloud; je déchiquette avant de les mettre à la poubelle tous les documents qui pourraient permettre un vol de mon identité. Il existe des tas de problèmes inévitables, mais je fais tout ce qui est humainement possible pour m’épargner les autres. Jusqu’ici, ça a plutôt bien marché – je touche du bois!

L’anxiété chronique me rend plus indulgente avec les autres
Mon plus gros défaut, c’est que je juge tout le monde, tout le temps et assez sévèrement. Souffrir d’un mal d’autant plus invisible qu’il ne m’empêche pas de fonctionner – bien au contraire – constitue une sacrée leçon d’humilité. A me voir évoluer au quotidien, personne ne peut deviner l’enfer mental dans lequel je me débats souvent. Je n’oublierai jamais la fois où j’ai essayé d’en parler à une de mes proches, dans une période où j’allais tellement mal que je n’osais plus prendre le métro seule tant la tentation de me jeter sous un train était forte: elle s’est contentée de hausser les épaules et de me répondre sans une once de méchanceté ou de mépris que j’avais trop de temps pour réfléchir. Du coup, je me dis que je n’ai moi non plus aucune idée de ce qui se passe réellement dans la vie des autres, qu’ils ont peut-être une excellente raison de se comporter comme ils le font, que je ne connais pas leurs luttes intimes et qu’eux aussi font probablement de leur mieux. Je suis bien placée pour savoir que le mieux de quelqu’un, certains jours, c’est pas grand-chose.

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2 réflexions sur “Les côtés positifs de l’anxiété chronique”

  1. Je comprends totalement tous ces "avantages", je valide même !
    Truc rigolo, depuis que je prends un anti-dépresseur pour justement gérer l'angoisse et ses conséquences pathologiques, j'ai remarqué un truc : moi qui étais du genre à arriver hyper en avance pour tout, à partir prendre le bus avec 15mn d'avance, etc. je remarque que désormais je suis limite à la bourre. Et j'ai déjà loupé mon bus une paire de fois…

  2. Je vis avec une personne qui des tocs. Parfois envahissants pour lui (et pour moi). Mais le salon est toujours parfaitement rangé chaque soir et je ne m’inquiète jamais de fermer porte et fenêtre quand on quitte la maison ensemble.

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