
Le mois d’octobre est celui de tous les anniversaires les plus importants de ma vie. Le 19, ma rencontre avec Chouchou. Le 17, la mort de mon père. Et le 4, le début de mon activité de traductrice littéraire. Cette année, cela fait 25 ans que j’exerce ce métier pour lequel je n’ai pas le moindre diplôme. Dans ce laps de temps, j’ai traduit près de 300 ouvrages, essentiellement dans le domaine de l’imaginaire, mais aussi des thrillers, des romans jeunesse, des guides de séries télé et même quelques bédés. Si, crise de l’édition oblige, remplir mon planning devient difficile depuis deux ans, je continue à aimer profondément ce travail et à penser qu’aucun autre ne me conviendra jamais aussi bien.
Hier, pour marquer le coup, j’ai poussé les meubles de mon bureau et fouillé ma bibliothèque en quête de tous mes exemplaires de traductrice. Il se peut que j’en aie oublié quelques-uns. Je sais aussi qu’il me manque un roman Shadowrun et sans doute un Star Trek (perdus par la Poste ou jamais envoyés par l’éditeur), et qu’un roman Indiana Jones et une bédé italienne n’ont jamais été publiés. Il faudrait également rajouter cinq livres en cours de correction. Mais je trouve que la photo donne déjà une assez bonne idée du volume de texte traité par mes soins durant ce quart de siècle. Pour la compléter, j’ai envie de vous raconter les deux plus gros coups de chance et les deux plus gros coups de malchance de cette carrière bien remplie.
Début 1996, je traduis des jeux de rôles en continu depuis un an et demi. Les premières charges sociales me sont récemment tombées sur le dos, et je me rends compte même en bossant 12h par jour 6 jours par semaine 51 semaines par an (mon rythme à cette époque), je vais avoir du mal à gagner ma vie au tarif de misère que me paye mon client. Mon mari correspond avec l’autrice d’un fanzine sur « Star Trek », elle aussi traductrice littéraire. Apprenant que j’aimerais bien passer à la traduction de romans, elle me met en contact avec son boss. Coup de bol monstrueux: celui-ci chapeaute la publication française de la série « LanceDragon », que je connais sur le bout des doigts. La traductrice qui a fait les 5 premiers tomes vient juste de tout lâcher pour partir s’installer aux USA, et il cherche quelqu’un pour prendre sa suite. Mon essai le convainc. Ce sera le début d’une collaboration intensive de 7 ans et d’une amitié qui perdure à ce jour, mais aussi le véritable lancement de ma carrière. J’étais au bon endroit au bon moment, et 23 ans plus tard, je n’en reviens toujours pas d’avoir eu autant de chance.
Durant ces 7 années de collaboration, deux éditeurs français bataillent pour acquérir les droits français d' »Harry Potter »: celui pour qui je travaille, et Gallimard. Les enchères s’envolent, et l’éditeur pour qui je travaille finit par renoncer en se disant que des romans jeunesse aussi volumineux ne se vendront jamais assez pour justifier un tel investissement. Gallimard l’emporte, et Jean-François Ménard hérite de la série qui me serait revenue dans le cas contraire. Je ne m’en remettrai jamais tout à fait. Aujourd’hui encore, chaque fois que j’entends les mots « Harry Potter », je vois les sacs d’or de Picsou s’envoler à tire-d’aile pour partir loin de moi. (Au-delà de l’aspect financier, j’aurais adoré bosser sur les romans. Mais je suis vénale, et j’avoue que c’est l’aspect financier qui me fait le plus mal rétrospectivement.)
Fin 2001 ou début 2002, on me propose de reprendre en urgence une série de vampires: la traductrice initialement choisie a rendu juste les 100 premières pages du tome 1 pour ne pas devoir rembourser l’à-valoir déjà touché, et il ne reste plus beaucoup de temps avant la date de parution prévue. Or, je traduis déjà les romans « Buffy contre les vampires », et j’ai la réputation d’être rapide – à l’époque, je rends un poche de 256 pages tous les 15 jours. C’est ainsi que je récupère « Anita Blake ». Sortis chez mon éditeur historique, les 9 premiers tomes se vendront assez mal, et la parution sera interrompue avant le tome 10 où l’histoire vire sérieusement au BDSM. Quelques années plus tard, une maison d’édition plus petite, plus jeune et mieux placée sur le créneau reprendra la série avec un énorme succès commercial. Sur les 300 ouvrages que j’ai traduits, à ce jour, seulement 31 m’ont rapporté des droits d’auteur en plus de leur à-valoir, et « Anita Blake » compte pour 25 de ces 31. Mais bon, on est d’accord: c’est pas « Harry Potter ».
Début 2014, une de mes amies quitte le fameux éditeur historique pour lequel je n’avais jamais cessé de bosser. Sa remplaçante laisse passer plusieurs mois avant de me contacter au sujet de la nouvelle série d’une autrice dont j’avais déjà traduit 22 bouquins. On est fin septembre, elle a besoin du texte pour courant novembre. Ce qui serait tout à fait jouable si je n’étais pas déjà engagée par ailleurs. Là, au mieux, je peux le lui faire pour début janvier. Elle me dit que ça n’ira pas et qu’elle va donner la série à quelqu’un d’autre. Malgré plusieurs relances, je ne bosserai jamais avec elle et perdrai ainsi mon éditeur historique – qui, depuis, a tout simplement publié mes dix bouquins jeunesse préférés de ces dernières années. C’est une vraie malédiction: chaque fois que je lis à titre personnel un roman anglais ou américain pour lequel j’ai un coup de coeur, je peux être CERTAINE que c’est eux qui achèteront les droits français, et que je n’ai donc aucune chance de bosser dessus. Dernier exemple en date ici. Cela dit, mon petit doigt me souffle que tout ça pourrait changer bientôt…
Joyeux anniversaire de traduction 😀 ou plutôt happy birthday (je m'arrêterai là, je ne suis pas douée pour les langues)
Bisous Nad 😉
Waouh, tu as un retourneur de temps pour traduire en moyenne un roman par mois? 😉 Je suis encore loin du compte, même en mettant les originaux à côté de mes traductions, je ne remplis pas un rayon de Billy…
Je peux te demander combien de romans tu arrives à traduire simultanément? Et pour combien d'éditeurs tu as travaillé dans ta période la plus active?
Félicitations pour cette belle carrière!
Skuld
Merci pour cet article très intéressant ! Effectivement, du changement en vue chez PKJ (ce qui pour ma part me stresse pas mal ^^')
Je te souhaite en tout cas plein de traductions intéressantes pour les années à venir 🙂
Bravo ! Et posés ainsi cela fait une sacrée pile 🙂 Tu va bientôt pouvoir faire le labyrinthe de livres comme Gaston Lagaffe !