Redevenir humaine

Par défaut, je me méfie des gens que je ne connais pas. Je pars du principe qu’il y a de fortes chances qu’ils abusent de ma gentillesse ou cherchent à profiter de mes faiblesses. J’ai de très bonnes raisons « historiques » pour ça. A mes yeux, les autres sont avant tout des menaces, des dangers potentiels. Du coup j’ai, à dessein, choisi un métier extrêmement solitaire, et ça fait 25 ans que je limite mes rapports humains au maximum. Une fois de temps en temps, j’apprends à connaître quelqu’un d’intéressant sur internet, et je finis par me sentir suffisamment en confiance pour avoir envie de le rencontrer en vrai. Mais même à ceux que je considère comme mes proches, je ne dévoile pas tout. Pas tous les faits, et surtout, pas tous les sentiments qui les accompagnent.

Mon amoureux, sûrement la personne au monde qui me connaît le mieux, ignore une grande partie de ce qui me passe par la tête. Je suis incapable d’aborder certains sujets. J’aurais l’impression de lui donner des armes à retourner contre moi le jour où ça n’ira plus entre nous. Pareil pour mes amis, avec qui j’essaie d’avoir des rapports basés sur la stimulation intellectuelle plutôt que sur un quelconque échange émotionnel. Tout mon entourage le sait: je n’ai pas d’empathie. Je me donne un mal considérable pour cadenasser mes propres émotions; ce n’est pas pour me laisser affecter par celles des autres. Ou pour aller déballer mes problèmes à un thérapeute – je préfère les régler seule, merci. Ca prend le temps que ça prend, mais au moins, ça reste entre moi et moi.

Cette technique dite « du homard » a plutôt bien fonctionné jusqu’ici. Elle m’a permis de développer  une grande autonomie affective, une estime de moi en béton et une réputation de personne pas commode qui fait que la plupart des gens évitent de me chercher des crosses. Mais ces derniers temps, j’avoue: je me sens un poil à l’étroit dans ma carapace. Disons que j’en ai fait le tour, et que ma propre compagnie si passionnante soit-elle commence à m’ennuyer légèrement. Et puis, j’en ai assez que mon refus des contacts humains me limite dans l’application de mes valeurs – qu’il m’empêche d’aller manifester ou de m’engager dans des actions bénévoles, par exemple.

Pendant nos vacances en Ecosse, je me suis rendu compte qu’il existait plein de gens formidables et a priori pas idiots qui abordaient la vie depuis l’angle opposé au mien et semblaient s’en trouver très bien. Et je me dis… Je me dis que si au sortir de l’adolescence, j’ai eu besoin de ma carapace pour protéger la chair trop tendre en dessous, aujourd’hui, je suis sans doute assez solide intrinsèquement pour me passer de cette armure. Que la vraie force, à mon âge, ce n’est plus d’être un bastion imprenable, mais plutôt de m’autoriser à vivre des émotions et des échanges. A me montrer un minimum vulnérable, même si c’est risqué, même s’il est toujours possible que ça se termine mal. J’ai déjà survécu à tellement de choses: qu’est-ce qui pourrait encore me casser aujourd’hui, hormis ma propre rigidité?


6 réflexions sur “Redevenir humaine”

  1. @Ladypops: Ce dont je parle dans l'article: lui donner des armes à retourner contre moi plus tard. Et aussi, il y a des gens à qui ça fait du bien de parler des choses qui les préoccupent, mais ce n'est pas tellement mon cas, du coup je ne vois pas l'intérêt de le faire.

  2. Pour moi, parler d'une faiblesse que l'on a, d'un soucis ce n'est pas donner des cartouches pour se faire abattre plus tard. Je n'ai pas le même point de vue que toi là dessus. Lorsque ça m'est arrivé, j'ai plutôt jugé la personne sévèrement en me questionnant sur ses valeurs et ça m'a mise en colère contre moi de ne pas avoir perçu cela avant de me confier. Ça ébranle ma confiance en mon jugement, mais c'est tout et pourtant, si il y a une chose en laquelle j'ai confiance c'est ça !

    Alors oui, je ne me confie pas à n'importe qui et j'ai besoin d'être en confiance, mais c'est plus par rapport à la valeur de la personne en face. Il me faut effectivement un long temps d'observation et j'ai besoin de créer un lien intime avec une personne avant de parler. Mais, lorsque je me confie, c'est parce que je suis intéressée par le point de vue de l'autre personne, qui peut m'offrir une vision de la situation que je n'ai pas. Je ne ressens pas le besoin d'être consolée ou qu'on me plaigne. Quand je ne vais pas bien, j'ai besoin qu'on me fasse avancer dans ma réflexion pour m'éviter de tourner en rond. J'ai besoin de quelqu'un de suffisamment honnête pour me dire que j'ai merdé ou que j'ai raison et pour m'apporter des éléments intéressants. Je fais ensuite le tri et j'avance. Ressasser pendant des heures une même histoire m'agace fortement.

    J'imagine, que tu es au clair avec toi, que tu te connais suffisamment bien. Du coup, la personne qui se retourne contre toi avec quelque chose de personnel ne montre que de l'impuissance et le besoin de faire mouche pour tenter de partir la tête haute. Ce que tu considères comme des faiblesses ne sont pas des armes elles sont qui tu es, si tu les acceptes et bien plus personne ne peut t'atteindre avec.

  3. Je partais du même a priori, et je suis restée une guerrière même en me dévoilant, c'est à dire que si quelqu'un utilise ce que je lui ai donné contre moi ? Ca veut dire qu'avant ça il ou elle a partagé des choses avec moi, et je les utiliserai totalement pour me défendre. Je ne suis pas, et ne serai probablement jamais une gentille, mais je m'en fous, j'ai de superbes relations avec de belles personnes, et laissé quelques cadavres au bord de la rivière, fallait pas commencer. (sinon je passe pour quelqu'un de charmant, faut juste ne jamais me faire de coup bas)

  4. @Steph: Moi, je ne suis pas vindicative le moins du monde. La vengeance, c'est absolument pas mon truc 🙂

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