[ECOSSE] Où je ne vais pas tarder à devenir sociable si ça continue comme ça

Samedi matin. Après une nuit moyenne (nos matelas n’étaient vraiment pas terribles) et un petit-déjeuner si copieux que nous avons des restes à emporter pour un en-cas, nous quittons notre oubliable Air B’n’B et roulons en direction d’Armadale, le point de départ du ferry qui relie Skye au continent. Celui de 10h40 était plein quand nous avons réservé, et d’ici à celui de 12h10, nous avons le temps de faire un tour au château local. Ce dernier était en si mauvais état faute d’entretien que les autorités ont dû le démolir aux trois quarts et que ses ruines sont inaccessibles, mais les jardins abritent un musée dédié au clan MacDonald qui a principalement dirigé l’île pendant des siècles. Si je suis intéressée par l’histoire de Skye, je trouve l’expo bavarde et assez indigeste. Nous notons cependant, avec un certain amusement, que le Celte ressemble fort à la langue des Grands Anciens imaginée par Lovecraft – ou l’inverse, plus probablement. Et je retiens une ligne du chant de guerre des MacDonald: « Be strong, nurse your wrath » (« Sois fort, nourris ta colère »). Si je me fais créer un blason un jour, ça pourrait bien être ma devise. Nous faisons également un tour dans le jardin botanique luxuriant, qui contient de très beaux spécimens d’arbres, mais la pluie battante ne nous incite hélas pas à nous attarder.

Comme il nous reste un peu de temps avant d’aller nous aligner dans l’une des files réservées aux véhicules motorisés sur le port, j’entraîne Chouchou chez The Bay Pottery, un atelier-boutique de céramique dont j’ai lu le plus grand bien. Nous y rencontrons Maggie Zerafa, qui nous parle de la technique très particulière qu’elle emploie (celle des émaux cristallins) et de sa philosophie de vie. C’est une femme lumineuse dont le discours me touche énormément. Lorsque je lui dis que je veux acheter un de ses gobelets, elle me répond: « Je n’ai pas d’appareil à carte, mais pas de problème: emportez-le et vous me ferez un virement bancaire quand vous serez rentrée chez vous ». Je m’efforce de dissimuler ma stupéfaction. Je sais bien que moi, je vais la payer, mais à sa place, j’aurais peur d’être victime de clients peu scrupuleux. Je n’ose pas faire de remarque sur une confiance en son prochain que je qualifierais presque de naïveté si elle n’ajoutait pas avec beaucoup de douceur: « C’est comme vous pourrez. L’argent, ça rentre, ça sort. Je suis déjà si chanceuse de vivre de ma passion. » Heureusement que nous ne pouvons pas nous attarder, car je suis à deux doigts de lui demander de me prendre en apprentissage, et pas juste pour la céramique (je rappelle qu’une demi-heure plus tôt, je considérais la colère comme ma principale vertu). Je ressors de chez elle profondément ébranlée.

Nous embarquons à bord du ferry. Ca me fait quelque chose de voir la côte de Skye s’éloigner, mais je sais déjà que je reviendrai. Même si j’ai passé moins de deux jours dans cet endroit, lui et ses habitants m’ont touchée en plein coeur. Le trajet est court, une petite demi-heure que nous passons dans un lounge confortable bien que moquetté du sol au plafond dans le plus pur style années 70. Pour oublier que nos yeux saignent, nous mangeons notre en-cas en attendant de trouver mieux sur la route. En débarquant à Mallaig, nous filons tout droit vers le parc national de Glennfinnan. Nous l’atteignons sous la pluie, payons les £3 de parking (consacrées à l’entretien du site, donc je ne râle pas) et montons à pied jusqu’au point de vue sur le viaduc rendu célèbre par les films d’Harry Potter. Le ciel est gris et brumeux, et je pense que mes photos ne vont pas donner grand-chose. Je suis assez déçue: ce n’est pas l’angle qu’on voit sur les jolies cartes postales et que j’espérais avoir, mais comme Chouchou me le fait remarquer, ces photos-là ont probablement été prises à l’aide de drones (interdits sur les lieux sauf autorisation spéciale). En regagnant le parking, nous croisons des tas de randonneurs super équipés et pas du tout perturbés par la pluie; j’avoue que je ne suis pas encore prête à intégrer leurs rangs.

La météo n’incitant pas à traîner, nous filons droit vers Fort William, où nous buvons une soupe bienfaisante et pourvoyons à notre ravitaillement pique-nique chez nos amis M&S, puis nous gagnons notre hébergement du soir dans la ville voisine d’Onich. J’ai prévenu Chouchou: c’est un hostel, le seul truc pas hors de prix que j’ai trouvé dans le coin. Il ne faut pas s’attendre à du grand confort. Une fois de plus, l’Ecosse va me surprendre. Si notre chambre est tout à fait basique – deux lits jumeaux séparés par une table de nuit, un petit écran plat, une unique étagère, un miroir en pied, une minuscule salle de bain douche-WC adjacente -, les parties communes sont immenses et extraordinairement bien équipées, avec un lounge plein de canapés moelleux, une cuisine pourvue de tout le nécessaire et même un peu plus, comme ces boîtes numérotées où les occupants de chaque chambre peuvent ranger séparément leur nourriture dans le frigo, une buanderie séchante et une terrasse dont les sièges en teck ne doivent pas servir très souvent. Je discute longuement avec les propriétaires, qui m’expliquent qu’ils ont choisi de fournir un service de qualité à des prix très bas (moins de £60 la nuit pour notre chambre privative) afin de remplir leur établissement tous les soirs et se rattraper sur le nombre. Ils sont incroyablement gentils et intéressants, connaissent bien la France et notamment Toulon, et nous soupirons en coeur au sujet du Brexit ou des politiques actuelles de traitement des migrants. Je pourrais passer toute la soirée à bavarder avec eux, mais ils ont du travail et nous une réservation – faite par eux dans un des restos qu’ils nous ont recommandés.

J’appelle ma mère, qui a 70 ans aujourd’hui, depuis notre chambre. A 18h45, nous prenons le minuscule ferry local, gratuit pour les piétons, qui nous emmène en 5 minutes de l’autre côté du loch. Dans un cadre des plus paisibles, l’Inn at Ardgour est une auberge pas du tout touristique où les gens du coin jouent aux fléchettes et boivent des bières en regardant les premiers matchs de la Coupe du Monde. Nous commandons une poêlée de Saint-Jacques et une tourte au steak et à la bière brune, et nous nous régalons tellement que bien que repus, nous prenons encore un dessert à partager: un crumble pomme-rhubarbe avec de la crème anglaise. J’adore l’atmosphère bon enfant. Lorsque nous ressortons, vers 20h30, il fait encore grand jour et la pluie a enfin cessé. Nous reprenons le ferry dans l’autre sens; nous sommes les seuls passagers à l’exception des conducteurs d’une voiture et d’une camionnette qui doivent rester dans leur véhicule. Ce calme, cette solitude… Je me rends compte que j’ai pris le bateau trois fois aujourd’hui, parlé avec des gens sans y être forcée et vachement aimé ça. Ce pays m’a totalement ensorcelée. Encore dix jours ici et je m’inscris à des cours de cornemuse.

8 réflexions sur “[ECOSSE] Où je ne vais pas tarder à devenir sociable si ça continue comme ça”

  1. Zéphine (aka Malvi)

    Ton histoire de poterie me fait sourire, parce que j'ai eu une expérience très similaire en Nouvelle Zélande il y a quelques mois: mon ami Fletcher voulait absolument me faire découvrire le travail de Fern Flat Pottery (http://fernflatpottery.com/), une communauté de potiers baba cool vivant dans un micro village-atelier assez reculé, mais dont le travail est très réputé.
    Le magasin est en fait un simple abris de jardin sur un battant, et les nombreuses poteries débordent aussi dans le jardin. Personne pour nous accueillir, pour surveiller qu'on n'abîme rien. Certaines oeuvres semblent très fragiles, mais hormis une petite affichette "please, do not touch", aucune protections.

    Coup de coeur absolu pour leur art, et je craque pour une petite coupelle gravée, mais comment payer? Il y a bien ce qui semble être un comptoire, et en m'approchant je vois un panneau indiquant que si il n'y a personne, il suffit de remplir le cahier avec la description de l'objet acheter, et de laisser le cash dans un petit coffre en bois sur le comptoire (coffre qui contenait déjà à vue de nez deux ou trois cent dollards). Si pas de cash, il suffit d'emporter une carte avec le numéro de compte et de payer lorsque celà est possible, ce que j'ai fait pour m'aquiter des $50 de ma coupelle, une maigre perte pour eux si je ne payais pas. Mais d'autres pièces importantes étaient bien plus honéreuses, certaines atteignant le miller de dollards, et cette confiance aveugle dans l'honnêteté humaine m'a beaucoup touché, moi la cynique qui ne crois pas en l'humanité.

    Je n'ai jamais visité Skye, mais je peux comprendre que la bienveillance que tu y a rencontrée t'ai tellement touché. C'est un bien beau voyage que tu partages avec nous

  2. Tu sais que vous donnez furieusement envie d'aller errer en Écosse, Chouchou et toi ?

    Mélusine

    Ps. Je suis ravie que ce voyage te fasse autant de bien, pour ce qui transparaît dans tes billets 🙂

  3. Je ne vous ai jamais parlé des frigos à vin ouverts avec leurs tirelire dans nos vignes ?
    Ça devrait vous plaire 🙂

  4. J'ai eu le cas récemment, dans un grande ville, je voulais acheter un sac à plus de 200€ chez une créatrice et étais passée pour cela à son atelier. Comme elle n'avait pas de machine pour la carte, elle m'a proposé de faire un virement une fois rentrée chez moi. J'en étais toute chose, une telle marque de confiance à une parfaite inconnue…

  5. Cécile de Brest

    Je relis tes articles sur l'Ecosse pour me mettre dans l'ambiance : nous partons pour 15 jours, début août. 1 semaine sur la côté est, pas loin de Dundee, et une semaine sur l'île de Skye, justement dans un des cottages situés dans les jardins du château à Armadale…on ne me tient plus !

  6. @CéciledeBrest: Quelle chance! Nous espérons aussi y retourner 15 jours en mai prochain. Si vous êtes à Armadale, passez voir les sublimes céramiques de Maggie près de l'embarcadère du ferry…

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