[ECOSSE] Où je me découvre de nouveaux super-pouvoirs pourris

En me réveillant, je suis une fois de plus stupéfaite par la vue depuis notre studio Air B’n’B. Cet endroit est extraordinairement beau et paisible, un vrai coup de coeur à l’encontre de tous mes goûts habituels d’über-citadine. Nous en discutons avec Chouchou tout en retournant à pied vers Skyeskyns, et nous nous disons que nous aimerions bien revenir ici une semaine entière pour écrire le matin et visiter l’île en profondeur l’après-midi. A l’occasion de ses 50 ans ou des miens, par exemple – ce serait un chouette moyen de marquer le coup. 

A Skyeskyns, notre guide Mike nous explique le procédé de tannage des peaux d’agneau, qui toutes proviennent de bêtes élevées localement et destinées à la consommation de viande. Pas moins de 14 étapes, toutes effectuées par les deux ouvrières qualifiées qui travaillent dans l’atelier à plein temps, avec des machines dont certaines ont plus d’un siècle. L’ensemble prend 2 semaines et demie, et les peaux finies comme celle que j’ai achetée hier peuvent passer en machine. Je trouve les explications très intéressantes; j’aime bien découvrir des savoir-faire artisanaux dont j’ignorais tout jusque là. 

Nous devons déjà quitter Taigh Glas, et c’est un mini-déchirement. Si neuve soit-elle, cette maison a vraiment une âme. Je profite de la restitution des clés pour engager la conversation avec nos hôtesses, les interroger sur la raison de leur choix et leur mode de vie sur l’île. Elles dégagent quelque chose de profondément authentique et serein qui me donne envie de supplier: « Adoptez-moi ». En plus, elles font des cookies de folaï (et je n’aime même pas les biscuits à la base). Je fais traîner autant que raisonnablement possible avant de prendre congé à regret. Le monde a besoin de plus de gens comme ces dames. 

Direction le phare de Neist Point, à l’extrémité ouest de l’île. La distance est courte, mais la route est longue: une seule voie de largeur pour des voitures qui circulent dans les deux sens et qui doivent se croiser au mieux en utilisant les décrochés des  « passing places ». Tous les conducteurs jouent le jeu sans tenter de forcer le passage, en saluant de la main la personne en face qui leur a cédé la priorité, mais ça va trèèès lentement. Par chance, il y a de magnifiques éclaircies ce matin, et le paysage est d’une telle beauté que même à 2 à l’heure, on ne s’ennuie pas. Je me découvre tout de même un super-pouvoir pourri lorsque, descendant de notre Béhème pour aller photographier des agneaux à côtés desquels on vient juste de passer, je me prends sur la tronche une averse aussi subite que monstrueuse… qui cesse dès que je m’engouffre de nouveau à bord de la voiture. Le phénomène se répètera d’ailleurs plusieurs fois dans la journée.
La Neist Point est magnifique, mais… il y a une longue marche avec beaucoup de dénivelé pour atteindre le bord de la falaise depuis laquelle on peut voir le fameux phare. Nous décidons que pour cette fois, nous n’avons ni les bonnes chaussures, ni le temps nécessaire, ni la motivation. Ca nous fera une raison supplémentaire de revenir. 
En rebroussant chemin, Chouchou manifeste l’envie de s’arrêter à la Kelpie Crafts & Art Gallery aperçue à l’aller. La boutique est tenue par une éleveuse de moutons à la peau tannée par le soleil. Ses créations en laine cardée sont, euh, voilà, quoi, mais je trouve quand même un collier fantaisie qui fera un bon cadeau d’anniversaire pour une amie. Nous bavardons un peu et j’apprends qu’elle a en ce moment trois agnelles sans mère qu’elle nourrit au biberon. En voyant mes yeux briller, elle me demande si je veux aller les voir. NON PEUT-ETRE. Deux minutes plus tard, je me retrouve en train de caresser les adorables bestioles avec un sourire d’une oreille à l’autre – en essayant de ne pas penser qu’elles vont probablement finir en gigot dominical. L’éleveuse super bavarde me montre la grange où elle garde ses moutons l’hiver, me raconte l’histoire des deux chats qui se prélassent dans une balle de foin, me sort de la tourbe d’un sac pour me montrer que ça ne sent rien tant qu’on ne la brûle pas… Je suis frappée par la facilité avec laquelle elle nous a accueillis et partage avec nous un bout de sa vie. 

Nous prenons ensuite la route de Quiraing, un site que Chouchou souhaite voir parce qu’il est très photogénique et figure dans de nombreux films. Pas le moindre resto ou pub sur la route; nous grignotons donc dans la voiture en regardant les phases de grand soleil et de ciel bleu succéder à des averses spectaculaires par leur soudaineté et leur violence. L’oeil de mon pirate préféré est tout à fait remis, et il (le pirate, pas son oeil) commence à prendre plaisir à conduire dans ces drôles de conditions. Mais nous nous réjouissons souvent d’être dans une grosse Allemande confortable avec une super tenue de route plutôt que dans une modeste Opel Corsa. 
Le site de Quiraing est pris d’assaut par les touristes, et nous peinons à trouver un endroit où nous garer. Ici aussi, pour bénéficier de l’angle le plus favorable, il faudrait se lancer dans une randonnée que nous n’avons envie de faire ni l’un ni l’autre. Nous nous contentons donc de prendre les clichés que nous pouvons, en nous amusant de voir un couple poser sur une éminence pour ses photos de mariage – elle robe de dentelle pêche et souliers plats, lui rouquin à noeud papillon. Lorsque nous repartons, Chouchou doit accélérer un grand coup pour nous sortir de la pente descendante et gravillonneuse où nous sommes parqués; une odeur inquiétante de caoutchouc brûlé emplit l’habitacle. Heureusement, nos pneus ne semblent pas abîmés. En revanche, quitter le site est une vraie galère: deux voitures se font face sans bouger, aucun des conducteurs ne semblant savoir que faire ou vouloir céder le passage à l’autre; les files d’attente s’accumulent dans les deux sens et rendent la situation de plus en plus inextricable. Nous restons immobilisés un long moment avant de réussir à nous éloigner. 

Cap maintenant vers Portree, la ville principale de l’île. Le paysage est toujours désert et apparemment inhabité, sauf par une multitude de moutons que je m’amuse à mitrailler. L’ennui, c’est que lorsque je suis prise d’une envie pressante, je n’ai pas d’autre moyen de la satisfaire que de m’accroupir entre les deux portières passager ouvertes. Dans la seconde qui suit, quatre voitures jaillissent de nulle part, dont une qui vient s’arrêter à trente centimètres de la nôtre. Et un super-pouvoir pourri de plus, un! Chouchou est mort de rire. 

Portree n’est grande que par comparaison avec les villages du reste de l’île. Nous en faisons le tour très vite et ne voyons pas de raison de nous y attarder, hormis le fait que… nous pique-niquons depuis deux jours et j’ai très envie d’un repas chaud. Là, maintenant, tout de suite, à quatre heures de l’après-midi, alors que tous les restaurants et les pubs ne rouvrent pour le service du soir qu’à 17h30. Tous? Non, pas tout à fait: le Café Arriba exhibe fièrement une porte ouverte et une enseigne dont la police fantaisie me fait saigner les yeux. La faim – conjugué à la pression douce mais ferme exercée par Chouchou – finit cependant par l’emporter sur mes réticences typographiques. Bonne surprise, la salle située au premier étage est colorée et franchement sympa. Je commande des macaronis au fromage et aux poireaux et Chouchou, un burger végétarien. Et pour la première fois depuis des années, c’est moi qui ai le mieux choisi! Danse de la victoire. Je partage quand même avec Chouchou comme nous le faisons généralement. 

Nous finissons cette journée de route en poussant jusqu’à Breakish et à notre Air B’n’B du jour, une vieille école attenante à un restaurant et convertie en hébergement. Notre chambre est équipée de deux lits jumeaux. (« So, no frantic sex tonight », tenté-je de plaisanter. Notre hôtesse esquisse un sourire crispé et enchaîne très vite sur le reste du règlement intérieur. Je crois que je viens de faire un bide.)  La salle de bain, la cuisine et le salon sont partagés avec les autres voyageurs. Ceux-ci se montrent très discrets, mais le confort reste assez sommaire: chaque fois que l’un de nous s’assied ou bouge sur son lit, ce dernier craque, grince et menace de s’écrouler. Pas mon meilleur choix de logement, mais il n’y avait pas grand-chose de libre à ces dates dans mon budget. Et pour une nuit, on arrivera bien à s’en contenter. D’autant que cette journée a été absolument magnifique. Je suis soufflée par la beauté de Skye, la variété de ses paysages, la folie de son climat et la chaleur humaine qu’irradient ses habitants. 

4 réflexions sur “[ECOSSE] Où je me découvre de nouveaux super-pouvoirs pourris”

  1. Bonjour,

    Toutes ces photos sont divinement belles.

    Et ton récit me rappelle que j’ai encore le temps de programmer un autre voyage cette année.

    Je vais le faire !

  2. Je ris de tes nouveaux super pouvoirs, pardon:D
    Mais j'ai adoré ton récit et petite victoire pour le choix des macaronis 😉
    Bisous Nad:)

  3. Pour avoir eu la même odeur de caoutchouc brûlé dans le même genre de circonstances il y a quelques temps, je peux vous rassurer : vous avez juste usé un peu la "gomme" de l'embrayage. Ca peut encore sentir quelques jours après, mais rien de grave 🙂

  4. Ah ouf ! J'ai lu d'une traite le récit du début du voyage et je suis bien aise de voir que cela s'arrange et que chouchou va bon pied bon œil ! 😉

    Je pensais faire un roadtrip en Ecosse cet été (un peu incertain pour le moment pour cause d'accident de voiture) je suis avec d'autant plus d'intérêt votre périple.

    D'ailleurs je serais bien intéressée par les adresses des logements et resto qui vous ont vraiment plus. On avait fait l'Irlande ainsi il y a 2 ans et j'avais adoré.

    Bonne suite de voyage, au plaisir de lire la suite et de profiter des magnifiques paysages sur tes belles photos.

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