Evitante

Je viens de finir le mémoire d’Alyssa Mastromonaco, qui fut la Depuy Chief of Staff de Barack Obama à la Maison Blanche. Bien que moins drôle et finalement moins intéressant qu’escompté, son aperçu des coulisses du gouvernement américain sous ce président pour qui j’éprouve une folle admiration m’a fait envie par certains côtés. Gérer efficacement de graves crises nationales, se dire qu’on a été vraiment utile, qu’on a servi tout un peuple en bossant dur – ça doit procurer une immense satisfaction. D’ailleurs, je m’intéresse suffisamment à la politique, et en particulier aux affaires sociales, pour avoir déjà caressé l’idée d’une carrière là-dedans. Mon sens de la justice et de l’équité est sans doute une des forces principales qui m’animent. Le problème, c’est que parallèlement, je suis une introvertie qui déteste être obligée de parler à des inconnus et dont le travail en groupe sape toute l’énergie. Compliqué de se mettre au service d’un public avec lequel on préfèrerait ne jamais être en contact direct. 

Ces derniers temps, j’ai eu de nombreuses occasions de déplorer mon oursitude profonde. Je trouve formidables les gens de Bruxelles et des environs qui accueillent des réfugiés chez eux pour une ou plusieurs nuits. Malgré la petitesse de notre appartement, je pourrais en faire autant. Mais l’idée de me retrouver face à ces gens qui ont vécu l’horreur me glace. L’idée de me retrouver face à n’importe quels gens en vase clos pendant plus de quelques heures me glace de toute façon, mais des inconnus… A l’histoire desquels je ne pourrais pas rester insensible… Emotions fortes en vue, réflexe de fuite enclenché. C’est déjà tout juste si je parviens à regarder les formidables vidéos de Humans of New York, parce que dans chacune d’entre elles il y a au moins une histoire terriblement triste qui me prend à la gorge et continue à me hanter pendant des jours. Et là, il n’y a même pas de contact direct, ce sont juste des images sur un écran et une voix dans un haut-parleur. Alors, en face-à-face…
Ces dernières années, voyant que les conditions de travail dans l’édition périclitaient, j’ai envisagé une reconversion au moins partielle. Mon très grand intérêt pour la pleine conscience et la pensée positive m’a fait envisager une formation pour devenir coach. Passer mes journées à aider des gens, j’aurais trouvé ça formidable. Sauf que… passer mes journées assise en face de gens, à parler avec eux, j’aurais aussi trouvé ça paniquant. Ma très grande envie d’être utile, de transmettre ce que je sais, d’améliorer la vie d’autrui se heurte toujours au même problème: autrui, je ne le supporte que loin de moi. Ou près, mais seulement à petites doses, et seulement s’il ne raconte pas trop de conneries qui me font bondir. Les relations humaines peuvent être très gratifiantes, mais en direct, elles m’épuisent. 
Si ce n’est pas toujours très pratique ou très bon marché, le fait d’avoir deux maisons, dont une où je vis seule à temps partiel, est sûrement l’une des raisons principales pour lesquelles je suis encore avec Chouchou au bout de onze ans malgré les écueils (normaux dans n’importe quel couple) que nous avons rencontrés en chemin. Mon style d’attachement, c’est « évitant ». Je n’aime pas m’engager, me sentir coincée où que ce soit et auprès de qui que ce soit. Au premier problème, en amour comme en amitié, je dois me faire violence pour ne pas prendre mes cliques et mes claques et effacer l’autre personne de ma vie. Me mettre très vite hors de son atteinte affective. Du coup, alors que ça peut sembler très ordinaire, je considère le fait d’être avec la même personne depuis onze ans comme un des plus grands exploits que j’ai accomplis, tant j’ai dû pour cela me raisonner et lutter contre ma nature profonde. 

Car, oui, je pense qu’il y a toujours moyen de s’améliorer. Ca m’a demandé du temps et des efforts, mais partant d’une estime de moi niveau zéro à l’entrée dans l’âge adulte, j’ai réussi à m’en construire une en béton au fil de ma vingtaine. Plus récemment, je suis venue à bout de l’essentiel des angoisses qui m’ont pourri la vie ces dix dernières années. Mais l’introversion, ce n’est pas juste un trait de caractère que j’ai développé en réaction aux événements de ma vie: c’est ma nature profonde. La méfiance envers autrui et le besoin de contrôler mes émotions qui sont venus se greffer par-dessus n’ont fait que l’aggraver. Et je suppose que je pourrais au moins essayer de travailler sur ces deux choses. Toutes les études sur le bonheur que j’ai lues sont unanimes: les connexions humaines sont le plus grand facteur identifié de bonne santé physique et mentale. Mais honnêtement, dès qu’on passe le stade des rapports superficiels… elles me terrifient.

5 réflexions sur “Evitante”

  1. Une des raisons de te lire régulièrement est ton honnêteté et ta sincèrité vis à vis de toi même, que ce soit sur des aspects dits "positifs" ou un peu moins 😉 Je t'en remercie vraiment. La lecture de ton blog est source d'enrichissement par la diversité des sujets (introspectifs ou ouverts sur le monde).

  2. Je me lance lentement mais sûrement sur la voie de l'accompagnement thérapeutique de ce fait, depuis 1 an maintenant, je fais un travail sur moi qui me coûte énormément émotionnellement parlant.

    J'ai du faire face à mon besoin de tout contrôler, au fait que je ne me dévoile que très rarement sur les choses que j'estime importante, à ma méfiance des autres, à ma peur d'être trahie/jugée, etc… ça n'a pas été facile et j'y travaille encore, mais j'ai appris à finalement accepter qui je suis. J'ai appris à garder ma méfiance parce qu'elle est importante, mais à ne pas la laisser dominer toutes mes actions par exemple. Et donc à me dire qu'il n'y a pas de mauvais ou bon comportement, il y a ce qui me semble juste.

    Je ne sais pas quelle est ton idée de la connexion humaine, ni ce que tu vises.
    Mais, il me semble que tu as créé des liens autours de toi. En ce qui me concerne, j'ai l'impression d'avoir un lien avec toi, quelque chose de solide et sincère. Finalement une connexion humaine se nourrit de ce que tu en fais, pas de ce que tu rêverais quelle soit. J'ai un lien énorme par exemple avec la Tante de Mr Pops et pourtant je ne la vois qu'une fois par année, nous ne nous téléphonons jamais et pourtant, lorsqu'on se voit, j'ai un plaisir énorme, ce lien là me suffit comme il est.

    En lisant ton texte, j'ai de la peine à comprendre ce que tu cherches dans la connexion humaine et ce qu'elle pourrait t'apporter.

  3. @Dipi: c'est un joli compliment, merci!
    @LadyPops: toi, tu es l'exception à ma règle. Tu irradies une telle bienveillance et une telle compréhension que c'est juste impossible d'éprouver la moindre méfiance envers toi. Pour répondre à ta question: je crois que je voudrais faire quelque chose qui me dépasse un peu, avoir une action positive au-delà de ma bulle individuelle. Là je vis en autarcie, dans un environnement hyper-contrôlé où tout se passe bien, mais j'aimerais en sortir un peu pour donner quelque chose (je veux dire, autre chose que des sous à des assoces caritatives) en échange de tous les privilèges que j'ai reçus. Tu vois?

  4. Oui je vois ce que tu veux dire. Si c'est ça, je pense que tu vas trouver.

    Pourrais-tu imaginer quelque chose qui ne te demande pas d’interactions émotionnelles difficiles ? Je ne sais pas… Envoyer par carte postale une conversations absurdes inédites pour un montant de 7 euros, récolter les fonds et les verser à une association de ton choix, une traduction gratuite pour un site d'entraide ? Tu as une jolie notoriété sur ton blog, si, pour l'instant il t'est difficile de rencontrer les gens peut-être commencer par un petit geste (même si à mon sens il n'y a pas de petit geste)

    L'idée n'est finalement pas importante, c'est le premier pas. Et puis tu es maître de tout ça. Tu commences quand tu veux, tu arrêtes quand tu veux. Tu ressens le besoin de donner, donne ce que tu peux/veux.

    Je te fais confiance pour trouver quelque chose de satisfaisant et assurément d'inspirant pour d'autre.

  5. The Everyday French Girl

    Même si tu n'es pas coach au sens professionnel du terme, je pense que, via ton blog, tu l'es pour bon nombre de lecteurs. Tu ne peux pas imaginer le nombre d'articles que tu as écrits, grâce auxquels je me suis sentie moins seule, moins effrayée ou moins découragée. Non seulement tes articles véhiculent ce sentiment de solidarité, mais tu y donnes aussi des clefs pour aller mieux. Et tu as une humilité et une intransigeance et une justesse dans le regard que tu veux porter sur toi-même qui me laissent bouche bée, il faut pour cela un très grand courage, une immense lucidité et une sincérité absolue pour en plus écrire dessus.

    Je ne sais pas si, sur l'échelle du temps passé avec autrui, notre après-midi ensemble était beaucoup de temps ou une durée moyenne, mais le temps était passé très vite et tu ne m'avais fait que du bien. Tu as énormément à apporter à autrui, et il y a beaucoup de gens bien, qui, même en ayant vécu des expériences atroces, ne véhiculent que des émotions positives et de la bonté pure -je pense à un petit 6° qui venait de perdre son papa un mois avant la rentrée, mais qui était toujours aimable, gentil, digne et doux, ou à ma Mémé adorée, qui, malgré tous les sales bâtons dans les roues que lui a mis la vie, est la personne la plus gentille, la plus apaisante, la plus cool, sage et drôle que je connaisse. Même les gens avec des vécus durs peuvent ne nous apporter que du bien.
    En tout cas, merci pour ce que tu livres ici à chaque article, tu es généreuse dans ta sincérité, et tu fais, j'en suis sûre, toi aussi, beaucoup de bien à beaucoup de monde.

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