La fin de l’anxiété?

Si j’ai toujours été d’un naturel plus inquiet que la moyenne, c’est en 2008, suite au décès d’une amie atteinte d’un cancer, que j’ai commencé à souffrir d’angoisses aiguës. Assez vite, je me suis mise à faire des attaques de panique, et au bout d’un an, j’étais dans un état si pitoyable que j’ai dû accepter de me faire mettre sous anxiolytiques. Pendant six mois, j’ai dormi 12 heures par jour et été complètement abrutie le reste du temps; j’ai aussi bouffé comme quatre et pris dix kilos que je n’ai jamais réussi à reperdre par la suite. Mais je pense vraiment que sur le coup, ça m’a sauvée. J’ai bien fait de les prendre – et encore mieux fait de les arrêter dès que je m’en suis sentie capable. 

Après ça, j’ai mis toute ma légendaire obstination dans la recherche d’une solution. J’ai lu tout ce que je pouvais trouver sur le sujet. Je faisais déjà du yoga; je me suis mise à la méditation. J’ai même été voir deux psys différents – comme je m’y attendais, j’ai détesté ça et ça ne m’a pas aidée du tout, mais j’ai essayé. J’ai fini par venir à bout de mes attaques de panique grâce à deux techniques appelées visualisation et cohérence cardiaque, qui m’ont appris à rétablir le calme en moi quand je sentais monter la panique: la première, en travaillant sur l’esprit pour apaiser le corps; la seconde, en travaillant sur le corps pour apaiser l’esprit. 
N’empêche que même sans ces crises paroxystiques, je continuais à vivre dans une angoisse perpétuelle. Comme si mon ciel était noir en permanence et qu’il allait me tomber sur la tête d’une seconde à l’autre. Mes plus grandes préoccupations touchaient à ma santé et à celle de mes proches – et elles ont été confirmées quand, à son tour, mon père a développé un cancer dont il est mort deux ans plus tard. Mais en vérité, les moindres petites choses devenaient un problème et une source de catastrophes potentielles. Je suffoquais quasiment en continu. Et j’étais bien trop fière pour le montrer – ce qui m’a permis de rester debout et, pendant toutes ces années, de continuer à vivre normalement vu de l’extérieur. L’effet pervers, c’est que pas mal de gens dans mon entourage ne mesuraient absolument pas le calvaire que je vivais et l’intensité avec laquelle j’en arrivais à souhaiter mourir (pourvu que ce soit vite et sans douleur). 

Heureusement pour moi, je n’ai hérité ni du gène de l’auto-apitoiement, ni du culte du malheur. Je voulais aller mieux; je le voulais de toutes mes forces. Alors, j’ai continué de me battre dans mon coin, souvent à l’aveuglette. J’ai contenu comme j’ai pu – généralement pas très bien – les pensées noires qui me gâchaient la vie, les spectres de désastres futurs improbables et qui m’apparaissaient pourtant quasi-certains. J’ai un peu écrit dessus mais j’en ai parlé le moins possible, considérant que les mots donnent davantage de réalité aux choses. Je savais que mes angoisses chroniques ne devaient rien à un manque d’intelligence ou de volonté: les peurs et les phobies ne siègent pas dans le cerveau rationnel mais dans l’amygdale; or, ces deux zones communiquent très mal entre elles. Tout de même, je trouvais ça insultant d’être ainsi le jouet de mon propre cerveau – l’organe sur le bon fonctionnement duquel j’avais bâti toute ma vie. 
Vous aurez peut-être remarqué que je parle au passé depuis le début de ce billet. Cela implique-t-il que je suis enfin débarrassée de mes angoisses chroniques? Peut-être. En tout cas, je suis pleine d’espoir. J’ai été confrontée ces derniers temps à deux problèmes de santé qui touchent des zones très anxiogènes chez moi et qui, il y a quelques mois encore, m’auraient plongée dans un abîme de torture mentale. Là, je me dis juste que ce sont probablement de fausses alertes et que dans le cas contraire, la médecine moderne est mon amie. Je ne suis pas brutalement devenue optimiste (faut pas déconner non plus), mais j’arrive désormais à considérer les faits d’un oeil à peu près objectif. Et objectivement, je suis en plutôt bonne forme pour quelqu’un de mon âge, sans problème grave qui menace ma vie à court ou moyen terme, et avec accès à tous les docteurs que je peux souhaiter consulter. Ca va aller. 
Oui mais alors, quel est mon secret? La baguette magique qui a fait disparaître ces méchantes angoisses? Mes pauvres amis, si j’en avais une, je serais déjà milliardaire et au lieu d’écrire cet article, je siroterais du champagne millésimé dans la suite princière d’un hôtel cinq étoiles à Hong-Kong ou Singapour. Je suis au regret de vous dire qu’il n’y a pas eu une chose ou un événement miraculeux, mais plutôt une accumulation de petites avancées qui, mises bout à bout, ont fini par m’extirper de mon bourbier mental. 
– Le premier déclic s’est produit l’an dernier, quand après neuf mois à avoir mal au ventre et à me croire atteinte du même cancer que mon père, j’ai subi une coloscopie qui a révélé que mon intestin était nickel, et que je venais d’auto-pourrir presque une année de ma vie pour rien. Dans l’hébétude de mon soulagement, mon amygdale a quand même fini par se dire que peut-être, éventuellement, elle était beaucoup trop chatouilleuse du réflexe de panique. 
– Le deuxième déclic, c’est une bête citation que j’ai vu passer je ne sais même plus où, sans doute dans un bouquin de développement personnel feuilleté chez Urban Outfitters: « Relax, NOTHING is under control ». Ca m’a fait un peu le même effet que si la foudre s’était abattue sur moi. Depuis toujours, je suis une énorme psychorigide qui tente de tout contrôler pour éviter les ennuis et… subitement, j’ai eu une révélation: les vrais gros ennuis qui me tombent dessus, ce ne sont jamais ceux que j’avais anticipés, et neuf fois sur dix, je n’avais aucun moyen de les empêcher de se produire. Du coup, pourquoi ne pas vivre tranquillement aujourd’hui? Il sera toujours temps de me ronger les sangs plus tard, quand problème avéré il y aura. 
– Le troisième déclic que je peux identifier, c’est la lecture de « The Worry Trick: How Your Brain Tricks You into Expecting the Worst and What You Can Do About It« . Dieu sait que j’en ai bouffé, de la littérature sur l’angoisse, et je ne dis pas que ce bouquin du Dr. David A. Carbonell est meilleur que les autres dans l’absolu (par exemple, je le trouve assez mal écrit). Mais il explique une chose qui a fait tilt chez moi: le boulot du cerveau, c’est de produire des pensées. Tout le temps. Même sans aucun lien avec la réalité. Et l’auteur propose des moyens totalement contre-intuitifs d’y remédier. Franchement, c’est super intéressant, et si vous souffrez aussi d’angoisses chroniques, ça pourrait bien vous aider.

Au final, il me semble que si ces choses-là ont produit cet effet, ce n’est pas forcément ou du moins pas seulement à cause de leurs qualités intrinsèques, mais parce qu’elles survenaient après le long travail de sape déjà réalisé depuis 2008. Ce qui pourrait signifier que, même si ce qui a fonctionné pour moi ne fonctionnera pas nécessairement pour quelqu’un d’autre, il y a moyen d’avoir ces satanées angoisses à l’usure. Non pas avec UN remède miracle, mais avec tout un arsenal de moyens déployés et d’efforts accumulés au fil du temps.

13 réflexions sur “La fin de l’anxiété?”

  1. The Everyday French Girl

    Merci. Merci beaucoup pour cet article. J'ai supprimé le mien où je racontais ce qui me rongeait les sangs actuellement et qui aggravait chez moi ce qui existait déjà, je l'ai supprimé car, comme tu l'écris "j'en ai parlé le moins possible, considérant que les mots donnent davantage de réalité aux choses". Je suis désolée que tu aies traversé tout cela, je compatis de tout mon cœur. On a des qualités différentes, et, certainement que ce qui cause nos problèmes sont aussi des causes différentes, mais tu me donnes l'espoir d'aller mieux. Merci (je suis tellement émue, désolée que tu aies subi ça, reconnaissante pour l'espoir que tu me donnes, que j'en ai les larmes aux yeux). Bises.

  2. Cette phrase résume tellement ce que je ressens en ce moment "Tout de même, je trouvais ça insultant d'être ainsi le jouet de mon propre cerveau – l'organe sur le bon fonctionnement duquel j'avais bâti toute ma vie. "

    J'ai l'impression d'être trahie par mon cerveau, juste quand je vais en avoir le plus besoin. C'est horriblement frustrant. Pour la visualisation, tu pourras m'expliquer ce que tu fais en particulier ?

  3. @Audrey: J'ai lu l'article dont tu parles avant que tu ne le supprimes, et il y avait dedans une phrase dans laquelle je me suis complètement reconnue, quelque chose qui a un rapport avec une très grosse culpabilité que je traîne depuis longtemps. Je voulais t'en parler mais pas publiquement… Est-ce que ta vieille adresse gmail est toujours bonne, ou est-ce que tu en as changé en te mariant?

    @Gasparde: Bien sûr, ça fait sens que tes angoisses soient les plus fortes au pire moment possible puisque le stress va toujours les aggraver. Mais quelle que soit la difficulté, il ne faut pas te laisser paralyser. Pour les exercices de visualisation on en parlera en direct. Ca m'a été très utile à l'époque où je faisais les stages avec Catherine; les derniers temps j'utilisais plutôt la cohérence cardiaque. Mais là, ben ça fait presque un an que je n'ai pas eu de grosses angoisses, et 4 ou 5 mois que même les petites ne prennent plus. Donc je pense vraiment qu'il est possible d'en venir à bout!

  4. Merci Armalite, ce billet peut être vraiment un espoir pour pas mal de monde.
    Le bouquin dont tu parles n'existe pas en français. Tu sais si une traduction est prévue?

  5. Super parcours! J'en retiens le fait qu'il faut tenir jusqu'à passer de ll'autre côté du tunnel 😉 Émotionnellement, je tiens très peu la route mais c'était compensé jusqu'à présent par une détermination à toute épreuve et un certain "optimisme" ou du moins une absence de pessimisme face au monde. Depuis, une grande vulnérabilité s'impose à moi et me bloque ( alors que j'aurais aimé la choisir, en décidant par exemple de ne plus m'infliger ce que ma grande détermination m'a poussé à m'infliger pour prendre plus soin de moi dans des moments choisis), mon absence de pessimisme s'es dissoute et mon énergie colossale consacrée au fonctionnement correct en mode "angoisse" est absorbée par d'autres postes (enfant, travail Avec des vrais gens). Je suis donc en transition, à la recherche de nouvelles façon de fonctionner !

  6. @Ness: Oui, ça se comprend. On vit une période naturellement anxiogène, si en plus on ajoute des préoccupations pas négatives en soi (l'enfant, le travail) mais qui élèvent quand même le niveau de stress, ça devient difficile à gérer. Je suis très admirative devant les gens comme toi qui font un peu tout en même temps; je sais aussi que ma solidité et mon équilibre tiennent au fait d'avoir énormément "streamliné" ma vie en éliminant plein d'éléments incontournables pour beaucoup d'autres personnes. La vérité, je crois, c'est que nos vies d'Occidentaux gâtés nous mettent sur le dos tout un tas de pressions minuscules à la base mais qui ne cessent de s'accumuler jusqu'à un point de rupture, et qui s'assortissent d'injonctions sévères sur la bonne manière de procéder. Et en plus de tout ça, on culpabilise parce qu'on n'est pas en train de lutter pour notre vie, qu'on a théoriquement plein de liberté, etc, donc ON DEVRAIT ETRE VACHEMENT HEUREUX BORDEL, MAIS QU'EST-CE QUI CLOCHE CHEZ NOUS? Et on se demande pourquoi on angoisse…

  7. The Everyday French Girl

    Mon adresse gmail fonctionne toujours, c'est celle que j'utilise au quotidien. Bises.

  8. Ça fait du bien de lire ça. J'ai tendance à taire et tout garder pour moi aussi. Depuis 6 mois j'essaie l'ho'oponopono, luc bodin m'apporte aussi un certain réconfort. Ça m'aide à prendre du recul et à relativiser les choses. Lâcher prise c'est très difficile. J'aimerai lire l'anglais couramment ton lire me tente bien.

  9. Bonjour,
    Très bonne nouvelle. Je vois LE PIRE N'EST PAS À VENIR chez Hugo Doc, ça doit être ça ?
    Quant au cerveau, c'est très courant que les gens considérés surdoués soient aussi angoissés. Organe en surrégime, quoi…

  10. Pardon, je voulais dire : Le pire n'est pas toujours à venir, de David A. Carbonell, Hugo Doc.

  11. @Ana: Oooooh, peut-être, je vais voir! Et si c'est le cas, je modifierai mon article. Merci beaucoup!

  12. Ton billet me parle beaucoup – c'est une excellente idée de partager ton expérience et peut-être que je ferai comme toi – cela aide toujours beaucoup de lire l'expérience des autres, on se sent si seule face à l'angoisse. A la fin, je n'osais même plus en parler, je voyais bien dans le regard des autres l'impatience, l'incompréhension ou pire la pitié.
    J'ai eu mon premier déclic en lisant à mon fils "Frisson l'écureuil" – l'histoire (très drôle) d'un écureuil qui a peur de tout et essaye de tout prévoir et contrôler – exactement ton "relax, Nothing is Under control".
    Bref, merci pour ce billet

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