Je ne relis pas même les romans que j’ai adorés. Un peu parce que je préfère consacrer mon temps et mes sous à découvrir quelque chose de nouveau, un peu par crainte d’être déçue la seconde fois. Récemment, comme on parlait d’une future adaptation à l’écran des Princes d’Ambre de Roger Zelazny que j’avais tant aimés à 18 ans, j’ai voulu faire une entorse à ma règle en relisant la série. J’ai eu toutes les peines du monde à aller au bout du premier tome. Je trouvais le style d’une pauvreté affligeante, le scénario plein d’incohérences grosses comme des maisons, les personnages psychologiquement épais comme du papier à cigarette. Restait l’univers toujours fabuleux, mais ce n’était plus suffisant pour moi. Ma culture littéraire ayant beaucoup augmenté en plus de 25 ans, mon esprit critique s’étant développé en proportion, je ne pouvais plus apprécier ce que j’avais adoré autrefois.
Pour la même raison, je me refuse à revoir les films qui m’ont le plus émue de crainte de les trouver juste mélos, un peu faciles et pas si profonds que ça en fin de compte. Le DVD de « The perks of being a wallflower » – à la fin duquel je pleurais comme une andouille dans la salle de cinéma – est encore sous cellophane, et je ne l’en sortirai probablement jamais. Je suis par ailleurs à peu près certaine que, si je revoyais « Heathers » ou « Pump up the volume », je me sentirais gênée d’avoir marché à fond dans leur trip rebelle quand j’avais 16 ans.
Plus gênant: j’ai du mal à retourner aux endroits où j’ai vécu de belles choses. J’ai l’impression que ça va gâcher mes souvenirs en réécrivant quelque chose de nouveau et de forcément moins intense par-dessus. La première fois que je suis allée à Copenhague, gros coup de foudre et sensation de pas assez. La seconde fois, c’était toujours bien, mais ça n’avait plus rien d’extraordinaire. Albi: la première fois, une journée de rêve avec Chouchou pendant les vacances; la seconde fois, une balade avortée par ennui et que seule a repêché la possibilité de faire un don de sang. Comme si la magie des choses ne résistait jamais à un examen plus poussé. D’où ma boulimie de nouveauté en tout ou presque: la culture, les restos, les voyages… C’est avantageux pour alimenter ce blog, beaucoup moins pour faire des économies.
Le pire, c’est avec les gens. Je ne suis pas la personne la plus sociable du monde, et malgré l’impression que je peux donner ici, je me livre très difficilement sur ce qui compte (raison pour laquelle je me refuse à entreprendre une thérapie pour soigner mes angoisses). Parfois, pourtant, je me laisse cueillir au dépourvu, surprendre dans un moment vulnérable, et il se produit une très jolie connexion humaine, un instant miraculeux et fragile comme une bulle de savon. Et pour rester sur cette impression parfaite… je disparais aussitôt de la vie de l’autre personne. De mon point de vue, rien ne surpassera jamais ce moment-là – alors à quoi bon? Ce qui est tout de même une réaction bizarre, me disais-je récemment, parce que je suis une très grande fan de la routine, des petites habitudes réconfortantes par leur absence même de surprise, des longues amitiés peinardes où on a des kyrielles de souvenirs partagés.
C’est fou comme j’arrive à m’auto-berner quand je n’ai pas envie de regarder la vérité en face. Et la vérité, c’est que dans les cas que j’évoque ci-dessus, je suis juste embarrassée de m’être montrée autrement que sous mon jour habituel de bulldozer. Plus jeune, j’étais à fleur de peau et toujours en quête de sensations intenses, ce dont je me suis mordu les doigts à maintes reprises dans ma vie amoureuse – mais pas que. J’ai beaucoup travaillé sur moi pour devenir quelqu’un d’étanche aux autres, se foutant de leur opinion et n’ayant que très peu besoin d’eux. Fait aussi énormément d’efforts pour contrôler mes émotions afin que ça ne soit pas elles qui me contrôlent. Ca a marché, et ça m’a facilité la vie dans des proportions incroyables. Alors quand je tombe sur quelqu’un qui fendille mon blindage… Je trouve ça très beau; je range soigneusement l’échange dans le musée des chouettes moments de ma vie, et puis je m’enfuis de toute la vitesse de mes chenilles.
Ça me parle.
Je suis l'inverse de toi (mais on le savait déjà 😉 ): ça me fait plaisir de retourner à des endroits où j'ai déjà été – je me sens par exemple très à l'aise à Bangkok. C'est même au point que le premier au jour dans une ville inconnue est parfois désagréable parce que je ne connais pas les codes. Il m'a fallu plusieurs jours pour apprécier Tokyo notamment.
J'aime revoir certains films même si je le fais peu, et pour les livres encore moins vu la taille de ma PAL.
Quant à mon caractère, je suis très sensible, je me laisse toucher par plein choses et ce n'est jamais simple mais je sais aussi que j'apprends à chaque fois. Ce que je fais par contre, c'est mettre plein de barrières pour éviter tout embarrassement, ce qui n'est pas idéal non plus.
Étrange et dommage finalement. Tu passes sans doute à coté de plein de rencontres sympathiques.
La question, bien sûr, est : comment as tu fait pour rencontrer les gens que tu aimes ?
Sparkes
Sparkes: La plupart du temps, ce sont eux qui viennent me chercher (pour des raisons qui me dépassent un peu, mais soit). Mais à une ou deux exceptions près, je tiens toujours mes amis à bout de bras émotionnellement parlant, je m'implique assez peu d'un point de vue affectif.
Hmmm le blindage ce ne serait pas lui qui se fendille aussi la nuit quand ça devient si lourd ?
Si un jour tu changes d'avis sur la thérapie j'ai des noms de gens qui sont d'une "pratique" (légale et non sectaire) qui te parlerait, énormément de visualisation notamment.
Personnellement cette année ma psy m'a tout simplement mais littéralement gardée en vie, sinon j'en aurais terminé en mars pour ne plus avoir à supporter la souffrance que je ressentais comme infinie. Ca aurait été dommage, on a un bel automne.
J'avais des attitudes similaires.
Dans mon cas, j'ai relié cela à mon envie d'absolu, mon besoin d'intensité et mon aversion de la banalité et de la déception (ex.: je préférais les auteurs morts).
Je détestais passer des moments ennuyeux, creux, mécaniques avec les gens: je choisissais donc de voir mes amis rarement mais que nos retrouvailles sont denses.
Maintenant, j'essaie de voir l'aspect cyclique de la vie et des relations, d'éprouver de la tendresse pour ce mélange de instants parfaits et les échanges un peu ratés ou en sous-régime, d'être présente avec l'énergie du moment du mieux que je peux que ce soit en disant "Bonjour" à la caissière ou ayant une discussion où l'on se passe à côté avec quelqu'un que j'aime.
Ne plus chercher des moments parfaits "en soi" ou pour moi mais de focaliser mon attention sur ce que ces moments m'apprennent sur moi (qu'est-ce que je ressens ? de quoi ai-je besoin maintenant, quelle valeurs ai-je envie de vivre ? est-ce une croyance limitante qui m'empêche d'apprécier ce qui arrive du style "ils devraient/ils ne devraient pas"?).
C'est un long chemin mais j'ai gagné en sérénité, en "agilité" et en béatitude.
Ah, et pour les livres, DVD, etc que j'avais adorés et qui tombent de leur piédestal, j'essaie de me souvenir ce que j'avais apprécié (ce livre est toujours capable d'apporter à d'autres gens) et je tente de comprendre ce qui me nourrit les mêmes valeurs avec mes standards actuels (qui auront changé dans quelques années, très probablement). Et puis, parfois, je découvre de nouvelles choses qui me touchent. Cela peut être l'occasion d'une réactualisation, de voir le chemin parcouru.
Un des bons côtés de la relecture décevante pour moi est que je peux éviter de recommander trop chaudement une oeuvre sur des ressentis non mis à jour. 🙂
Personnellement, j'adore me replonger dans les bouquins aimés , savourer les pépites de l'auteur sans attendre la suite de l'intrigue, relire 2 ou 3 pages au hasard ou au contraire marquer des passages et y revenir encore et encore. Mais pour moi au contraire c'est très délicat de lire des nouveautés puisque je cherche forcément des lectures pour étoffer mon panthéon… grosse pression du coup. Du coup je lis des nouveautés par période comme cet été, et j'ai déjà mes nouveaux passages doudous que je relis encore et encore avec bonheur <3
Il est probable que la plupart des pièces de ton musée des "chouettes moments de ta vie" s'imagine être tombée dans les oubliettes des rencontres insignifiantes.
Sparkes
Sparkes: ça ne changera pas leur vie 🙂
Ce commentaire pour t'informer que t'es un chouette moment de ma vie.