Le ressort du sentiment

Mardi, j’ai fait mon pèlerinage annuel à la plage du Mourillon, l’endroit où je viens me ressourcer en invoquant mes souvenirs et en réfléchissant au temps qui passe. D’habitude, c’est un rituel doux-amer mais qui me fait du bien. Cette fois, il était juste amer et je suis repartie assommée par la distance grandissante entre moi et ma jeunesse, accablée par le fardeau du temps qui pèse de plus en plus lourd sur mes épaules. 
Après quelques années difficiles qui m’avaient plongée dans une morosité quasi-permanente, j’avais pris début 2016 la décision de rebooster un peu ma vie. Ca a plutôt bien fonctionné jusqu’à mi-février, puis j’ai fait une crise d’angoisse monstrueuse qui a duré trois mois et m’a stoppée. Je ne sais plus quoi faire pour redémarrer. La mort de Brigitte puis celle de mon père ont cassé en moi quelque chose d’essentiel, un élan vital que je ne retrouverai pas. J’essaie de le remplacer par une acceptation sereine, mais j’ai plutôt l’impression de développer une morne résignation. Il me semble que le meilleur est derrière moi, que la suite ne va être qu’une longue chute au ralenti dont je ne ne peux plus rien attendre. 
Oh, je ne suis pas malheureuse, loin de là. Je sais ma chance d’avoir un métier que j’adore, un amoureux génial, un mode de vie pas très conventionnel mais plutôt plaisant et aucun vrai gros problème pour le moment. Mais pour être honnête, je ne ressens plus grand-chose. Mes vieux carnets intimes, dont j’ai relu quelques passages au hasard le week-end dernier, m’ont bien jeté à la figure que je n’étais plus capable d’une émotion forte autre que l’angoisse. Je me prépare à perdre les gens et les choses en permanence, et pour ça, je me barricade contre tout attachement potentiellement dévastateur. Ce qui est idiot, évidemment: avoir compris que rien ne dure, ni soi-même ni ce qu’on croit posséder, devrait au contraire être la meilleure raison d’en profiter à fond tant qu’on peut. Mais je n’y peux rien: mon ressort du sentiment est cassé, et je suis infoutue de le réparer. 

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5 réflexions sur “Le ressort du sentiment”

  1. Un "détail" qui m'aide systématiquement à retrouver un peu de sérénité en cas d'angoisses existentiel est un fait simple mais indéniable : au fur et à mesure des années, je suis de mieux en mieux capable de ne m'entourer que des personnes choisies qui ne m'apportent que des énergies positives. Vu l'excellent qualité de mon cercle actuel, je ne peux que me réjouir des futures être exceptionnel que mon "great people radar" en constante amélioration va me permettre de rencontrer.

    Il me semble que tu es dotée du même.

  2. Faute d'avoir les mots, ou au moins des mots pour le moment, je vais juste te dire : *CÂLINS* <3

    Mélusine

  3. Je me permets de commenter car j'ai eu plus ou moins le problème inverse du tien : pendant toute mon adolescence, j'ai construit une super-armure en acier trempé autour de mon cœur qui ne laissait passer aucune émotion, ni de moi vers les autres, ni des autres vers moi. Pendant cette période, enfermée dans ma bulle, je n'ai pas lié de relations durables avec les gens et je n'ai pas souvenir d'avoir été émue par quoi que ce soit … C'était d'autant plus difficile à vivre que mes petits camarades et leurs hormones en ébullition vivaient eux dans un mélodrame permanent et plein de rebondissements plus forts les uns que les autres.

    Et puis, il y a deux ou trois ans, sans savoir pourquoi, l'armure a commencé à se fendiller. Je suis devenue un peu plus émotive, plus réceptive aux émotions des autres et à celles que véhiculent les films, les chansons, etc. au point parfois d'avoir les larmes aux yeux devant une vidéo touchante sur le net. Si au début ça ne me plaisait pas du tout (c'était tout de même beaucoup plus difficile à vivre), avec le temps j'ai appris à profiter de cette sensibilité pour tout ressentir à fond, les bonnes émotions comme les mauvaises, et je me sens moins transparente et peut-être un peu plus humaine …

    Bref, je ne pense pas que ton ressort du sentiment soit cassé, il est simplement en pause et il se remettra en marche quand il sera prêt 🙂

  4. J'ai exactement la même impression, vie sentimentale incluse pour ma part…je continue de chercher comment le réparer…
    <3

  5. Après avoir ruminé ton post une bonne journée, je me rends compte que je suis un peu pareille, sauf que je n'ai jamais ressenti de très grands élans sentimentaux, même plus jeune. Ces dernières années, je me suis auto-anesthésiée et ce n'est pas hyper agréable, cette impression d'attendre qqch.

    Quant à ton ressort à toi, ce n'est pas forcément à toi de le réparer, ton entourage s'en charge un peu plus chaque jour, je trouve. En tout cas, ta carapace/résilience semble avoir changé de forme ces dernières années – preuve que tu évolues.

    Bon courage !

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