Française

Suite aux attentats du 13 novembre et à la mise en oeuvre de l’état d’urgence en France, on a beaucoup parlé de patriotisme – une notion qui m’a toujours plongée dans la plus grande perplexité. Je ne suis pas fière d’être française parce que je n’ai aucun mérite à l’être. Ce n’est ni un choix ni un accomplissement de ma part. Seul le hasard m’a fait voir le jour dans ce pays. Moi, je n’y suis pour rien – pas plus que dans le fait d’être fille de fonctionnaires ou d’avoir les yeux noisette, mettons.

Est-ce que je me réjouis d’être née ici plutôt qu’en Afghanistan, en Syrie ou dans à peu près 90% des autres pays de la planète? Bien sûr que oui! Et je me sens solidaire de la communauté au sein de laquelle je vis; j’ai fait du bénévolat dans plusieurs associations caritatives et toujours scrupuleusement payé mes impôts. Mais l’identité française, ça ne me parle pas: j’y vois au mieux un portrait folklorique (bérét-baguette-bistro), au pire, une appropriation nationaliste puante. La culture française, j’en prends et j’en laisse. La politique française, ça fait un moment déjà que je l’ai désavouée en bloc. L’Histoire française – parfois glorieuse et parfois bien dégueulasse -, je n’y ai pas participé. Le mode de vie français, sorti du principe admirable de laïcité (dont nous n’avons pas l’apanage) et la présence en boulangerie de pain décent, je ne vois pas bien en quoi il est censé consister. 

Je n’ai pas honte quand on commet au nom de la France des exactions auxquelles je n’ai pas participé et que je désapprouve de toutes les fibres de mon être: je suis dument consternée, point. Je ne suis pas non plus fière quand une de nos équipes sportives gagne une médaille; sa victoire peut éventuellement me faire plaisir, mais elle ne m’appartient pas. Ce n’est pas moi qui ai tapé dans le ballon! Oui, j’ai été façonnée par le fait de grandir en France plutôt qu’ailleurs: dans aucun autre pays je n’aurais pu développer une telle propension à la râlerie et à la rébellion de principe. Mais j’ai aussi été façonnée par mes voyages à l’étranger qui m’ont appris qu’on pouvait avoir d’autres points de vue et faire les choses différemment – pas mieux ni plus mal, juste différemment. Si j’éprouve parfois un sentiment d’appartenance, ce n’est pas à un pays, mais à la race humaine tout entière.

De manière générale, je me méfie des cases toutes faites dans lesquelles on cherche à me ranger, des profils auxquels on voudrait me faire adhérer aveuglément. Etre française, pour moi, c’est comme être une femme: une donnée de base qui m’a été imposée, pas un kit identitaire façon Ikea – un truc fourni avec une notice de montage dont je ne pourrais pas dévier d’un iota. Je me suis construite de bric et de broc, en piochant à droite à gauche ce qui me correspondait le mieux: les expériences, les goûts, les opinions et les valeurs. Du coup, la Marseillaise, ça ne me touche absolument pas. Et les appels à ma fibre patriotique atrophiée, non plus. Je ne suis sensible qu’aux gestes de solidarité, aux initiatives bienveillantes, aux actions individuelles posées indépendamment de toute notion de drapeau – juste parce que l’Autre est notre frère humain, quel que soit le pays inscrit sur son passeport ou sur le nôtre.

Et vous, ça signifie quelque chose pour vous, être français(e)? Si oui, quoi? Ce n’est pas une question-piège, je suis sincèrement curieuse de votre point de vue. Par contre, il va sans dire que les commentaires trop virulents voire injurieux seront supprimés sans remords. 

14 réflexions sur “Française”

  1. Non, pas vraiment plus que pour toi. Ce n'est pas un choix, c'est un hasard.
    J'aime la France, que je trouve magnifique en tant que pays, tout comme j'adore les paysages italiens ou anglais. Mais la notion de patriotisme me passe complètement au-dessus. Je dirais même que je m'en méfie : ceux qui la revendiquent sont rarement en accord avec mes valeurs.
    Je suis humaine avant tout 🙂

  2. Pour moi, c'est limite parfois plus un fardeau qu'autre chose… Même si je reconnais que j'ai de la chance, comme tu dis, d'être née ici et pas dans un pays où être une femme équivaut à avoir moins d'importance qu'un animal de compagnie.
    Je ne suis pas sûre non plus d'être "humaine" quand je vois les horreurs dont "l'homme" est capable. Ceci dit, à mon niveau, j'essaie d'être bienveillante (je débute) envers tout le monde.
    Mais quand je vois la commissaire européenne qui défend le TAFTA dire "je ne prends pas mon mandat des peuples européens", j'avoue que j'ai peur pour l'avenir de la planète d'une manière générale.

    Alors, entre l'état d'urgence qui empêche les manifs et les réunions électorales (à 300 péquins) mais qui autorise COP21 (le gros LOL, quand on voit les enjeux du TAFTA), les concerts de Madonna et les marché de Noël/ouverture des grands centres commerciaux, je me dis qu'on nous prend quand même sacrément pour des imbéciles…

    Bref, pour moi, en ce moment, être français, c'est plutôt se faire profondément avoir…

  3. Un peu pareil, pas de fierté nationale (mais pas de honte non plus). Surtout lors des rassemblements sportifs : si les règles du jeu m’échappent, le chauvinisme encore plus. A ce sujet, j’ai interrogé ma mère, qui devient folle quand il y a une Coupe du monde de foot : c’est plus intense de suivre les matches avec une équipe à soutenir ! Je trouve ce point de vue intéressant.
    Pour ma part, étant de la génération Erasmus, je me suis un temps proclamée « citoyenne du monde / européenne », mais avec le temps, quand je vois ce qu’est devenue l’UE (machine à lobbies) et les divergences dans le monde, je me demande si cette expression a un sens.
    Enfin, dans mon cas, il y a aussi la question de la double culture, donc j’ai aussi un peu pioché à gauche à droite, mais beaucoup dans les livres ^^

  4. Je me sens à la fois comme toi et Shermane. La question de la double culture (et même de la triple, maintenant) fait que je pioche ce qui correspond à mes valeurs.
    Mon problème, c'est que les gens qui se déclarent très bruyamment patriotes ont la plupart du temps des valeurs très éloignées des miennes. Alors, forcément, c'est un mot que j'emploie avec prudence. Et les drapeaux, c'est pareil.
    J'aimerais avoir tort, mais j'ai l'impression que le poujadisme et la récupération ne sont jamais loin, alors je préfère être circonspecte !

  5. Je ne partage pas ton point de vue.

    Je suis fière d'être française. Je n'ai pourtant pas une goutte de sang français mais pour moi c'est ça être Français.
    Je suis heureuse d'avoir grandit dans le 13éme arrondissement de Paris où toutes les cultures et origines ethniques se mélangeaient au point que les gens comme moi, aujourd'hui, on ne fait pas la différence. On est humains, on a grandit ensemble.

    Les 4 années passées en Belgique m'ont rendue encore plus Française. On passe pour des râleurs, des grévistes à tout va mais le droit du travail est bien plus respecté en France. Comme je le disais à mes collègues, on a des droits auxquels les belges n'aspirent même pas!

    Je sais qu'il y a plein de cons en France, comme partout. Je sais aussi qu'il y a plein de gens géniaux. Quand je rencontre les amis des amis, je n'ai pas peur de tomber sur des racistes ou des homophobes. Je sais qu'ils existent mais pas dans mon cercle, pas au travail non plus.

    Voilà, pour moi c'est ça être française. Je suis très fière d'avoir grandit dans un pays qui a donné sa chance à mon père marocain et ma mère espagnole, un pays qui m'a permis de rencontrer l'homme de ma vie, né de parents hispano-français et portugais; un pays dans lequel j'ai pu choisir entre devenir musulmane, catholique ou athée.

    Je n'ai pas ressenti le besoin en revanche de mettre un drapeau français sur Facebook ou sur mon balcon. Les attentats ont lieu partout, pas que chez nous. Ce n'est pas le moment de clamer sa nationalité. Par contre on peut clamer haut et fort qu'on est pas un gros con. C'est bien déjà.

  6. Et bien moi j'adore mon pays. Je suis fière du travail accompli par mes ancêtres pour façonner ces paysages, je suis fière que mes ancêtres reposent dans cette terre. Je suis émue de voir par trois fois figurer mon nom de famille sur le monument aux morts d'un petit village d'Auvergne. Je suis fière d'être l'héritière de traditions, d'un style de vie, et ce n'est pas parce que c'est le fruit du hasard qu'il ne faut pas en être redevable. Je n'aime pas la notion de citoyen du monde, car je la trouve profondément égoïste et consumériste; Pour moi c'est une attitude d'ado jouisseur qui veut uniquement profiter, tout en se gardant la possibilité de se carapater si des temps plus sombres se profilaient sous prétexte qu'on n'a pas demandé à naître là.

  7. Ça n'a rien à voir, mais serait-il possible d'intégrer un lien vers L'Annexe en haut de page?

    Merci!

  8. Je suis plutôt fière d'être française … Parce que ! Par contre j'ai souvent honte des Français … Parce que aussi ! (Je me comprends. Gris bisoux)

  9. ni spécialement patriote ni le contraire….
    Mais je suis heureuse d'être née dans ce pays où on a une chance de vivre bien, d'avoir une éducation et de quoi manger.
    Les politiques me débectent aussi
    et même si je dis "on a gagné!", je sais bien que je n'y suis pour pas grand chose non plus
    Je n'ai pas mis de drapeau à ma fenêtre, mais la bougie symbolisait davantage pour moi
    Je suis triste qu'on s'attaque à ces gens, qu'ils soient français ou non d'ailleurs
    et je pense que je n'aimerai pas vivre ailleurs qu'ici….

    bisous

  10. Leyciaan > oui, le 13e arrondissement est génial pour ça 🙂 Je me rappelle qu’en primaire, on était de toutes les couleurs et dans ma vision idéalisée, ça ne gênait personne. On se charriait à coup de clichés mais c’était très rarement méchant ou blessant…

    Lucy > personnellement, quand je parle de « citoyen du monde », c’est le fait de s’ouvrir à toutes les cultures (dans la mesure du possible, bien sûr) et de voir autre chose que son pays. Peut-être qu’il y a là une attitude d’« ado jouisseur », je n’ai pas parlé de génération Erasmus pour rien, mais quand on a la chance de voyager et de vivre à l’étranger, je ne trouve pas ça égoïste de la saisir. Et rien n’empêche de redonner en retour et de réinvestir dans son pays. J’ai côtoyé des expatriés qui avaient une attitude d’ado jouisseur ou, plus simplement, de gens qui ont prolongé leurs années estudiantines : ils ne m’ont pas semblé correspondre à ma définition du citoyen du monde. Enfin, c’est important et intéressant à mon sens de se chercher dans d’autres cultures quand on est la 1re génération en France, quand on n’a aucun ancêtre sur les monuments aux morts (ni ici, ni ailleurs), quand au bout de 28 ans, il y a encore des gens pour me parler en anglais dans le supermarché du coin ou me demander d’où je viens. Le melting-pot, ce n’est pas renier sa culture d’origine.

  11. @ Shermane

    Je comprends ce que tu dis, j'ai vécu plusieurs années dans différents pays et j'ai beaucoup aimé et l'expérience et le fait d'en avoir la possibilité. Je trouve tout à fait naturel que des jeunes (et des moins jeunes) veuillent voyager et aller voir ailleurs ce qui fait la richesse du monde. J'adorerais passer trois mois en Argentine, ou 6 mois au Japon, ou encore visiter la région des Grands Lacs en Afrique. J'aime mon pays, mais ce n'est pas pour autant que je rejette les autres cultures, pas du tout. Je ne vois pas en quoi c'est incompatible. Ce que je n'aime pas dans le côté citoyen du monde, c'est de ne voir le monde que comme un hôtel dont on change si le service ne nous satisfait plus, et l'ingratitude. On se sert, on dénigre, on va voir ailleurs, on ne s'attache à rien.

  12. Se sentir français-e ou pas. Une vaste question qui m'a toujours travaillée de part mon histoire familiale.

    Disons que je ressens une appartenance géographique: dans une moindre mesure j'ai cette sensation de venir du continent européen (pas de l'UE, vraiment de la localisation géographique) en rapport avec d'autres localisations dans le monde. Et depuis quelques années je peux dire que je me sens définitivement bretonne – climat, végétation, géologie, sont autant de choses qui font parti de moi, plus que je ne voulais me l'avouer.

    Il y a une chose qui a tendance à me mettre hors de moi, c'est lorsque j'entends/lis que ne pas chanter la marseillaise ou ne pas mettre le drapeau à la fenêtre est un manque de respect envers "son" pays : ces symboles je ne les ai pas choisis et "ma" France n'est pas liée à eux. Suis-je pour autant "indigne" d'être française ? Je crois que c'est une des raisons pour laquelle j'ai tant de mal à me sentir française: j'ai du mal à y voir un rassemblement, j'y vois plutôt une désunion – si union il y a.

    Bref, se sentir français-e ou pas, c'est une question très compliquée pour ma part.

  13. Hello Armalite,
    tout comme toi je n'ai pas de sentiment patriotique français. Un peu régional, pour rigoler surtout (et pour le Camembert). Je ne me sens jamais aussi détendue que lorsque je suis à l'étranger. Je me sens "mondiale", j'adore découvrir la manière de vivre de personnes de cultures et pays différents. J'ai la chance d'avoir un job qui me permet d'aider des personnes issues de pays variés et aux parcours très singuliers que j'admire et respecte, bien plus que cetains de mes "compatriotes". Ce sont ces rencontres, mais aussi celles issues des voyages ou même celles plus furtives des réseaux sociaux, qui forgent chez moi un patriotisme terrien.
    J'adore la Marseillaise ou plutôt sa mélodie qui me fait beaucoup vibrer à en pleurer (les effets de la musique sont très puissants chez moi). J'en déteste les paroles et je ne ressens aucun patriotisme à son écoute.
    Voilà pour ma contribution !
    Séverine (Roseline Papillon su IG)

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