Mon cher Yal,
Je ne crois pas que les morts nous observent de là-haut. (Et je le regrette, parce que j’adorerais penser qu’on se retrouvera tous un jour: ça doit être merveilleusement réconfortant.) Mais trois ans après qu’il a été emporté par le même crabe que toi, je continue à écrire à mon père dans ma tête et sur ce blog, alors pourquoi pas à toi qui connais bien mieux que lui la valeur des mots?
Hier, donc, on s’est rassemblés au crématorium de Bruxelles pour te dire adieu. C’était rue du Silence, et elle aura sans doute rarement aussi peu mérité son nom. On avait tous des tas de trucs à se raconter. Certains venaient de loin, du Sud de la France ou même de Corfou. Parfois, on ne s’était pas vus depuis longtemps, et on déplorait bien d’être réunis par un événement aussi triste. On n’était pas encore entrés dans la salle que les gorges se nouaient déjà, que les yeux piquaient et que les voix commençaient à accrocher un peu. Ca promettait.
Un éditeur avec qui j’ai fait mes études à Toulouse autrefois m’a interpelée. « Ben, tu connaissais Yal? me suis-je étonnée avant d’enchaîner très vite: En même temps, on bosse dans un tout petit milieu, hein… » Enfin, un tout petit milieu, ça dépend pour qui. Une grande partie de mes amis se trouvait là, et les trois quarts des gens m’étaient de parfaits inconnus. J’ai pu mettre un visage sur le nom de ton éditrice Marion Mazauric quand elle a la première pris la parole pour relater votre amitié de trente ans, et sur celui du président du SELF Christian Vila, comme toi ardent défenseur des droits des auteurs en France, qui n’a réussi qu’à faire une courte bafouille très émue.
Les témoignages se sont succédés pendant une heure, avec quelques entractes musicaux. J’ignorais que tu possédais toute la discographie de Goldman et de Balavoine; c’est une chose que nous avons en commun. Par contre, je ne vais plus jamais pouvoir écouter « Envole-moi » sans penser à toi – c’est malin. Et aussi, il faut que tu saches: de toutes les obsèques auxquelles j’ai assisté ces dernières années, les tiennes sont indubitablement celles où le mort s’est fait le plus insulter. Je ne veux pas balancer, mais ta fille Joanna t’a traité de con par lettre interposée, et un autre de tes potes a répété plusieurs fois que tu faisais chier.
Franchement, j’aurais bien renchéri, mais j’étais occupée à torturer un Kleenex généreusement offert par Hélie, assise à ma droite, et à réduire en charpie la main d’Ando, assise devant moi avec son bidon arrondi, tout en écarquillant les yeux et en les levant vers le plafond comme si je voulais me mettre du mascara sauf qu’en fait c’était pour retenir mes larmes. J’aurais aussi bien pu les laisser couler, ce n’était pas la compagnie qui manquait. Mais Sara était tellement digne et forte, elle qui aurait eu plus que n’importe lequel d’entre nous le droit de s’écrouler. Tu aurais été encore plus fier d’elle que d’habitude.
A la fin, elle nous a expliqué que ton cercueil était en carton, qu’on pouvait tous s’avancer pour y écrire un petit mot avec des marqueurs rouges et noirs, et que plus tard, tes cendres seraient enterrées en forêt pour donner naissance à un arbre auquel tes proches pourraient rendre visite de temps en temps. C’était vraiment une belle idée, et on s’est tous précipités pour couvrir de gribouillis maladroits mais pleins d’amour cette boîte qui me semblait bien trop petite pour contenir un si grand coeur. Y’a même des gens qui ont fait des dessins, les sales frimeurs.
J’ai un aveu à te faire, Yal. Alors que tu es l’un des plus grands auteurs de SF français, et un très grand auteur tout court à en croire la presse comme tes lecteurs, je n’ai jamais lu une seule ligne de toi. J’évite de lire les gens que j’aime de peur d’être déçue. Il me semblait que de toi, je savais déjà l’essentiel: ton amour immense pour Sara, tes valeurs humanistes et sociales qui sont aussi les miennes, ton énergie infatigable et la grande gueule que tu n’hésitais jamais à ouvrir quand il s’agissait de combattre l’injustice, le féminisme que tu avais chevillé au corps, la générosité avec laquelle tu prodiguais encouragements et bons conseils, ta tendresse envers tes proches, ce ton goguenard et ces yeux pétillants de malice quand tu racontais des anecdotes de notre cher milieu de l’édition…
Du coup, maintenant que tu n’es plus là, il me reste toute ton oeuvre à découvrir.
Je n’ai pas fini de te parler dans ma tête.
Merci pour ce texte !
Même si je pleure de bon matin dans mon muesli en le lisant.
Et oui, il faut lire Yal, tu ne seras pas déçue, loin de là.
C'est un très bel hommage que tu lui rends là…
Magnifique texte pour un auteur merveilleux qui laisse un vide immense
Très émouvant ! Je n'ai pas pu venir hier, j'ai bien pensé à vous tous.
je ne vais pas être originale mais c'est très beau.
Courage à toi et à tous ceux qui sont dans la peine!
bisous
Toutes mes condoléances à toi, à tous ceux qui l’aiment.
J’ai découvert cet auteur dans une émission télévisée, Rêves écrits(« goguenard » est le premier adjectif qui me vient en tête) et je m’étais dit qu’il avait l’air d’avoir des choses à dire.
Maintenant, je suis moins pressée de le lire…
Je ne sais pas si on se connaît mais comment ne pas avoir lu Yal et publier la photo de son cercueil ? Le mot indécence ça vous dit quelque chose ?
Non, on ne se connaît pas. Si vous trouvez ça indécent de publier la photo de son cercueil (moi je ne vois qu'un moment d'amour et d'émotion, rien de choquant bien au contraire, mais soit, chacun son opinion), en quoi cela l'aurait-il été moins si je l'avais lu? Je n'avais pas besoin de connaître ses livres pour être son amie. Et je ne pense pas que la photo l'aurait choqué.
Bonjour Armalite, décidément je ne commente que dans de tristes circonstances et ce n'est pas faute de vous lire quotidiennement (je suis la maman d'Abel, bientôt 3 ans…). Je ne connaissais pas Yal mais je suis une fidèle lectrice d'Ayerdhal et sa disparition me touche beaucoup. Votre billet également (n'importe quoi l'autre au dessus).
J'avais lu un joli article sur lui dans Le Soir s'il y a quelques jours. Toutes mes pensées!
Ce qui suit est sans aucune animosité, mais je me sens un peu trahi par cette photo. Je précise: moi comme d'autres avons laissé un dessin, un mot, un message à Yal. C'était dans un cadre de recueillement. Une forme de dernier dialogue, une étape dans le deuil. Quelque chose d'éphémère. Voir et savoir que ce que je n'ai pas écrit sur FB ou ailleurs, qui était destiné à disparaître, qui ne regardait que moi, est visible, consultable et conservé sur le net m'emmerde et me gène.
Je n'ai rien à vous imposer, mais je vous demande de considérer mon ressenti, qui peut être partagé par d'autres et si vous ne pouvez pas trouver une autre image.
Voilà, simplement.
Bises et bonne journée
Céline: je me rappelle très bien de ton (je tutoie toutes mes lectrices, si ça ne t'ennuie pas?) message de l'époque, au sujet du prénom de ton petit garçon. Il m'avait beaucoup touchée et il m'arrive encore d'y repenser 🙂
Nicolas: pour le coup, voilà un argument que je comprends. Il me semblait, j'y avais fait attention, que les messages laissés n'étaient pas lisibles sur cette photo (en tout cas moi je n'arrive pas à les déchiffrer dans ce format et cette définition, mais c'est peut-être mon écran ou mes mauvais yeux). Je vais donc retirer la photo. Elle a déjà été partagée sur FB, mais là pour le coup tout est vraiment minuscule et illisible.
Je prend note pour le tutoiement et je repasserai commenter aussi dans des circonstances heureuses!
Bien volontiers Céline!
Il est des circonstances où le ton que l'on emploie ne sera jamais juste pour tout le monde. Je lis souvent ton blog et je trouve que c'est un très joli hommage, avec à la fois de la pudeur et de la sensibilité. Moi il me correspond.
Toutes mes pensées à ceux qui ont perdu un ami en la personne de Yal
Il y a un peu moins d'un mois, au hasard d'une foire au livre, j'ai acheté mon premier Ayerdahl. Drôle de timing.
La vue de cercueil en carton me touche tout particulièrement. Il y a plus de 15 ans de cela mon oncle a tenté de lancer ce produit sur le marché. Sans succès. C'était trop tôt….Entre-temps la faucheuse l'a frappé, sans préavis. ( je n'arrive pas à savoir si c'est mieux quand une longue maladie nous a préparé au deuil. Est-on jamais prêt ? ). J'aime beaucoup cette idée qu'on puisse écrire et dessiner sur ce support et je pense que mon oncle aurait adoré ça.
Bonjour.
Je connaissais Yal. C'était un homme de la vie, de la bonne humeur, de l'amitié partagée. Même tout au long de la maladie il n'a publié aucune photo de lui avec son appareillage pour respirer.
Il n'aurait pas aimé que l'on s'appitoye sur son sort et c'est aussi pour ça qu'il ne communiquait pas souvent sur son état.
Et donc je rejoins Gilles sur ce point, ainsi que Gaëlle Perrin-Guillet qui ne peut poster ici : c'était indécent de publier une photo de son cercueil.
Même s'il était signé de sa famille et ses copains. J'ai moi-même signé et l'idée que c'était un truc pour lui et rien que pour lui, et pour le souvenir des copains, et qui allait disparaitre en fumée ensuite, me plaisait beaucoup.
La publication ensuite de ces photos sur le web n'est pas loin de me mettre dans une colère noire …
Bien à vous.
Keff.
Ma foi, je suis désolée si cela a choqué des gens. Je n'y ai vu qu'une très belle idée et un joli moment de partage, un jaillissement d'émotion positive au milieu d'un événement très triste, et pas un instant je n'ai pensé que ça pourrait poser problème de le montrer. Peut-être était-ce maladroit, mais sûrement pas mal intentionné.
Il n'y a maintenant plus de soucis, la photo a été retirée.
C'était effectivement plus maladroit que mal-intentionné, c'est certain.
Donc pour en revenir à Ayerdhal, lisez le, tout est bon.
Avec me concernant une préférence pour Transparence et Demain une oasis.
Bien à vous.
Keff.
Merci, je comprenais bien l'idée à l'origine mais je suis content que vous ayez compris mes réticences.
Sinon, Yal a écrit des nouvelles magnifiques. "Scintillement" est un des plus beaux textes de SF sur l'altérité et la communication que j'ai lu, il semble qu'un recueil arrive bientôt.
Bonne journée:)
Je note les conseils de lecture, merci! J'ai lu les premiers chapitres de "Demain une oasis" sur le site de… du Monde, je crois? et ça m'a donné envie de connaître la suite, donc je commencerai sans doute par celui-là 🙂
J'étais présent hier. Je suis un ami de Yal. Et cette photo me dérange énormément. Je trouve cela indélicat et irrespectueux de l'intimité de Yal. De sa famille. De ses amis.
Eh bien, moi, les amis, cette photo ne me choque pas le moins du monde. Merci ma toute belle pour ces jolis mots. Et oui, Yal n'aurait pas été dérangé par la photo, pas du tout.
La photo, Sara, détruisait tout le symbole de ce moment de partage intime. La beauté du geste était dans son aspect éphémère. Le partage de l'instant. Notre egregore. Moi, ça me dérange vraiment de voir ce truc si intime, si personnel, et qu'on a voulu voir disparaître avec Yal, partagé sur les réseaux sociaux… Voilà. Je préfère que cette image fasse comme Yal : qu'elle rejoigne la terre au pied d'un arbre. Loin du bruit et de la fureur crétine de Facebook
C'est un très beau texte…