Ce dont je me souviendrai

Photo Thibault Camus pour AP Press

Ce dont je me souviendrai, c’est de m’être répété en boucle toute la journée: « J’espère qu’ils n’ont pas eu le temps de comprendre ce qui se passait ». 
Ce dont je me souviendrai, c’est de la bouille tendre de Cabu quand il participait à Récré A2, des albums du Grand Duduche que je piquais à mon cousin plus âgé alors que je n’avais même pas dix ans. 
Ce dont je me souviendrai, c’est de l’Instagram d’Elsa Wolinski montrant le bureau vide de son père avec la légende: « Papa est parti pas Wolinski », et des larmes acides qui me sont montées aux yeux en imaginant le choc que ça a dû être pour elle et pour tous les proches des autres victimes. 
Ce dont je me souviendrai, c’est du courage de ces journalistes et de ces artistes qui, même si je n’appréciais pas toujours leur travail, bravaient des menaces de mort depuis des années au nom de la liberté d’expression. 
Ce dont je me souviendrai, et dont j’espère que les gens tentés de mettre tous les Musulmans dans le même panier se souviendront aussi, c’est que l’un des policiers abattus en tentant de porter secours à la rédaction de Charlie Hebdo se prénommait Ahmed. 
Ce dont je me souviendrai, c’est de l’activité frénétique sur Facebook et sur Twitter, de tous les amis aussi consternés que moi, aussi infoutus de bosser, aussi inquiets à l’idée d’une récupération politique nauséabonde. 
Ce dont je me souviendrai, c’est de la vitesse hallucinante à laquelle les réseaux sociaux auront permis de mobiliser l’opinion autour de cet événement. (Et non, je ne me souviendrai pas des commentaires immondes sur le site du Figaro ou du Point, parce que je me suis bien gardée d’aller les lire.)
Ce dont je me souviendrai, c’est de tous ces rassemblements spontanés en fin de journée, à travers la France mais aussi le reste du monde: à Paris sur la place de la République, à Marseille sur le Vieux-Port, à Toulouse sur la place du Capitole, à Londres dans Trafalgar Square – marées humaines pacifiques, milliers de gens unis non pas dans la haine mais dans la tristesse.

Ce dont je me souviendrai, c’est que pour la première fois, face à une tragédie, je n’ai pas pensé: « La fin est proche » ou formé d’autre pensée négative. Je me suis dit, tout de suite et très clairement: « Ils ne gagneront pas. Nous les braves gens, nous sommes plus nombreux qu’eux, et ILS NE GAGNERONT PAS. »

7 réflexions sur “Ce dont je me souviendrai”

  1. Je suis bien d'accord avec toi, ils ne gagneront pas, il ne FAUT pas qu'ils gagnent. Comme je l'ai lu : "ils ont voulu tuer Charlie, ils l'on rendu immortel". Aujourd'hui, il est du devoir de chacun de faire taire les amalgames, et de répandre autour de soi l'amour plutôt que la haine et la peur.

  2. J'aime ton billet Armalite, il parle à mon coeur.
    Je me souviendrai moi aussi de cet après-midi où je n'ai pas pu travailler, tellement horrifiée par l'attentat, touchée par la mobilisation sur les réseaux sociaux.
    Je me souviendrai du temps passé place de la République au sein d'une foule immense mais aussi immensément bienveillante et calme, je m'y sentais curieusement bien.

  3. ça y est mes larmes coulent… merci de ce beau billet. Et du courage, surtout.

    Romy

  4. Emouvant billet dont je partage les propos et plus particulièrement ton dernier paragraphe. Je me souviens que le jour des attentats du 11 septembre, je me suis dit "c'est la guerre, ça craint, on ne va pas s'en sortir…". Aujourd'hui je me dit "ça craint, mais on gagnera".
    Merci pour ce billet…

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