
Si « Le complexe d’Eden Bellwether » est censé traiter de la frontière ténue entre génie et folie, il aborde aussi les sujets de la manipulation mentale, des dysfonctionnements familiaux, de l’amour naissant, de la vieillesse et de la fin de vie, des clivages sociaux… Cela aurait pu donner un roman très dense; au lieu de quoi, Benjamin Wood ne fait qu’effleurer chacun de ces thèmes sans jamais s’y engager complètement. Ses personnages souffrent du même problème: ils sont survolés, depuis le narrateur à la normalité d’une fadeur terrible jusqu’aux amis d’enfance Marcus et Yin à peine caractérisés par leurs origines étrangères, en passant par Eden lui-même, qui apparaît comme un gamin gâté et tête-à-claques bien davantage que comme un prodige charismatique mais inquiétant.
Le style est assez plaisant, et servi par une très bonne traduction; malheureusement, l’auteur énonce les choses sans les montrer, si bien qu’il peine à convaincre. Exemple: il mentionne que Jane, la petite amie d’Eden, se dévalorise constamment alors qu’elle est sans doute la plus brillante de tout le groupe, mais aucun détail ne vient jamais étayer cette affirmation. De la même façon, on sent qu’il tente de construire son livre comme un thriller, surtout sur la fin, mais le rythme est beaucoup trop lent pour que se crée la moindre tension, et par contraste, le dénouement brutal paraît presque bâclé. L’atmosphère ne parvient jamais à être évocatrice, et encore moins envoûtante comme le sujet l’aurait mérité.
En fait, à mes yeux, « Le complexe d’Eden Bellwether » souffre énormément de la comparaison avec « Le maître des illusions », avec qui il partage beaucoup d’éléments mais au niveau duquel jamais il ne parvient à se hisser. Le premier roman de Donna Tartt avait des héros vénéneux, une relation frère-soeur à l’ambiguïté dérangeante et un vrai suspense oppressant. « Le complexe d’Eden Bellwether », lui, n’a à l’instar de son personnage-titre que de grandes ambitions qui retombent à plat au bout de 500 pages. Je l’ai lu sans déplaisir, mais il ne me laissera aucun souvenir.
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J'ai moi aussi pensé au "Maître des illusions", lu préalablement par ta f… grâce à toi.
Mélusine