Où je déclare la guerre à la pensée magique négative (1ère partie)

Depuis plus de 6 ans que je lutte contre mes folles angoisses, j’ai eu tout le temps de disséquer leur mécanisme pour tenter de le comprendre – dans l’espoir de réussir à le désamorcer un jour. Le cycle est toujours le même. Un symptôme mystérieux fait son apparition et perdure au-delà du raisonnable. Je me convaincs que j’ai un cancer d’ici ou de là. Je prends rendez-vous chez le docteur. Plusieurs semaines ou plusieurs mois s’écoulent. Je passe un examen quelconque, et le résultat tombe: je n’ai RIEN. Je sors du laboratoire en dansant. Pendant quelques jours, je trouve la vie merveilleuse et je suis ivre de soulagement. Peu de temps après, un autre symptôme mystérieux fait son apparition, et c’est reparti pour un tour. 
J’ai enchaîné tant de ces cycles que je devrais désormais être capable de relativiser. Pourtant, ce n’est pas le cas, et je me suis longtemps demandé pourquoi avant d’accoucher d’une explication assez tordue pour être vraisemblable. Chaque fois, je panique, mais chaque fois, en fin de compte, je vais bien. Je paye mon tribut en angoisse fantasmatique plutôt qu’en soucis réels. Du coup, si je cessais d’avoir peur, ne serait-ce pas justement là que le vrai problème frapperait? Mon inconscient abreuvé de trop de lectures est devenu superstitieux: il croit à l’ironie du sort, aux retournements de situation dramatiques, à la pensée magique négative. Il a dû se persuader que flipper à partir de tout et de rien est un moyen de prévention efficace. Et peut-être, aussi, est-il un peu accro à la joie de vivre insensée, à la gratitude inouïe qui me submerge lorsqu’un diagnostic dissipe une menace imaginaire. 
Début juin, j’ai appris que mon problème d’hypotonie oculaire, détecté fin 2012, avait empiré et qu’il faudrait bientôt envisager un traitement pour ne pas que je développe un double glaucome susceptible, à terme, de me rendre partiellement ou totalement aveugle. Il faut savoir qu’au hit-parade de mes terreurs médicales, la cécité arrive en position n°2, juste derrière la maladie d’Alzheimer et avant les cancers de toutes sortes. Donc, bien entendu, j’ai fait une crise maousse, m’imaginant finir ma vie dans une obscurité perpétuelle et une dépendance abjecte. Chouchou m’a passé un méga-savon, aboyant que je n’avais pas à lui pourrir la vie avec mes angoisses et que s’il me fallait un déversoir, je n’avais qu’à consulter un psy. Chose que j’ai déjà faite, et dont j’ai détesté chaque minute. Un examen complémentaire était prévu début septembre. J’ai compris que si je voulais passer un bon été, j’allais devoir trouver un moyen de mettre mes angoisses en sourdine toute seule comme une grande. 
Alors, j’ai fait un truc qui peut sembler totalement idiot mais qui, à moi, me paraissait follement risqué. J’ai décidé de ne pas m’inquiéter. De partir du principe que de toute façon, je n’allais pas devenir aveugle en l’espace de deux mois, et qu’après ça, même si le résultat de l’examen n’était pas fabuleux, je recevrais un traitement qui aurait de très grandes chances de fonctionner. Qu’en tenant compte des statistiques de réussite actuelle, de la détection précoce du problème, de mon âge et des progrès constants de la médecine, il était fort probable que je ne perdrais pas la vue parce que de toute façon, un cancer m’aurait emportée bien avant
Mon été a été plutôt morose quand même, mais pour des raisons tout à fait différentes, et je peux sans mentir affirmer que j’ai réussi à ne presque pas penser à mon problème d’yeux pendant tout juillet et août. Même à l’approche de l’examen, j’ai repoussé fermement la tentation de la panique qui revenait parfois à la charge. Je me suis concentrée sur ce que j’étais en train de faire et sur les petits plaisirs qui se présentaient à moi; je me suis imaginé des résultats corrects à modérément mauvais que j’accueillais avec calme, et j’ai esquissé des tas de projets pour l’automne afin de ne pas, cette fois, mettre ma vie en suspens dans l’attente d’un rendez-vous médical. Je ne suis pas certaine que ma tactique aurait fonctionné pour un problème objectivement grave, mais là, je savais que le vrai problème était dans ma tête – et que par conséquent, je devais aussi pouvoir y trouver une solution dans ma tête. 
Hier, j’ai vécu ma journée minute par minute, refusant de penser à autre chose que ce que j’étais en train de faire ou allais faire immédiatement après. Je me suis préparée tranquillement le matin. Je suis allée à la gare du Midi prendre mon TGV. Je me suis absorbée dans la lecture de mon roman en cours pendant une grande partie du trajet. J’ai couru pour attraper mon bus. Entre Toulon et Monpatelin, je me suis forcée à faire le vide dans ma tête, me bornant à regarder la route familière en profitant du ciel bleu et de la chaleur. Arrivée chez moi, j’ai vérifié que tout était en ordre à l’appartement. J’ai traité le courrier en attente. J’ai skypé un peu avec Chouchou. J’ai retardé le moment d’aller me coucher, parce que c’est toujours juste avant de m’endormir que je gamberge le plus et que j’ai les idées les moins rationnelles, mais même ça, j’ai réussi à gérer. Ce matin, après une bonne nuit de sommeil sans rêves, je suis allée faire mes courses au village. En début d’après-midi, comme je commençais à tourner en rond chez moi, j’ai pris le bus une heure plus tôt que nécessaire. Je suis passée à la Fnac jeter un coup d’oeil aux nouveautés de la rentrée littéraire. Pour m’encourager, je me suis offert un roman choisi parmi les trois qui me faisaient de l’oeil, en me disant que je le lirais dans la salle d’attente. 
Et puis je suis allée chez l’ophtalmo, et ma journée a pris un tour complètement inattendu. 

(A suivre…)

5 réflexions sur “Où je déclare la guerre à la pensée magique négative (1ère partie)”

  1. Pour bien connaître le souci, je peux te dire que tu as déjà bien géré, mais que tu dois en prévention et tout le temps, tenter un max de ramener ton cerveau au présent dès que tu te rends compte qu'il est parti vagabonder dans des pensées.

  2. Argh… Non, on ne s'arrête pas là ! Et ce teasing !! La suite !! 🙂
    Sinon, la nosophobie, c'est assez classique je crois chez les angoissés chroniques. Sacré boulot de parvenir petit à petit à dépasser ça !

  3. Très bel article! C'est très intéressant de découvrir comment tu démontes petit à petit les rouages de ton angoisse.
    Ça me rappelle un billet dans lequel tu parlais de la spirale négative: un événement désagréable pourtant sans gravité allait se répercutérer sur l'ensemble de ta journée et la gâcher complètement. Tu analysais très bien le phénomène et tentait d'y trouver des parades, pour éviter cette réaction en chaine.
    Dans les deux cas j'aime beaucoup ton approche, ta volonté d'éviter l'amplification de la mauvaise humeur ou de l'angoise qui se soulève comme une vague.
    Bref j'attends la suite avec impatience moi aussi!

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