Pourquoi je n’ai pas d’amis proches

L’autre jour, j’ai mentionné incidemment dans un billet que je n’avais pas d’amis proches par choix, ce qui a paru étonner voire choquer certaines d’entre vous. Considérez ceci comme une réponse générale aux questions qui m’ont été posées dans les commentaires. 
Des amis, j’en ai plein. Parfois, je pense même que j’en ai trop, des gens chouettes auxquels je tiens et dont le bien-être m’importe, des gens avec lesquels je suis toujours contente de passer un moment si l’occasion se présente, des gens à qui je vais envoyer une petite carte ou un paquet remonte-moral quand ils traversent une période difficile. Mais si je ne les vois pas pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, je me passe très bien d’eux. Pourvu que j’aie des nouvelles – généralement par Facebook qui est fort pratique pour ça -, je ne ressens aucun manque. Leur présence physique m’est agréable mais pas nécessaire. Si nos chemins se croisent de nouveau, tant mieux; sinon, je n’en concevrai pas de tristesse particulière. 
Ce que j’appelle un ami proche, c’est un confident, quelqu’un qu’on voit souvent s’il habite dans les parages, quelqu’un qu’on appelle immédiatement si on reçoit une très bonne ou une très mauvaise nouvelle, quelqu’un avec qui on a envie de partager ses plus grandes joies et sur qui on s’appuie en cas de pépin – et à qui on est bien entendu prêt à rendre la pareille. Or, ça, c’est pas mon truc. Si j’estime être assez fiable tant qu’il s’agit d’apporter une aide concrète à un ami en difficulté, je suis parfaitement incapable de ce genre de proximité affective que je considère comme de la dépendance. Vous me direz qu’on est toujours affectivement dépendant d’un certain nombre de personnes, ce qui est tout à fait exact. Mais pour ma part, je tente de réduire le nombre en question au maximum. 
Je ne suis pas hyper sociable. La présence physique de tierces personnes, même très appréciées, vide mes batteries. N’ayant que des réserves d’énergie et d’attention limitées à consacrer à autrui, je préfère me concentrer sur mon compagnon et ma famille nucléaire. Et si quelqu’un au sein de ce cercle de proches vient à me faire défaut, je suis très triste de l’avoir perdu, lui, mais je n’éprouve pas le besoin de le « remplacer ». 
L’autre frein à mes yeux, c’est qu’une relation intime suppose d’être capable de se montrer sans fard devant l’autre – d’avouer ses faiblesses, notamment. Et ça? Je ne peux pas. Je n’arrive déjà que très, très rarement à le faire avec mon compagnon et ma famille nucléaire. Il faudrait qu’on me torture pour que je dise à ma soeur combien elle me manque. Ma position officielle, c’est « Je ne vais pas chercher à avoir une relation avec quelqu’un que ça n’intéresse pas d’avoir une relation avec moi ». Même quand j’en crève à l’intérieur, je ne bouge pas de là – ce qui m’a permis de partir très dignement quand mon ex m’a annoncé qu’il ne m’aimait plus. Avec mes amis, je peux parler de mes problèmes, mais jamais sur un registre affectif: c’est-à-dire que je mène généralement la conversation sur le ton de l’auto-dérision sans manifester à quel point les choses me touchent (même s’ils doivent s’en douter, car je fréquente peu d’imbéciles). Les débordements émotionnels chez les autres me mettent atrocement mal à l’aise; pas question que je leur inflige ça de mon côté.
Comme 16 millions d’autres internautes, j’ai vu la conférence TED de Brené Brown sur le pouvoir de la vulnérabilité. Et je n’ai pas été convaincue. Parler à coeur ouvert, mettre ses tripes sur la table, pour moi, c’est un truc de hippies. Je ne suis pas particulièrement secrète (Dieu sait que j’étale ma vie privée dans les grandes largeurs sur ce blog), mais j’ai besoin de mettre de la distance entre mes émotions négatives et moi pour rester debout. Raconter mes angoisses par écrit et de façon presque clinique, c’est une chose. Les montrer vraiment à quelqu’un d’autre que mon compagnon – et encore, même là, je me retiens chaque fois que je peux -, c’est hors de question. Mes faiblesses, c’est le bout de moi que je ne suis pas prête à partager. 
Je pourrais invoquer des tas de raisons à ça, des raisons liées à mon enfance et à mon histoire personnelle, mais peu importe. Je pense qu’arrivé vers la quarantaine, n’importe qui traîne des casseroles relationnelles, et tout le monde ne choisit pas de se barricader ainsi pour autant. C’est une réaction qui m’est propre, et que je ne parviens pas à considérer comme un défaut. Montrer mes émotions et mes faiblesses, me laisser affecter par celles des autres, ce serait devenir poreuse au monde, et le monde n’est pas un endroit sûr. Je préfère rester contenue en moi-même. 

19 réflexions sur “Pourquoi je n’ai pas d’amis proches”

  1. La peur de l'intimité ''mettre ses tripes sur la table" est souvent liée à la peur du rejet issue de l'inconscient et acquise dès les premières heures de la vie. Lise Bourbeau en parle assez bien dans les 5 blessures dans son bouquin.
    L'inconscient tire sur nos ficelles et fait de nous une marionnette. Ca peut se déprogrammer facilement avec un thérapeute.

  2. Je me retrouve beaucoup là-dedans, le secret en plus… D'ailleurs, je suis toujours irritée par les filles qui racontent tout à leur meilleure amie dans les romans.

  3. Fanny: je ne vois vraiment pas pourquoi j'irais chercher à "déprogrammer" quelque chose que, comme je le dis dans mon billet, je ne considère pas comme un défaut.

  4. D'ailleurs a-t-on réellement des "défauts", pour moi ce sont simplement des caractéristiques…

  5. Je me reconnais tellement dans tout ce qui est écrit. Si j'écoute volontier les autres, leur prodigue des conseils sincèrement, il est hors de question de me livrer, moi. Comme toi, j'écris beaucoup mais je parle peu. J'aimais m'éclater avec mes amies mais ça reste superficiel, je me porte bien sans une horde de copines/copains. Je ne sais pas si c'est un défaut ou pas…je suis bien ainsi.

  6. Merci Armalite d'avoir pris le temps de nous expliquer tout ça. Cela m'intéresse d'autant plus que j'ai une position à l'opposée de toi.
    Pour ma part, je suis une relationnelle dans l'âme et je n'ai pour ainsi dire plus de famille ( on va dire que la Faucheuse connait bien le chemin qui mène jusqu'à notre porte ). Le peu qui me reste , je ne l'ai pas choisi et à part une personne avec qui j'ai de réelles affinités, les autres ne sont que des relations dues aux circonstances.
    Je considère donc mes amis proches comme une famille que j'aurais choisie.
    Je mets à nu avec eux mais paradoxalement c'est quelque chose que je ne fais pas avec mon mari.
    Comme toi je tiens beaucoup à ma dignité mais surtout vis-à-vis de la personne qui m'a blessée, devant les amis je peux m'effondre sans problème.

    Par ler de ce qui m'émeut, me transporte me préoccupe me permet d'avancer aussi, comme si en verbalisant , en disant je comprenais des choses sur moi et puis aussi en écoutant les autres , j'apprends beaucoup sur moi. je me questionne, comment je réagirais à leur place,pourquoi suis-je choquée par tell propos ou agacée..
    L'empathie me sert de catalyseur de remise en question… Est-ce reposant d'être une éponge pas toujours mais je me sens plus vivante.

  7. Je me reconnais – un peu. J'ai été justement dans cette forme de dépendance assez longtemps. Très fusionnelle, j'ai été très proche d'ami(e)s, à la vie à la mort. À cette époque, je devais en avoir besoin, sans doute, mais ce que tu pointes – protéger ses faiblesses – est fort juste. J'ai réalisé que j'étais paumée à force d'avoir vécu dans l'émotionnel, le "friends". Dépendante, j'étais à nue, exposée. Aujourd'hui je regrette d'être devenue un peu asocial (je suis contente d'avoir des amis, mais si le lien s'estompe, ainsi va la vie), mais tu le mentionnes encore fort justement, être avec une autre personne peut être épuisant, a fortiori en cas de réaction émotionnelle (je suis une éponge malgré moi). Les relations humaines c'est bien compliquées !

  8. Ton article aurait parfaitement décrit mon état d'esprit il y a encore quelques années : quelles qu'aient pu être les difficultés, je n'en parlais à personne, ni à ma meilleure amie ni à mes parents, et cette espèce d'armure m'était absolument indispensable. J'étais terrifiée par l'idée de craquer ne serait-ce qu'une fois, de me laisser envahir par mes émotions et de ne plus jamais réussir à retrouver ma stabilité intérieure.

    Puis, suite à plusieurs évènements assez violents psychologiquement, j'ai craqué une, deux, trois fois. Et constaté que loin de m'affaiblir, ça me permettait d'évacuer toutes les émotions et de voir à nouveau les choses de façon objective. Depuis, je me confie beaucoup plus, de façon à désamorcer les crises avant qu'elles n'arrivent, et si mes émotions menacent de me faire craquer, je les laisser s'exprimer une bonne fois au lieu de tout garder.

    Évidemment, chacun a sa façon de fonctionner et si tu gardes la tienne c'est qu'elle a sans doute fait ses preuves depuis longtemps. Je tenais juste à illustrer le fait que parfois, les évènements nous forcent à changer … Et les laisser faire n'est pas forcément une mauvaise idée 🙂

  9. je connais et je comprends parfaitement donc cela m choque pas du tout pour ma part

  10. Je ne fonctionne absolument pas comme ça mais je trouve cela très bien dit et très intéressant comme point de vue… Je pense avoir des amis qui réussissent à prendre cette "distance" que je suis incapable d'avoir moi-même… l'explication de ton "mode de fonctionnement" m'aide à mieux les comprendre… Quelque part, je pense aussi que, même parmi mes amis proches, peu de gens (voire personne en fait) ne m'a jamais vue sous mon vrai jour que je réserve à ma famille très très proche (en gros, mes parents, ma fille et mon compagnon)

  11. ElanorLaBelle

    Je n'ai pas vraiment d'amis proches non plus. Ça n'a jamais trop été mon truc à vrai dire. Je suis quelqu'un qui se confie (trop) facilement, et si je suis réservée j'ai besoin, comme tout le monde, d'interactions sociales. Ceci étant, comme toi, avoir des nouvelles de mes amis, même tous les 4 mois, me suffit. Je suis triste si je fini par perdre de vue certaines personnes, mais je sais que j'en rencontrerai d'autres et je me dis que "c'est la vie".
    Bref, je me retrouve presque à 100% dans ton billet.

  12. J'ai lu il y quelques jours un article sur l'amitié qui m'a fait beaucoup de bien (The Guardian, "Good friends are hard to find – and even harder to keep", Wednesday 13 August 2014). Il m'a fait réfléchir sur mes derniers mois du côté amical, les choix, les éloignements volontaires, la gratitude, aussi. Ton billet est un point de vue intéressant. C'est chouette d'avoir pris le temps de poser des mots et de les partager, merci !

  13. Cet article m'a beaucoup fait réfléchir sur moi (y a pas de raison 🙂 ) et sur mes amitiés (qui aujourd'hui sont très très très peu nombreuses) et je te dis merci. Parce que du coup j'ai compris certaines choses sur moi aussi.
    voila voila 🙂

  14. Je fonctionne exactement comme toi, merci d'avoir mis des mots sur ma façon de voir les choses, de voir l'amitié, de voir la dépendance et ma peur de la dépendance:)

  15. Une question bête: ces émotions que tu ne confies pas, ou alors sur un mode détaché voire clinique, est-ce que tu les exprimes intimement (je veux dire toi, est-ce que tu les admets juste pour toi?) Parce qu'en fait, ton billet m'évoque mon vécu, le lien que j'ai pu faire entre la peur des émotions (le contrôle, que je ne percevais pas du tout d'ailleurs) et les crises d'angoisse (et comme tu en évoques parfois…) Par ailleurs, loin de moi l'idée de juger ton rapport à l'amitié, que je comprends tout en étant différente, c'est juste que cet aspect-là (émotionnel, faiblesse, etc) m'a interpellée

  16. Oui, je sais très bien où j'en suis vis-à-vis de mes propres émotions 🙂

  17. je suis exactement comme cela et je suis ravie de voir que je ne suis pas la seule à vivre les relations amicales et familiales de cette manière!

  18. Merci, c'est impressionnant comme tu décris ça cliniquement. Et non, ce n'est pas un défaut, chacun fonctionne différemment et ça colle bien aux autres fragments de ta personnalité, ce trait de caractère 🙂

    Je n'ai pas d'amis assez proches dont je pourrais réquisitionner l'épaule mais on me souffle à l'oreillette que ça ne tient qu'à moi.
    On m'a program… éduquée pour que je ne déballe pas mes sentiments à des "étrangers", mais la limite entre étrangers et non-étrangers n'est pas claire.

    Pourtant, des fois, ça me manque (genre, récemment). Sauf que c'est anti-naturel pour moi, la peur d'être jugée ou qu'on m'oppose un "je n'en ai rien à cirer" =/ Ce qui me donne l'impression d'imploser fréquemment avant de me calmer et d'attendre la prochaine crise.

    Bon beh voilà, je pensais ne pas avoir grand-chose à dire sur le thème de l'amitié, mais si.

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