Ce qui me reste

Je pleure dans mon lit à une heure du matin quand Chouchou s’est endormi près de moi (crois-je). 
Je pleure pendant la visualisation au début du cours de yoga, en essayant de ne pas faire de bruit pour que personne ne s’en aperçoive. 
Je pleure sous la douche en sortant de la piscine, puis dans le sauna où la chaleur sèche mes larmes avant qu’elles n’atteignent mon cou. 
Je pleure devant les pères des films et des séries télé. 
Je pleure dans les trains qui ne me ramèneront plus jamais vers le mien. 
Je pleure quand je ne connais pas le nom d’un oiseau qu’il aurait su me dire. 
Je pleure de rage en croisant dans la rue un septuagénaire qui sort du tabac avec une cartouche de brunes et dont les poumons fonctionnent pourtant encore. 
Je pleure en apercevant de dos la silhouette d’un homme mince et petit aux cheveux grisonnants qui pourrait être lui – jusqu’à ce qu’il se retourne. 
J’ai l’impression que je n’en finirai jamais de pleurer.

Quelle est la date de péremption d’un deuil? A partir de quand est-on censé faire comme si la page était tournée pour ne pas provoquer les soupirs lassés-ennuyés-embarrassés de l’entourage? Alors qu’à l’intérieur, il reste un noyau dur de chagrin qui ne se dissout pas, qui ne se dissoudra peut-être jamais. Il n’empêche pas forcément de continuer à vivre ou même d’être heureux. Mais il est là, petite boule de douleur qui palpite en sourdine et ne se laisse jamais oublier. Le deuil qui tourne en tâche de fond. 

L’autre jour, je regardais un épisode de « How I met your mother » à la fin duquel Ted renonce à Robin, que l’on voit symboliquement s’élever dans les airs tel le ballon que Ted avait perdu, enfant. 
Et j’ai réalisé que j’étais incapable de le laisser partir, parce qu’il me semble que mon chagrin est tout ce qui me reste de lui. 
Ce qui est faux. 
De lui, il me reste aussi mes angoisses, ma psychorigidité et ma colère, trois traits de caractère contre lesquels je lutte depuis des années. Comme si je rejetais cet héritage; comme si je me croyais meilleure que lui ou, au moins, capable de mieux; comme si je cherchais à l’effacer de moi. 

Mais
il me reste aussi
mon éthique du travail 
mon sens de la justice
mon respect de la parole donnée
ma loyauté envers mes proches.
Un « Je t’aime Papa » sangloté au téléphone un après-midi de septembre alors que le monde s’écroulait autour de notre famille.
Un calme « Je suis fier de vous » en retour. 

Et peut-être que ça devrait suffire. 

19 réflexions sur “Ce qui me reste”

  1. C'est long de faire le deuil de son papa.
    Pour ma part, j'ai mis 5 ans.
    5 ans ou je n'ai fais que pleurer.
    La tristesse est toujours là, 20 ans après. Les larmes peuvent d'ailleurs encore surgir sans prévenir.
    Je sais que je vais mieux car j'arrive à parler de lui sans pleurer mais les larmes ne sont jamais loin je crois.
    Après, chaque histoire est personnel.
    Lors du décès de mon père j'ai fais une rencontre bouleversante qui m'a aidé.
    J'ai aimé croire qu'il était mieux là où il était.
    Ca m'a fait du bien.
    Il me semble savoir que tu as eu une belle relation avec ton papa, souviens toi de tous ces bons moments et essaie comme moi de te dire qu'il est là où il doit être et bien.
    Oui, c'est dur et ça dur …

  2. J'ai une amie qui 'fêtait' tous les ans l'anniversaire de la mort de son père avec un bouteille de champagne (son père adorait le champagne)..Une année elle a oublié…quand elle s'en est aperçue, quelques jours plus tard, elle a pleuré comme jamais..Réaliser que sa vie avait pris le dessus, avait occulté cette blessure..elle a eu peur, elle a eu honte et personne à qui adresser ses excuses…Je crois que la douleur sera toujours là mais que les moments 'supportables' seront de plus en plus fréquents et de plus en plus longs…le temps est ton meilleur allié à défaut d'être un ami. Bisouxxx

  3. Je crois que si la douleur s'atténue avec le temps, on n'oublie jamais la personne disparue et certains souvenirs doux amers ont tendance à rouvrir la plaie. Je n'ai pas perdu un parent, mais une amie très chère voila ans. Si je ne pleure plus comme une madeleine en pensant à elle, il m'arrive d'avoir un pincement au coeur quand je vois quelque chose que j'aurais aimé partager avec elle et que c'est impossible voire même les yeux qui se mouillent. J'ai longtemps gardé son numéro de téléphone enregistré dans mon portable.
    Je me dis qu'à travers de petits riens : un plat qu'elle m'a appris, un film qu'on adorait toutes les deux, des musiques, des expressions qu'on utilisait ou de simples souvenirs heureux, elle continue de vivre. La perte d'un être cher, c'est comme une amputation, le membre est part, mais on a encore la sensation qu'il est accroché au reste du corps.
    Je crois que je ne te remonte pas trop le moral avec ça mais ce que je veux dire, c'est que malgré tout, à travers des souvenirs peut-être doux amer, ton papa est toujours auprès de toi, preuve qu'il a été présent et que la graine qu'il a plantée en toi s'épanouit pour devenir une belle fleur.

  4. Il n'y a pas de règle…
    Avec le départ de beau-papa à Noël, la cicatrice que j'avais soigneusement fermée s'est ré-ouverte de façon brutale. Ça m'a permit de comprendre certaines choses, de les accepter. Malgré tout, lorsque je pleure maintenant, je pleure pour deux.

    Il est difficile d'effacer, quelqu'un qui nous a élevé (bien ou mal ça n'a aucune importance). Comment perdre des habitudes et effacer une relation avec laquelle on a grandi. Un parent, c'est quelqu'un à qui l'on pense régulièrement et avec qui on partage toute sa vie. Et puis, lorsqu'il s'en va on est privé de ce partage. Pour moi au début, c'était ma visite et mon téléphone quotidien qui me replongeait dans la douleur. Lorsque je passais sans m'arrêter ou lorsque le téléphone sonnait, pendant une fraction de seconde je me disais "c'est elle"… et puis avec le temps, cette habitude de partager les choses du quotidien est partie. Mais il reste les grandes choses. Lorsque mes petits monstres me demandent quel genre de grand-maman elle aurait été, lorsque j'ai de grandes joies ou des moments de tristesse, lorsque je vois mon papa…

    Son départ a laissé une cicatrice qui ne s'en ira pas mais qui au fil du temps guérit,je ne la sens plus tout le temps mais parfois, et pas nécessairement négativement, elle me démange.

    Non, il n'y a pas de règle. Tu vois, après 13 ans, j'ai pleuré en écrivant ces mots… mais ça ne me dérange plus, je suis en paix avec mes larmes.

    *câlin*

  5. Ce que tu écris me donne les larmes aux yeux.
    Je viens de perdre mon papa, il y a 3 semaines. Mais je ne le connaissais pas vraiment. Il vivait loin et n'as jamais été vraiment là. Tu as de la chance d'avoir pu dire à ton père que tu l'aimais et qu'il t'ai dit être fier. J'ai vu le miens une journée en septembre et depuis pas vraiment de nouvelle. Il ne répondait pas à mes textos, j'étais ignorée. Pas volontairement, il était occupé, il répondrait plus tard.Mais voilà, il est entré un jeudi matin à l’hôpital et n'est plus jamais ressorti.

  6. Je ne sais pas combien de temps ça peut durer. Je ne connais pas encore ça. Et je le redoute car la relation n'est pas bonne dans mon cas et je ne saurais pas quoi faire de mon deuil, j'aurais à trier pas mal d'émotions contrastées.

    Tes émotions à toi sont tristes mais souvent belles. Tu sembles les mettre petit à petit en ordre, tu éclaircis et range ce que ton papa t'a apporté. Peut-être que ça dure ce temps-là un deuil, le temps de l'assimilation non pas de la perte de l'être cher et de la douleur, mais de ce qu'il nous a apporté quand il était présent et sur lequel on avait pas de recul.
    Ce serait le deuxième temps d'une relation forte qui nous a construit. On l'appelle deuil et dans le langage commun ça se lie à l'absence et à la fin mais c'est peut-être une phase plus cruciale qu'on ne le pense, qui fait partie à part entière et dans une proportion importante de la relation, un truc qui prend autant de temps que toutes les années passées avec la personne et dont la tristesse n'est qu'une petite partie.

    Peut-être qu'au décès d'un être cher, on n'est qu'à la moitié du chemin parcouru avec lui…

    Tout mon réconfort à toi et à tes commentatrices.

  7. En 1999, je me suis envolée vers le Canada et au dessus des nuages, je pensais le voir jouer aux cartes. Mon père est mort en 1981, j'avais 13 ans. Il m'a fallu tout ce temps là et plus encore. Je ne parvenais pas à en parler sans avoir les larmes aux yeux.
    Sache qu'au moins il t'a entendu dire que tu l'aimais (moi je n'ai pas eu le temps de lui dire) et il t'a répondu qu'il était fier de vous (il n'a pas eu le temps de nous le dire). Accroche toi à ça.
    Et puis surtout, si tu dois pleurer, pleure, ne te retiens pas.
    A l'époque, on m'avait conseillé d'être forte pour ma mère et je me suis interdit de pleurer mais "putain", qu'est ce que j'en ai chié après.
    COURAGEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE

  8. Ma mère est morte en 1997.
    Elle fumait comme un dragon, était agaçante et fantasque, aussi extravertie que je suis réservée, curieuse d'une infinité de choses, de l'oenologie au reiki, un peu mystique, rarement crédule. Elle avait une formidable intelligence, instinctive et sensible, et pouvait être d'une mauvaise foi ahurissante. Elle était obstinée et nonchalante, myope, liseuse acharnée. Belle, grande, assumant ses goûts parfois kitsch, osant se remettre en question.
    Rien que le mot 'maman' parfois me brise de coeur.
    J'ai pleuré. Beaucoup. Longtemps. Et puis moins souvent. Parce que le chagrin et le manque, s'ils sont toujours là, deviennent une habitude. C'est un peu terrible à dire mais c'est ça : de vieux compagnons.
    J'ai l'énorme chance d'avoir eu avec elle, les dernières années, une relation sereine ; dans le cas contraire, je n'ose imaginer de quoi s'entache encore la peine.
    Mon père, mes soeurs et moi nous réunissons chaque année, le jour de son anniversaire à elle. On calcule l'âge qu'elle aurait eu (72, cette année). On essaie de l'imaginer en vieille dame – indigne, au moins un peu, forcément – et dans le rôle de la grand-mère que n'auront pas eue mes neveux et ma fille.

    Bon, je suis bavarde, et pas très douée en deuil, en fait. (Mais, Ness, ta façon de voir allume quelque chose chez moi, je vais continuer d'y penser.)
    Il n'y a pas de recette, je crois, juste des conventions archaïques. Il y a ce qu'on sent, ce qu'on sait, ce qui nous reste.

  9. Te lire me rappelle mon papa que j'ai perdu a 8 ans. Suicide. 14 ans apres, je pense toujours ne pas avoir fait le deuil. Je pense souvent a lui, serait-il fier de ce que je suis devenue ? A chaque etape importante de ma vie, je suis obsedee par son absence. 14 ans que je n'ai plus prononce le mot "papa". Malheureusement ce qui me rend folle, c'est que j'oublie. J'etais trop petite surement. Je ne me souviens plus de sa voix. Je donnerai tout pour l'entendre a nouveau. N'oublies jamais les paroles de ton papa. Je te souhaite enormement de courage pour surmonter cette epreuve. On ne s'en remet jamais, mais on apprend a vivre avec cette douleur. Tant bien que mal.

  10. The Everyday French Girl

    Même si ce n'est pas le but de ce texte, il est d'une grande beauté. Je te fais de gros bisous. Je te serre très fort dans mes bras. Je duis là, je pense très fort à toi.

  11. Je pleure en te lisant car je sais que quand je perdrai mon papa, je n'aurai pas assez de toute une vie pour le pleurer… Je t'embrasse.

  12. ton billet et les commentaires sont très émouvant, je crois qu'on vit avec ces personnes qui disparaissent et qu'on aimait tellement, qu'ils restent là en nous… courage

  13. Je ne peux t'effacer la douleur et te donner un remède miracle mais ton post est empli de poésie…et m'émeut beaucoup…
    Emilie

  14. J'arrive étrangement à parler de mon père ou de mon frère sans pleurer. Mais si dans une série télé (ou un film) quelque chose me le rappelle … ça coule.
    Tout me met les larmes aux yeux depuis 2003, tout sauf le fait de parler d'eux 🙂

  15. Je ne connais pas ce genre d'état d'âme car je n'ai pas encore (et j'espère que ce sera le plus tard possible) perdu d'être aussi proche. Je suis très touchée par tes lignes et j'ai envie de te réconforter. Y'a quelques jours, en voyant le titre de l'histoire principale du dernier Tralalire (mensuel destiné aux 2-5 ans…) se nomme "Abel a bon coeur", j'ai pensé à toi et à ton père. Mes pensées vont vers toi !

  16. Je suis désolée de la structure de ma dernière phrase… J'ai juste oublié de relire avant de cliquer sur "Publier commentaire"…

  17. Merci à toutes pour vos commentaires et vos gentilles paroles. Je suis particulièrement touchée par les histoires de pères qui sont partis alors que vous étiez encore très jeunes; comment ne pas me dire que d'une certaine façon, j'ai eu bien de la chance? J'aurais préféré pour vous que nous n'ayons pas ce point commun, mais puisque nous l'avons, en parler une fois en passant, comme là, aide à se sentir moins seule.
    @Ness: comme d'habitude, une réflexion d'une grande intelligence émotionnelle qui donne à réfléchir…

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