Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu un moral et une énergie en dents de scie. Je me définissais en disant: « Je suis cyclothymique ». Le pire, ce n’était même pas les hauts et les bas extrêmes de mon humeur, mais l’insignifiance du stimulus qui suffisait à me faire passer de l’excitation la plus électrique à la déprime la plus profonde, et inversement. Je ne peux pas dire que je le vivais bien, mais ça faisait partie de moi depuis toujours, et je n’imaginais pas qu’il puisse en être autrement. Et puis, lors de notre thérapie de couple il y a trois ans, Chouchou a mentionné à quel point il trouvait ça usant. J’ai dû reconnaître que l’Homme m’avait déjà reproché la même chose – et conclure que, peut-être, il était temps de travailler là-dessus.
Je visualise ma cyclothymie comme une spirale: une fois que j’y suis engagée, que ce soit dans le sens ascendant ou descendant, mon élan m’entraîne de lui-même et de plus en plus vite vers son apex ou son nadir. C’est une version dynamique du cercle vicieux ou vertueux. S’il fait beau quand je me lève, je vais être tout de suite de bonne humeur, et j’aurai tendance à ne retenir de la journée que les choses positives qui me conforteront dans mon bien-être. A l’inverse, s’il fait mauvais, je vais tout voir en noir et rien ou presque ne pourra me sortir de mon marasme. L’exemple météo est un grand classique, mais le principe s’applique à tous les aspects de ma vie. Si je pars faire du shopping et que je trouve un truc sympa dans le premier magasin visité, je vais probablement faire un carnage, parce que mon acquisition initiale m’aura mise d’humeur à apprécier et à avoir envie de m’approprier ce que je vois. Si en revanche je suis partie dans l’idée d’acheter une paire de sandales noires et un T-shirt rouge et qu’aucune paire de sandales noires ne correspond à mes critères, il y a de grandes chances pour qu’aucun T-shirt rouge ne me convienne non plus.
Mais même quand je suis bien lancée dans un sens ou dans l’autre, il suffit parfois d’un détail pour inverser la vapeur. Et j’avoue que ces brusques revirements sont épuisants, pour moi autant que pour mon entourage. Prenons samedi dernier. Le soleil brillait sur Bruxelles; je m’étais levée tôt; j’avais préparé un super clafoutis sans lactose et réservé deux billets d’avion pour Venise fin septembre. Le week-end s’annonçait radieux. Et puis l’après-midi, j’ai commis une erreur de débutante: je suis sortie me promener en ville avec des sandales à talon moyen que je n’avais pas portées depuis l’été dernier, et en oubliant de mettre de la crème Nok.
Notre programme prévoyait de chercher trois geocaches dans le centre, de photographier ma nouvelle robe bleue, de faire quelques petites courses – un timbre pour les USA, une carte Mobib anonyme, peut-être un bouquet de tournesols – et de glandouiller à la terrasse d’un café. Mais les geocaches étaient plus éloignées que prévu les unes des autres, et se trouvaient toutes dans des zones fortement pavées dites « tueuses de chevilles ». Très vite, j’ai eu affreusement mal aux pieds, et mon moral a opéré un plongeon spectaculaire. Nous n’avons trouvé aucune des trois caches, et le temps de jeter l’éponge place des Martyrs, une seule option restait envisageable pour la suite: rentrer à la maison. Alors qu’il était à peine 16h.
Pourtant, je refusais que ce week-end bien commencé vire au ratage total. Alors, arrivée chez nous, j’ai trempé mes pieds dans de l’eau froide pour les soulager; je les ai massés et laissé reposer un petit moment, puis j’ai dit à Chouchou: « On n’irait pas dîner dehors, histoire de compenser? » Nous avons envisagé plusieurs hypothèses, jusqu’à ce que Chouchou suggère le Cook & Book qui avait l’avantage, en plus de la partie restaurant, de permettre une virée en librairie et… une recherche de geocache à proximité. C’était au moulin de Lindekemale, un endroit ravissant où nous avons finalement déniché notre première cache de la journée et un cadre idéal pour une séance photo. Sourire retrouvé, je me suis autorisé un achat de livre chez Cook & Book; puis nous avons fait un repas agréable en terrasse et, sur le chemin du retour, ajouté une seconde cache à notre palmarès. J’ai maintenu le cap dimanche, et nous avons passé une journée absolument délicieuse.
C’était un sauvetage très réussi. Pour le mettre en oeuvre, il aura fallu que je m’arrache à l’espèce d’entêtement morbide qui, lorsque je commence à déprimer, me pousse à tout envoyer promener en partant du principe que c’est fichu, fichu, fichu. C’est si facile de se vautrer dans le ratage – si confortable, quelque part. Au lieu de me laisser entraîner dans la spirale descendante, je dois chercher le moyen d’inverser de nouveau la vapeur, mais dans le bon sens. Franchement, ça demande un certain effort de volonté. La bonne nouvelle, c’est que comme la plupart des changements d’attitude que j’essaie de développer, ça devient un peu plus facile chaque fois.
Bravo 🙂
Je connais bien ce moment critique où décider de passer une bonne journée et changer mon état d'esprit équivaut à gravir une montagne tellement ça me demande de la discipline et de la ténacité. S'en est presque physique, un peu comme endiguer un hoquet en bloquant sa respiration, mais version lutte du bien contre le mal :p
Je connais aussi très bien ça (même si je n'ai pas ça en faisant les magasins). Et je sais aussi pourquoi je tiens autant à ma pilule: elle a fortement atténué mes sautes d'humeur et mes dépressions cycliques. En même temps, ça me dérange quelque part de me dire que c'est un médicament qui fait sur moi, mais je suis bien plus agréable à vivre comme ça.
Je connais cela. Après avoir dépassé une dépression très très longue il y a 4/5 ans. J'ai appris à déceler les signes et à les contrer. Dés que je me rends compte que j'ai un coup de blues j'essaie de me relever et de trouver des choses positives à faire. J'essaie de voir le positif dans tout ce que je vis afin de ne pas sombrer à nouveau.
Cela va avec le fait de ne pas râler. J'ai vécu avec quelqu'un qui râlait tout le temps et j'ai découvert à quel point cela pouvait être épuisant pour l'entourage.
Mon nouveau combat : ne pas râler au volant. C'est désagréable pour la personne qui est à coté de moi et cela ne sert surtout à rien.
au final c'est beaucoup plus agréable de voir le positif dans toutes les situations.
Dernier exemple en date : J'ai mis mon pied dans un trou en me promenant avec Lgqmp qui ma retenue à temps pour pas que je m'étale par terre mais j'ai bien perdu l'équilibre quand même. Une femme qui passait par là a eu très peur, elle a crié et s'est inquiété pour moi. Cela m'a amusée. Je n'ai pas focalisé sur le ridicule de la situation (qu'ai-je besoin de me trimballer sur des compensées de 8 cm alors que je fais déjà 1m75?) et j'ai rassuré la dame. Cela m'a beaucoup amusée.
Tirer du positif de chaque situation aide vraiment au quotidien et à avancer et à ne pas bousiller une journée, une semaine , un mois..
Isa : Je me reconnais totalement dans ce billet. Moi aussi, je suis cyclothymique et j'ai tendance à me laisser sombrer quand quelque chose ne va pas, ruinant au passage la journée de tout le monde. Crois-le ou non, mais je vais garder en mémoire l'exemple que tu cites ici afin d'essayer de trouver des solutions de rattrapage la prochaine fois que ça m'arrivera !
Miss Sunalee : là encore, je me reconnais dans ce que tu décris, sauf que j'ai arrêté la pilule pour cause de migraines à répétition et de disparition presque totale de ma libido. Mais il m'arrive parfois, devant la violence de mes humeurs noires à certains moments du mois, d'avoir envie de la reprendre !
Je n'ai heureusement pas les migraines. La perte de libido, par contre, je connais. J'ai parfois l'impression que les créateurs mâles de pilule ont mis l'effet exprès à l'époque pour nous punir de la prendre et de vouloir être indépendantes – ou ma petite paranoïa à moi. Surtout que maintenant ils ont créé un viagra pour femmes.
Whaouh ! Je me reconnais totalement dans ce que tu décris et je ne l'aurais d'ailleurs pas mieux dit… Depuis que j'ai eu 40 ans (en début d'année), j'ai littérallement "pété un plomb" et on a eu pas mal de discussion avec mon Homme et c'est clair que c'est usant pour soi-même mais également pour l'entourage… En plus comme tu le dis si bien la plupart du temps c'est pour une broutille insignifiante que tout part en cacahuètes…
Je vais retenir dans un coin de ma tête ton exemple, histoire de ne pas me laisser entrainer vers le bas de la spirale la prochaine fois que cela arrive…
Encore merci d'avoir trouvé les mots qui me manquent parfois pour expliquer à mon Homme ce que je ressens (je vais d'ailleurs lui faire lire ton billet…!).
biz ^_^
Si mes décorticages de nombril peuvent être utiles à quelqu'un, tant mieux, ça m'évitera de culpabiliser pour mon narcissisme ^^
Je connais ça mais pas pour Moi. En effet c'est assez usant à vivre pour ceux qui ont la chance d'être constant et ne comprennent pas toujours pourquoi d'autres "pètent un câble" comme ça d'un coup.
Mais "on" vous aime quand même hein 😉
Depuis que j'ai intégrer le fait que d'être du côté négatif de l'humeur fait perdre plus d'énergie que de relativiser et positiver, j'arrive beaucoup mieux à canaliser les passage en mode grognon/négatif
par contre chez moi la pilule provoquais des sautes d'humeur, en plus du manque de libido
@Armalite tes décorticages nombrilesques me pousse à en faire de même et les expériences des autres renforcent les notres
Il y a de l'écho chez moi aussi. Même si je ne me définirais pas exactement comme cyclothymique, je me retrouve en ce moment régulièrement prisonnière de ma mauvaise humeur, de ma râlerie, voire de ma colère. C'est usant pour tout le monde. Or j'ai, par-dessus le marché, l'affreux sentiment de donner à ma mouflette (six ans) un piteux modèle. Y a du boulot. Et avec elle, dans ses moments butés (et nom d'un chien il y en a, ces temps-ci), on cherche chacune notre "interrupteur pour rallumer la bonne humeur". Parfois ça marche…
Je trouve ton exemple vraiment positif , et travailler sur soi meme si c'est dur est une vrai avancee! Congrats!
pour donner une importance moindre à ses propres problèmes, surtout quand ils sont de cet ordre là, il y a des métiers qui aident, ce sont ceux ou l'on prend en charge les gros problèmes des autres (enfants en souffrance, malades, accidentés etc…)
quand on rentre chez soi, on trouve la vie bien douce
courage
…Je suis traductrice. Je ne vais pas m'improviser infirmière ou assistante sociale chaque fois que je veux relativiser mes contrariétés 🙂
A chaque fois que tu rédiges ce type d'article, je suis impressionnée par ta capacité à te remettre en question, à te regarder en face sans complaisance et à toujours essayer de t'améliorer. Tu as une grande humilité. Ça fait partie des qualités qui te rendent si attachante. Parce que oui, tu as également plein de qualités !
Bisous !
Je connais ce même genre de sentiment d'entêtement quand quelque chose ne va pas et que forcément, tout le reste doit aller dans ce sens…cette capacité à énerver mon entourage quand ça m'arrive et de faire d'un week-end qui débutait bien, un vrai calvaire pour tout le monde, tout ça pour un petit truc qui n'allait pas ! Mais en lisant ton article, cela m'a donné la volonté d'y remédier en me remettant en question, tout comme tu l'as fait ! Merci pour tes mots concrets et apaisants.