Hier en fin d’après-midi, je remontais de chez Schleiper avec, dans mon sac, la pelote de laine écrue dont j’avais besoin pour mon prochain ouvrage et, à la main, un petit pot contenant une boule de la sublime glace à la pêche de chez Capoue. La chaleur était légèrement retombée après l’averse de la veille; un souffle d’air caressait mes mollets et gonflait ma jupe de coton blanc brodé.
Et je me suis dit
que j’avais bien de la chance
de vivre dans un pays en paix où les bombes ne pleuvent pas sur ma tête et où on ne se fusille pas à tous les coins de rue
un pays où je peux me promener seule avec les jambes et les bras nus sans qu’on me jette des pierres
un pays où personne n’a le pouvoir de me dicter ma conduite (et où je peux envoyer promener ceux qui essaient)
Bien de la chance d’être née à une époque où j’ai pu choisir d’être autre chose qu’une épouse et une mère
Bien de la chance, en ces temps difficiles,
d’avoir un métier que j’aime,
qui me permet de gagner ma vie correctement,
de rencontrer plein de gens intéressants
et de garder assez de temps libre pour faire autre chose
Bien de la chance d’être en relativement bonne santé et de pouvoir me faire soigner si cela venait à changer
Bien de la chance d’avoir une famille certes amputée mais sur laquelle je peux compter
Bien de la chance d’avoir trouvé ma moitié d’orange même si j’ai toujours peur qu’elle m’explose à la figure
Bien de la chance d’avoir non pas un mais deux toits sur la tête, et sous ces toits, tant de jolies choses et de beaux souvenirs
Bien de la chance de pouvoir assouvir mes envies d’ailleurs deux ou trois fois par an
Bien de la chance d’être là, en train de flâner dans cette avenue un peu moche avec mes mains poisseuses de glace à la pêche et, pour le moment, pas de souci plus grave que chercher quoi faire de ces deux choux-fleurs dans mon frigo, ou ce que je pourrais regarder comme nouvelle série en mangeant ce soir.
Et j’espère ne jamais devenir blasée au point de ne plus m’en rendre compte.
Illustration Tim Jarosz
Quelque chose un peu comme ça aussi, oui 🙂
Et oui… à force de voir le verre à moitié vide, j'oublie trop souvent qu'il est aussi à moitié plein!
Il m'arrive aussi d'avoir ce genre de prise de conscience, une fois par mois (juste après la "mauvaise semaine" en général)environ et là, je crois que le plein de vitamine d qu'on est occupés à faire, nous aide aussi 😉
Tu as tellement raison ! Je devrais me l'imprimer, cette liste…
c'est tellement vrai… je me suis faite la réflexion en lisant les nouvelles il y a quelques jours… la chance d'être née au bon moment, au bon endroit…
Il y a pas mal de temps que je te lis et que je me retrouve souvent dans tes textes. Comme toi j'aime le thé, la lecture, flâner et bien manger, comme toi j'ai perdu mon père et en garde une blessure au coeur. Mais comme toi aussi je crois que la vie et belle et que tous les jours peuvent nous apporter un moment de bonheur.
On l'oublie trop souvent, merci de nous le rappeler!
Jolie illustration pour un joli post.
C'est fou, plus le temps passe, et plus je lis des posts comme celui-ci sur ton blog. (Même un post comme Limbo ne finit pas sur une note amère). Et je suis très heureuse pour toi.