Les nouvelles de mon père empirent. Ses scanners sont de plus en plus mauvais. Dimanche au téléphone, il avait la voix affreusement faible, et ma mère m’a dit qu’il avait reperdu 5 kilos. Il commence une troisième chimiothérapie à l’hôpital jeudi. Pour être honnête, je ne me demande plus s’il va guérir; la seule question qui reste dans ma tête, c’est « Combien de temps? ». Plus que dans certains cas de cancers foudroyants, sans doute; moins, bien moins que je ne le voudrais, c’est sûr.
Pour le moment, j’arrive à maintenir à distance mes visions morbides d’agonie sur un lit d’hôpital, mes hallucinations auditives d’une respiration assistée et caverneuse. J’essaie de rester dans le ici et maintenant. Et à chaque coup de fil où j’apprends que la situation s’aggrave, je me demande comment je dois réagir. Je n’ai pas envie de me laisser submerger par un désespoir qui n’aiderait personne, un chagrin auquel j’aurai tout loisir de m’abandonner plus tard. Mais je n’ai pas envie non plus de devenir blasée au point de ne plus rien ressentir. Pas envie de raccrocher et de reprendre le cours normal de mon existence sans que rien ne témoigne que je suis en train de perdre l’homme à qui je dois la vie, le seul dont j’ai toujours su que je pouvais compter sur lui. Et je ne sais pas où je devrais me situer entre ces deux extrêmes. Je ne sais pas trouver l’attitude juste, l’équilibre entre la solidité dont j’ai besoin pour ne pas me laisser de nouveau aspirer par le trou noir des attaques de panique et l’empathie que je dois à mon père.
Entendons-nous bien: je ne prétends pas que le fait que je souffre avec lui fasse la moindre différence pour lui, surtout à plus de mille kilomètres de distance. Je ne me demande pas non plus comment me comporter vis-à-vis de lui; j’en ai une idée assez claire. Etre présente autant que possible, par des visites ou au moins des coups de téléphone – ne pas lui donner de raisons de s’inquiéter pour moi – lui faire sentir que je l’aime. Je ne suis pas non plus, comme me l’a suggéré Chouchou l’autre soir, révoltée par sa maladie. J’ai trop d’amis à qui le crabe a enlevé un parent, voire les deux, alors qu’ils étaient bien plus jeunes que moi aujourd’hui. Et je connais les statistiques. La majeure partie d’entre nous devra un jour combattre cet animal vicieux. Ce qui arrive à mon père est trop tristement banal pour que j’aie envie de maudire le sort.
Non, le problème n’est pas entre mon père et moi, ni entre moi et le destin: il est entre moi et moi. J’ai du mal à porter ma douleur et seulement la mienne – c’est-à-dire, ma douleur de fille proche de sa famille, et non la douleur de mon père reprise à mon compte par le truchement de l’empathie et de la phobie combinées. La seule solution que je connais pour ne pas sombrer dans ce travers, c’est de ne pas y penser. Ne pas penser aux cellules immortelles mais crétines qui sont en train de se multiplier en tuant leur hôte à petit feu. Bosser comme une folle, m’étourdir de sorties, me perdre dans un livre. Reprendre des somnifères pour arriver à dormir s’il le faut. Me couper de toutes les émotions difficiles. Or il me semble que ces émotions difficiles, mon père mérite que je les éprouve, quand bien même ça ne change rien à son état de santé. C’est comme si j’en faisais un… une sorte de devoir moral, je suppose. Ce qui est sans doute idiot.
Entre éloignement géographique et proximité affective, je cherche la distance juste par rapport à la maladie de mon père.
Illustration Damien Patard
pfff, ton texte me donne des frissons. Tu es très réfléchie, très humaine, ta réaction est humaine.
J'aurais aimé avoir cette distance, cette réflexion, quand j'ai perdu le mien de la même maladie, seulement voilà, j'étais jeune, trop jeune, et je me suis prise sa maladie et ses conséquences en pleine figure.
C'est bien de garder une distance et d’être là, et juste lui montrer que que tu es là, c'est bien et il doit le sentir.
Fait au mieux que tu puisses faire, tu n'auras jamais la réaction parfaite (existe-elle?), et ne surtout pas tomber dans le puits de la culpabilité, on reste tous humains, et le miroir face à cette maladie, est très difficile, chacun se protège comme il peut.
Je te souhaite plein de courage en tout cas.
Très beau texte qui pose les bonnes questions. Et il n'y a pas de réponse toute faite malheureusement; chacun vit cette situation avec son coeur, parce qu'il n'y a pas d'autre solution. Pour l'avoir vécue déjà, je vous dis qu'après, il y a le remords de n'avoir pas fait tout ce que l'on aurait dû, de n'avoir pas été là quand il le fallait. Il faut se raccrocher aux enfants, aux amis, à l'homme de notre vie. Je sais, ce n'est pas très positif comme intervention, mais sachez que je suis de tout coeur avec vous.
Je suis votre blog, mais je commente rarement.
Bonne journée à vous malgré votre peine.
Je ne sais pas quoi te dire, je n'ai pas de conseil-miracle ou même d'avis tranché sur la question. Mais je voulais simplement te faire un signe et te dire que je suis de tout cœur avec toi, même si on ne se connait pas "en vrai".
Je ne sais pas comment je réagirais vis à vis d'une telle situation mais je t'envoie toutes mes ondes positives pour t'aider au mieux à vivre cela !
Je ne peux pas parler "en connaissance de cause", car j'ai la chance d'avoir encore mes deux parents, mais j'ai perdu ma grand-mère de fameux crabe. Je comprends ton dilemme face aux émotions, et j'ai envie de te dire que l'important c'est de faire en sorte que tu ailles, toi, le moins mal possible. C'est peut-être présomptueux, mais je pense que c'est aussi ce que ton père voudrait, que tu continues ta vie, que tu t'efforces d'oublier ce qui ne va pas.
J'ai l'impression d'être très pompeuse, alors je vais m'arrêter là.
Je crois que je ne pourrais pas te dire beaucoup plus que la dernière fois car je me vois extérieure et de fait "impropre" à juger réellement ce que tu traverses, parce que je pense que le si difficile équilibre dont tu parles est propre à chacun et se composera toujours différemment.
Pourtant j'aimerais bien trouver les mots, la petite phrase qui, sans tout changer, aiderait un peu.
Je pense à toi.
Mélusine
Je pense que nous avons tous une manière différente de gérer nos émotions.
J'ai passé 6 mois à avoir pour maître mot "le confort". Je courais donc dans tous les sens pour le meilleur lit, le meilleur coussin, le meilleur accompagnement, etc… Chaque soir en rentrant du boulot, je m'arrêtais sur le balcon familial et en fumant une clope ensemble (alors que j'avais arrêter depuis 3 ans) nous discutions de notre journée. Je ne me focalisais que sur les "j'ai eu un peu mal", "j'aurai besoin de…", "j'aimerai que…" et en rentrant, je ne pensais qu'à améliorer, tout le temps améliorer.
Et puis un jour, sans savoir trop comment ni pourquoi, j'ai juste eu envie de la serrer dans mes bras et puis de l'écouter… vraiment… j'avais juste accepté l'inévitable.
Depuis ce moment là, il n'y a qu'une chose qui m'est devenue importante, ne pas avoir de regret.
J'ai donc pu partir en vacances sans me sentir coupable, sachant qu'elle ne serait plus là pour mon mariage, Mr Pops a fait les choses en grands pour lui annoncer que nous allions nous marier et chaque jour ainsi gagné me faisait accepter un peu plus son départ.
Et puis… quand l'inévitable est arrivé, je n'ai pas pleuré. Je me revois encore sur ce fameux balcon, allumant ma clope seule en me disant que cette fois c'était fini, sans rougir de mon soulagement. Mes frères n'ont pas du tout vécu les choses de la même manière que moi. Nous voyons tous sont départ d'une manière différente.
Tous ces sentiments qui nous coulent dessus, toutes ces questions qu'on se pose ne nous servent finalement qu'à une chose, faire notre deuil et cela, chacun à notre rythme, chacun à notre façon.
Alors prends le temps que ça prendra, fais comme tu le sens, ne pleure pas, pleure, parle ou pas, bref, fais comme le coeur t'en dit.
Ça n'enlèvera pas le manque, ça n'enlèvera pas la tristesse, mais ça te permettra de vivre ces émotions là avec sérénité.
Je dois t'avouer que je relis mon commentaire depuis 5 minutes en hésitant à te l'envoyer, parce que trop personnel et surtout parce que je n'aimerais pas que mes propos te chagrine ou te blesse, si tel est le cas, débarrasse toi de ce commentaire.
Des bisous tout pleins…
Je n'ai pas grand-chose à ajouter aux très beaux commentaires que tu as déjà reçus. Je pense comme Lady Pops que tu dois faire ce que tu ressens. Je ne crois pas que tu sois blasée. Tu apprends juste à vivre les choses avec plus de recul et c'est bien. La démarche que tu nous présentes me parait tout à fait saine. Je ne crois pas que tu te coupes de ces émotions difficiles, elles sont toujours là, mais elles ne te gouvernent plus, elles ne te détruisent pas, et c'est bien. A la rigueur, ça te permet peut-être même d'être plus disponible pour ton père.
Bisous
Isa
Je ne sais pas quel conseil te donner, mais je pense très fort à toi. Mai boîte mail est ouverte si tu veux écrire pour exprimer tout ce que tu ressens. Bisous.
Je ne sais que dire pour t'aider.
Chacun a une façon différente de vivre ce genre de situation. Il n'y a pas de recette magique pour savoir comment se comporter. Mais une chose est sûre, tu te préoccupes de ton père et il le sait sûrement.
Vouloir se protéger c'est bon aussi pour soi car il faut pouvoir tenir bon dans ce genre de situation. Non, ce n'est pas égoïste, c'est juste humain. Et garder de la "distance" dans le sens que tu gardes la tête froide pour pouvoir le soutenir c'est à mon avis une bonne chose.
Je t'envoie en tout cas plein de pensées.
Un père à aimer, c'est un cadeau, toujours retiré trop tôt. Avec le recul, je peux me dire que n'avoir pas de père à aimer, cela peut être une chance. Se couper de ses émotions? Je connais.
Vouloir se protéger, refouler le trop plein d'émotions c'est aussi trouver le juste niveau d'empathie : comprendre l'autre dans sa douleur,sans se laisser submerger par des émotions permet de l'aider, de mieux le soutenir, de trouver des solutions dans certains cas.
Courage pour ta famille et toi-même.
Nathalie
Je dirais juste que chacun vit la maladie de quelqu'un de manière différente et qu'il ne faut surtout pas juger. C'est toujours difficile. Fais comme tu le sens le mieux.
Bisous, je pense à toi…
On m'a dit des mots que j'ai trouvés justes récemment, à savoir qu'il ne fallait pas vivre les mauvais évènements avant qu'ils ne soient arrivés. Facile à dire… mais ça m'a aidée.
Depuis que je te lis, je te trouve la juste balance. L'équilibre risque de devenir de plus en plus difficile. Si tu veux une main, je serai là, je pense à toi.
Je ne sais juste pas quoi te dire si ce n'est que je suis touchée par ce que tu écris, et que cela me laisse sans voix.
Je t'embrasse.
Je vais sûrement répéter ce que d'autres ont dit, mais ce texte, pour ma part, me semble très juste et décrit très précisément et intelligemment les émotions que l'on ressent dans ce genre de cas de figure, le fait de "devoir"souffrir et avoir mal parce qu'une personne chère mérite "ça" de notre part. J'ai trop connu ces sensations, après nous sommes tous différents, mais on peut arriver à s'en remettre, mais avant tout on peut tenter (je ne dis pas que c'est facile) de gérer la situation émotionnelle autrement, en se faisant "aider" ou que sais je encore pour ne pas se laisser submerger, parce que, en effet c'est très important que ton père (je tutoie tant pis) se dise que tu le vis à peu près bien, et que en dehors de ça, tu es heureuse, c'est peut-être le plus cadeau que tu peux lui faire, qu'il se dise que ce qu'il t'a transmis n'a pas été vain, et qu'il a "réussi". Et désolée si mon message est un peu brouillon, ça me prend un peu à la gorge je dois l'avouer. Dans tous les cas, courage !
A part te dire que que je pense très fort à toi et à ton papa, que je sais combien le crabe est sournois et le combat difficile… ton post m'a beaucoup touchée.
Courage et à très vite