En cours de mutation

Il est des gens d’une stabilité remarquable, des gens qui très jeunes savent qui ils sont et ont une assez bonne idée de la direction qu’ils souhaitent donner à leur existence. Soeur Cadette en fait partie, tout comme mes amis Christine et Christophe. Bien sûr, ces gens-là évoluent au fil du temps, mais en suivant un chemin plus ou moins prévisible dont même les aléas de la vie ne les détournent jamais vraiment. Je les trouve solides et rassurants, pareils à des points de repère dans mon petit monde dont le paysage est, lui, en perpétuelle mutation.
A vingt ans j’étais goth et je ne portais que des fringues noires; aujourd’hui mon placard est plein de rouge, de turquoise, de violet et de rose vif. J’ai eu les cheveux roux, permanentés façon caniche, noir bleuté, rouges et violets, méchés de blond platine. J’ai fait de la danse classique, du jazz, du rock, de la boxe thaï, de l’aïkido, de la plongée et de l’équitation pratiqué jusqu’à 4 sports en même temps à raison de 20 heures hebdomadaires, et depuis dix ans je suis une patate de canapé qui rechigne même à se traîner au yoga. J’en suis à ma troisième relation sérieuse, et chaque fois j’ai cru dur comme fer que c’était la bonne. J’ai été mariée, divorcée, pacsée, dé-pacsée, à cheval entre concubinage international et vie de célibataire à Monpatelin. J’ai vécu à Toulouse, à Aix-en-Provence, à Nantes, en Pennsylvanie et maintenant à Bruxelles. J’ai vendu des assurances-vie, été responsable du rayon boucherie-traiteur d’un hypermarché et du secteur caisses d’une grande surface spécialisée dans les jouets avant de devenir traductrice littéraire (et d’envisager de tout plaquer pour ouvrir un magasin de chaussures pendant une période de ras-le-bol). Depuis mon départ de chez mes parents, j’ai eu treize adresses officielles. J’ai été de droite avant d’opérer un changement de bord radical, et je me définirais maintenant comme une écolo de gauche. J’ai détesté les chats jusque vers 23-24 ans; depuis je les adore quand ils ne m’empêchent pas de dormir la nuit. J’ai eu le vin et le thé en horreur; je me damnerais désormais pour un très bon Bordeaux rouge, et je dépense chaque mois des fortunes au Nong Cha. J’ai grandi sans un seul ami; aujourd’hui j’en ai tant que je n’arrive pas à les voir tous.
Je crois que quelqu’un qui m’aurait connue à 20 ans aurait du mal à me reconnaître aujourd’hui. Quelques constantes subsistent: j’ai toujours été athée; je n’ai jamais voulu d’enfant; aujourd’hui comme hier, je suis boulimique de lecture et hyper-organisée, je déteste conduire, j’ai un humour excessivement sarcastique et un grand sens de la justice. Mais tout le reste a changé, parfois sous l’influence des choses qui me sont arrivées ou des gens que j’ai rencontrés, et parfois parce que j’ai voulu que ça change. Quand mes angoisses ont commencé à me bouffer la vie, je me suis focalisée dessus et j’ai essayé différentes solutions jusqu’à ce que j’en trouve une qui me permette de les surmonter. Je ne serai jamais la fille la plus zen du monde mais ça va, je gère.
Depuis six mois et la fin de notre thérapie conjugale avec Chouchou, je me suis lancée dans d’autres chantiers personnels.
– Me lever plus tôt le matin (généralement vers 7h30) n’a pas été si difficile que je le croyais, et ça a eu un effet fantastique sur ma productivité, mon niveau d’énergie et mon moral.
– Arrêter la surconsommation: je suis ravie de rapporter que mon dernier achat de chaussures remonte à mi-octobre, que je n’ai pas du tout fait les soldes d’hiver, que depuis le début de l’année j’ai craqué seulement deux fois pour des vernis à ongles, et que ma seule emplette vestimentaire consiste en un top heattech façon Damart nippon + un jean noir à 40€ dont j’avais besoin. Loin de me sentir frustrée, je suis hyper satisfaite et fière de moi.
– Dédramatiser les petits soucis du quotidien, comme j’en parlais dans un post récent.
– De manière générale, adopter une attitude plus souple et plus positive, et rechercher la compagnie de gens qui sont dans les mêmes dispositions.
Moi qui croyais tout savoir à 18 ans, je découvre de nouvelles choses chaque jour – sur moi, sur les autres et sur le monde qui m’entoure. Mon paysage intérieur est en constante évolution. De tous les voyages que j’ai faits, c’est sans doute le moins spectaculaire et le plus passionnant.
Illustration empruntée ici.

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12 réflexions sur “En cours de mutation”

  1. Très joliment décrit.

    J'ai l'impression de vivre le même genre de lente métamorphose et j'aime m'accrocher à mes "ne changera jamais", j'ai l'impression que ça me donne une solide fondation pour pouvoir tout changer autour.

    Par contre, j'ai l'impression de perdre certains de mes proches dans cette métamorphose, la communication avec ma mère atteint une impasse vu qu'elle communique avec celle que je serais si j'avais évolué "en ligne droite" ces 15 dernières années… la distance entre "elle" (mon moi ligne droite) et moi amène de la distance entre elle (ma mère) et moi. C'est mon prochain but : réduire la seconde.

  2. C'est drôle, j'ai justement hésité à aborder dans ce post la question des gens qu'on abandonne en route du fait qu'on évolue plus dans le même sens. C'est pas qu'on soit fâché; juste, on n'a plus grand-chose à leur dire ou à partager avec eux. De ce point de vue, j'adore FB qui permet de rester en contact et de s'assurer, de loin, que ceux qui ont compté à un moment continuent à aller bien, même si notre vie est désormais loin d'eux…

  3. Princesse Audrey

    J'ai adoré ton article sur ta façon de relativiser face aux tracas du quotidien (il est tombé à point nommé ce jour-là, merci de l'avoir écrit), et j'aime aussi beaucoup celui-ci. Il est plein d'humilité et de souplesse, il montre ta capacité d'adaptation, et combien tu es attachante.

  4. Audrey, merci pour ton commentaire 🙂 J'ai voulu t'écrire il y a quelque temps pour prendre de tes nouvelles, et je me suis aperçue que je n'avais pas ou plus d'adresse mail pour toi…

  5. C'est un texte magnifique!!! 🙂 Il faudrait vraiment que tu écrives une autobiographie, tu as du style et une véritable implication personnelle 🙂 et puis comme ça, je pourrai te faire lire à mes élèves et dire : "je la connais ;)" et super crâner devant eux ^^ Gros bisous et courage pour tout, je suis vraiment désolée de ne pas avoir le temps de donner plus de nouvelles en ce moment 🙂
    Gabrielle D.

  6. Bonjour,
    très beau texte loin de la bêtise de certaines démarches de dvt personnel et à des années-lumière de la fausseté de certains blogs de fille.

    j'apprécie la fluidité de ton écriture, la finesse de tes remarques et le mélange très perso de livres, de nourritures, de voyages et de petits bricolages créatifs.
    Et puis aussi ce genre de billets qui font réfléchir et avancer…
    Laou

  7. Merci pour ce très gentil commentaire, Laou 🙂 Oui, les livres, la bouffe, les voyages et les petits bricolages résument assez bien ma vie ^^

  8. J'ai accroché à ton billet, et mes yeux n'ont plus voulu lâcher prise.

    C'est un peu mon histoire que tu racontes là, alors ça touche forcément.

    Merci :o)

  9. J'ai l'impression aussi d'être en perpétuel changement, ce n'est pas évident tous les jours ^^
    Superbe texte dans tous les cas!

  10. Tiens, j'ignorais le fait que les humains étaient ovipares 😉
    Tu écris très jloiment, c'est un plaisir de te lire.
    Souvent, le changements sont la meilleure façon de rester fidèle à soi-même!

  11. Pour revenir sur ce que disait Funambuline, le problème avec certaines personnes quand on change, c'est qu'elles ont une image figée de ce que nous avons été et refusent parfois d'admettre le changement ou de le voir comme bénéfique. Parfois, au fur et à mesure de mon évolution, on me l'a reprochée, on y a vu un problème d'ordre mental même, sans se soucier vraiment du bien que cela me faisait. C'est le problème récurrent de la relation à l'autre et du changement à proprement parler. Enfin, je crois :o)

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