La longue nuit

Son état s’est beaucoup détérioré depuis une semaine.

Il n’a pas pu venir me chercher au terminus du métro. C’est un de ses copains de chasse qui s’en est chargé pour lui. Quand j’arrive à la maison, il me semble qu’il a blanchi et rétréci de moitié depuis le dimanche précédent. Les traits tirés, les paupières à moitié closes par la fatigue accumulée, il m’ouvre les bras avec un pauvre sourire. Je le serre contre moi; il n’est pas plus épais qu’un enfant. Si frêle, si fragile.

…Surtout contenir l’émotion, ravaler la boule dans la gorge, ne pas se mettre bêtement à pleurer. Je suis là pour apporter du soutien logistique mais aussi de l’énergie positive. C’est pas le moment de se transformer en chiffonnette.

Il a déjà fait deux crises ce jour-là. Un peu avant le dîner, une autre menace mais reflue sans avoir fait trop de mal. La « vraie crise » se manifeste vers 21h. Il va s’allonger dans son lit, et là, au lieu de m’enfermer dans ma chambre en mettant des boules Quiès comme j’en meurs d’envie pour ne pas l’entendre crier, je le suis dans sa chambre. Je me mets à genoux à son chevet, je me serre contre son dos et je lui caresse l’épaule en lui murmurant des choses gentilles à l’oreille. Encouragée par mon exemple, ma mère vient se percher de l’autre côté du lit, et nous faisons salon là pendant une heure et demie, le temps que ça redescende.

Je vais me coucher fière de moi. Si ça se trouve, avec de l’amour et du courage, on peut tenir le pire de la douleur à distance. Mais peut-être que je m’illusionne sur le pouvoir du câlin; peut-être que ce n’était juste pas une grosse crise. Demain, je l’emmène chez la remplaçante de son généraliste pour demander quelque chose de plus fort contre la douleur. Il ne commence la radiothérapie que dans une semaine, et les rayons ne sont censés le soulager qu’au bout d’une quinzaine de jours. Je doute qu’il tienne si longtemps.

Vers 5h et demie, je suis réveillée par des râles. Cette fois, ce n’est pas la tumeur qui lui fait mal. La morphine qu’il prend le constipe malgré les laxatifs; il ne parvient plus à aller aux toilettes, pas même pour uriner, et il souffre affreusement du ventre. Câlin, caresses dans le dos, mots d’amour encore. Mais à partir de là, la douleur s’installe pour ne plus le lâcher. Aucun de nous trois ne ferme plus l’oeil du reste de la nuit. J’ai mal aux genoux et un sérieux déficit de sommeil accumulé ces derniers jours.

Là, j’attends 9h et l’ouverture du secrétariat douleur de la clinique où consulte son chirurgien. Je voudrais l’y emmener dès qu’il sera transportable. D’une façon ou d’une autre, il faut que je lui trouve une solution aujourd’hui.

19 réflexions sur “La longue nuit”

  1. des pensées… juste des pensées… et des calins virtuels même si on ne se connaît pas… car si les calins ne guérissent pas le corps, ils soignent et apaisent l'âme.

  2. Je suis passée par là et je ne peux retenir mes larmes en te lisant. Continue d'être forte et courageuse.
    Gros bisous.

  3. Bonjour
    J'ai découvert ton blog il y a peu (on s'était croisée sur un autre…) et je suis à chaque fois très émue de te lire…je voulais donc juste te souhaiter plein de courage ainsi qu'à ceux qui t'entourent..biz

  4. La même chose que Siobann, des pensées et des calins virtuels alors qu'on ne se connait pas! Que cela puisse t'aider à tenir et à le soutenir! Beaucoup de courage!

  5. N'y a t'il pas moyen d'un service de soin à domicile pour lui permettre de gérer sa douleur et prévenir les crises ?

    Je ne sais pas si en France c'est comme en Suisse, mais ici des tas d'organismes existent pour aider, mais personne n'en parle, alors si tu ne frappes pas aux portes tu n'as rien… Ne serait-ce que des massages (ergo/physio) pour tenter d'aider son transit… enfin, ce genre de petite aides qui ne soignent pas mais soulage un tout petit peu et parfois font la différence.

    Tenez bon, accrochez-vous, je suis de tout coeur avec vous.

    N'oublie de te ménager un peu si tu veux pouvoir tenir la distance…

  6. La langue française est pourtant riche… cependant, seul le mot "courage" me vient à l'esprit…

  7. Je suis de tout coeur avec toi, et te souhaite plein de courage et de force en ces moments difficiles. Je pense fort à toi et t'envoie plein d'ondes positives

  8. Merci pour vos petits mots gentils, les filles. Aujourd'hui ça va mieux; je raconterai ça dans un autre post dès que j'aurai un peu rattrapé mon retard de boulot.

  9. Chère Armalite,

    Je passe régulièrement sur ton blog pour te lire, j’aime ta plume et ta façon de te raconter (et tes chaussures ;)) et puis j’ai plus ou moins les mêmes goûts littéraires que toi, mais je n’ai jamais laissé de commentaires, je suis pas très forte pour ça, un peu timide, un peu l’impression d’avoir rien d’intéressant à ajouter, etc.

    Mais à la lecture de tes derniers postes, je me suis fait l’impression d’être une voyeuse, si je ne me manifestais pas. Alors je t’envoie beaucoup de courage à toi et à ta famille. J’espère que vous êtes bien encadrés médicalement aussi, c’est important. Et puis on sent beaucoup de tendresse dans ce poste, je suis sûre qu’elle aide, aussi tarte que ça puisse paraître.

    Et je te fais une bise de réconfort si j’ose.
    Véro

  10. Ton post est bouleversant d'amour… j'avoue que moi aussi les mots me manquent, à part vous souhaiter du courage et vous envoyer mes douces pensées.

  11. toutes mes pensées vont vers toi et ta famille…courage dans cette dure épreuve…

    ptitange08, charleroi

  12. Une pensée avec du courage pour ton père, ta bouille d'Alice et ta famille. J'espère que la douleur, quel que soit son visage, disparaîtra très de votre paysage @};-

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