Quand j’étais petite, je n’avais pas d’autre ambition que de devenir écrivain. Là où les autres gamines rêvaient de se marier et d’avoir pleins d’enfants, d’endosser un uniforme d’hôtesse de l’air ou un tutu de ballerine, je savais déjà que ma vie était et serait toujours dans les livres. Les livres ne me mettaient pas la pression pour que je sois la meilleure, les livres n’étaient pas cruels et ne se moquaient jamais de moi, les livres me tendaient leurs pages pour que je m’y réfugie à toute heure en oubliant le réel. Je ne voyais pas de plus belle chose à laquelle consacrer mon existence.
Pendant mon enfance et mon adolescence, j’ai noirci des dizaines de carnets intimes. A côté de ça, j’ai écrit assez peu de fiction: une courte pièce de théâtre qui se terminait par la victoire du méchant quand j’avais une dizaine d’années et que je venais de me prendre en pleine figure le choc de la découverte de Racine; un remake de « L’empire contre-attaque » dans lequel Luke Skywalker découvrait une moi plus âgée cryogénisée, la réveillait et – bien entendu – tombait amoureux d’elle. Oh, et puis aussi quelques très mauvais poèmes morbides, le genre sous-sous-Baudelaire qu’on commet volontiers à l’adolescence. Il était déjà évident que je ne savais écrire que sur moi, que mon but n’était pas de raconter des histoires mais de soulager mes tourments intérieurs en les mettant à plat sur du papier comme si cela pouvait m’en purger.
Et puis je suis devenue (relativement) grande. Après un détour malheureux par des études entreprises contre mon gré et pas du tout faites pour moi, j’ai eu la chance de réussir à trouver du travail dans l’édition. Je me suis mise à traduire les livres des autres. Ce n’était pas tout à fait écrire, mais c’était sans doute ce qui y ressemblait le plus, hormis peut-être un boulot de journaliste. Dans mon entourage, la question a commencé à revenir de plus en plus souvent: « Et toi, quand est-ce que tu publies un livre? ». Je me trouvais sûrement, du fait de mes contacts dans le milieu, en meilleure position que d’autres pour espérer le faire. Et dans mon cercle de connaissances proches ou plus lointaines, les auteurs se multipliaient à une vitesse ahurissante. Jusqu’à ce Salon du Livre où j’ai eu l’impression d’être la seule personne de mon entourage qui n’avait jamais publié un livre ni même écrit dans ce but, fût-ce une toute petite nouvelle.
A cela, il y a plusieurs raisons parfaitement logiques:
– D’abord, je suis vénale. Et la réalité, c’est qu’à moins de s’appeler Marc L., Guillaume M. ou Anna G., les auteurs français ont beaucoup de mal à vivre de leur plume, les volumes de vente étant insuffisants pour générer des droits qui leur permettraient de se consacrer entièrement à l’écriture. En tout cas, la plupart de ceux que je connais ont en parallèle une activité « alimentaire »: ils sont traducteurs, scénaristes, journalistes, enseignants… Et moi, ben j’ai pris l’habitude de vivre confortablement. Pas dans le luxe, hein. Mais j’entretiens deux domiciles, un en France et un en Belgique; j’aime voyager dans des pays lointains et j’ai élevé le shopping au rang de 8ème (ou 9ème, je ne sais plus où on en est) art. Je ne m’imagine pas recommencer à compter mes petits sous comme quand j’étais étudiante.
– Ensuite, je suis paresseuse. Et si la fréquentation d’auteurs publiés – ou souhaitant l’être – m’a appris une chose, c’est que l’écriture n’est pas une sinécure. Lorsqu’on dévore en deux heures un petit roman de deux cents pages, on ne se doute pas du temps que sa conception a généralement réclamé. Tous les auteurs ne sont pas comme Gudule ou comme Amélie Nothomb; pour la plupart d’entre eux, écrire est quelque chose de laborieux, de douloureux même. C’est lutter contre l’angoisse de la page blanche, les idées qui s’envolent dès qu’on s’installe à son bureau pour les développer; c’est se battre contre les phrases qui ne veulent pas prendre la tournure souhaitée, qui sonnent bizarrement ou peinent à retranscrire une image intérieure. C’est se remettre en cause en permanence: ai-je réellement quelque chose de nouveau à dire, ne suis-je pas en train de m’échiner pour produire un texte médiocre dans le meilleur des cas? Toutes choses qui me fatiguent d’avance.
– Enfin, je suis orgueilleuse. Je ne crois pas posséder l’humilité nécessaire pour accepter le fait qu’un éditeur me dicte comment remanier mon texte pour l’améliorer – une fois, deux fois, dix fois s’il l’estime nécessaire. Et puis surtout, on a trop attaché d’importance à mes brillants résultats scolaires lorsque j’étais enfant. Aujourd’hui, je ne vois pas l’intérêt d’écrire si c’est pour pondre un premier roman moins magistral que « The secret history » de Donna Tartt, moins hallucinant que « House of leaves » de Mark Z. Danielewski moins fulgurant qu' »Une fièvre impossible à négocier » de Lola Lafon.
Sans compter qu’il ne suffit pas d’avoir des prétentions éditoriales: il faut aussi un sujet à explorer. Je l’ai dit plus haut: j’ai le sentiment de ne savoir, de ne vouloir, de n’avoir besoin de parler que de moi. Je suis une nombriliste, pas une conteuse. Or, s’il est un genre littéraire qui m’agace par-dessus tout, c’est l’auto-fiction de trentenaire. Je ne vais quand même pas écrire le type de bouquin que je regarde avec mépris sur les tables des libraires!
Voilà pourquoi vous ne risquez pas de voir mon nom sur la couverture d’un roman un jour. Un mélange de pragmatisme, de flemmardise et de lucidité m’empêche de me lancer dans un tel projet. Parfois, ça me fait un peu mal de penser que mon rêve d’enfant est si proche et que je suis incapable de le concrétiser; mais je me dis que ma vie est belle quand même et que ce n’est pas si grave. D’autres fois, je soupçonne que je me mens à moi-même, que je ne suis pas vraiment incapable d’écrire ou qu’en tout cas, je n’en aurai pas la preuve avant d’avoir essayé – et que seule la lâcheté, la peur de l’échec me retient de le faire. Parfois, je considère la question comme définitivement réglée; d’autres fois, je me dis que si ça se trouve, je finirai par changer d’avis. Qui vivra verra.
Oh comme je me reconnais parfaitement dans ce texte. A la seule exception que je ne travaille pas dans le milieu de l’édition. Paresse et orgueil, tout à fait ça, vénale je ne sais pas trop…
Plusieurs fois, des amies proches connaissant mon amour des livres m’ont demandé: « Et toi alors? Quand? »
A bientôt 25 ans, il y a toutefois une nuance, c’est que je pense que je le ferais.
Je ne sais pas quand, je ne sais pas si j’y arriverais, et si j’y arrive, il se peut qu’on me le balance en pleine figure en riant mais j’essaierais.
Pour voir si j’en suis capable.
Il me suffirait juste de trouver le courage et beaucoup de confiance en moi!!!
Beau texte en tous cas…
C’est vrai que c’est assez effrayant… Sur les divers forums orientés « imaginaire » que je fréquente, parmis les personnes que je connais vraiment, il doit y en avoir… une qui n’écrit pas. Et dans la vraie vie je connais un quelqu’un qui travaille dans l’édition et n’écrit pas non plus. Mais à part ça, bin…
Nous sommes encerclés. Je m’encercle moi-même. Aaargh.