Pendant très longtemps, j’ai fait plus jeune que mon âge. Ceci était en partie dû à mon mètre cinquante-quatre et à ma voix de gamine, en partie à mes fringues plus rock que féminines ou élégantes. Ce qui m’énervait adolescente et jeune adulte est devenu une source de satisfaction intense à partir de 27 ou 28 ans. Alors que les filles de mon âge commençaient à attraper des rides et des cheveux blancs, ma détestation absolue du soleil et mon visage rond retardaient l’apparition des pattes d’oie et autres plis sur le front, tandis qu’une appréciable hérédité paternelle conservait à mes cheveux leur brun foncé naturel.
Puis l’année de mes 33 ans, mes sillons naso-géniens se sont creusés brusquement, et j’ai trouvé un premier cheveu blanc sec et frisotté au milieu de la jolie crinière qui faisait ma fierté. A partir de là, le bas de mon visage a commencé à s’affaisser irrémédiablement, me gratifiant d’un menton surnuméraire dès que je cessais de tendre le cou en avant. Alors que jusque là j’avais toujours bien aimé mon visage, je me suis mise à redouter mon reflet dans le miroir. Je pouvais bien continuer à écouter du metal et du goth, à baigner dans la fantasy, à lire des mangas et à acheter mes fringues dans les boutiques de djeûns, je devais me rendre à l’évidence: je vieillissais. Je faisais mon âge, celui d’une adulte restée ado dans sa tête qui virait peu à peu au « mouton déguisé en agneau », comme disent les anglo-saxons.
Ca m’a pas mal chagrinée. Je n’ai jamais été une bombe anatomique et je ne craignais pas de perdre une ligne que je n’avais jamais eue, mais je me sentais de plus en plus étrangère à la personne qui me rendait mon regard dans la glace. Je me demandais si je n’allais pas devenir une de ces quadras, puis quinquas pathétiques dont la seule obsession est de continuer à faire jeune; si je ne devais pas me résoudre à grandir enfin pour être raccord avec l’image que je présentais au reste du monde – quoi que puisse signifier le verbe « grandir » dans mon cas.
Après l’extérieur, c’est l’intérieur qui a commencé à donner des signes d’usure. Mon endométriose s’est aggravée et je n’ai plus pu continuer à l’ignorer; j’ai dû me faire opérer, puis chercher un traitement pour l’empêcher de récidiver. J’ai perdu peu à peu la souplesse développée par vingt ans de danse classique et moderne. Hier pour la première fois, mon genou droit abîmé par un vieil accident de ski s’est mis à me faire mal pour la seule raison que le temps était pluvieux.
La maladie puis le décès de mon amie B. m’ont joliment remis les idées en place. Depuis quelques semaines, je me dis que ce n’est pas bien grave d’avoir des rides ou des articulations qui craquent, que c’est le signe qu’on a vécu, fait des choses et exprimé des émotions. Je ne vais pas prétendre que je trouve Brigitte Bardot et Jeanne Moreau sublimes telles qu’elles sont aujourd’hui, mais je préfère encore ça au visage botoxé de partout de ces actrices de 40 ans qui ont toujours l’air d’en avoir 20. S’efforcer de rester jeune à tout prix, c’est livrer une bataille qui, en plus d’être vaine, mobilise beaucoup trop de temps et d’énergie à mon goût. C’est aussi se priver de la chance d’être en harmonie avec son âge et d’en savourer les plaisirs propres. En gros, j’ai décidé que ça n’était pas pour moi, que j’allais accepter ce qui arrive à mon corps (sans toutefois me laisser aller à ne plus prendre aucun soin de ma personne) et me préoccuper juste de rester moi plutôt que de rester jeune.
Je suis donc en paix avec mon apparence. Mais atrocement angoissée par mon état de santé. Je traîne depuis plusieurs semaines un torticolis dont je suis persuadée – ne riez pas – qu’il est le signe avant-coureur d’une tumeur au cerveau qui appuie sur les muscles de ma nuque. Je n’ai pas de raison particulière de m’inquiéter; je fais des check-ups réguliers, je ne fume plus depuis deux ans, il n’y pas d’antécédents de cancer dans ma famille, etc. A cause de B., et aussi d’une amie de Soeur Cadette (32 ans, sportive, une parfaite hygiène de vie et une tumeur du cerveau très aggressive découverte il y a quelques mois), je suis pourtant douloureusement consciente que tout cela ne garantit rien. Qu’à mon insu, un vilain crabe pourrait très bien être en train de me grignoter l’un ou l’autre organe – et que je pourrais très bien ne pas m’en apercevoir avant qu’il soit trop tard.
C’est fou la vitesse à laquelle les priorités peuvent basculer. Aujourd’hui ma seule préoccupation, la seule chose qui ne dépend pas entièrement de moi et pour laquelle je prie, c’est rester en bonne santé. Tout le reste me paraît très insignifiant et/ou remédiable avec un peu de bonne volonté.
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à te lire attentivement, ne pourrait-on postuler que ton torticolis vient de ta tendance à « tendre le cou en avant » pour échapper au double menton. Même si tu as décidé d’accepter ton âge dans ta tête, ton corps a peut-être gardé la mémoire de ce mouvement peu naturel?
C’est dingue! Je suis exactement dans la même phase… 1er cheveux blancs il y a 1 et demi (avant mes 33 ans), ausi un visage de bébé dont les sillons se creusent (je me dis que ça va me donner un air sévère quand je serai vieille et ça me chagrine), je regarde ma garde-raobe d’un air suspect et me demandant si tout cela est bien raisonnable, le docteur qui me dit que je dois faire gaffe sinon je vais attraper la goute…
Malheureusement, comme tu l’as mentionné toi-même, les saloperies du genre cancer peuvent arriver à ceux qui prennent soin d’eux. C’est une bien macabre loterie et on ne peut rien pour empêcher que les « bons » numéros sortent. Alors profite, tout en étant vigilante et évite d’imaginer le pire.
http://leroseetlenoir.blogspot.com/2007/12/c-word.html
On vit dans un monde anxiogène aussi, et un de mes amis, plus versé en sciences que moi, prétend même que la pollution, la prolifération d’ondes atteignent non seulement otre santé (ce qui est déjà assez flippant) mais aussi notre résistance psychique en affectant notre cerveau, de manière biologique et insidieuse. (je préfère me dire qu’il est un peu fêlé, lui, de penser cela). je me suis pas mal reconnue en lisant votre note, d’autant plus qu’il y a quelques jours, une copine m’ a dit « tiens mon mec quand il t’as vue, a été super étonné, il sait que tu as 30 ans, mais il t’en a donné 40″, sa maladresse m’a plus chagrinée que mon air vieux, finalement, contre les divers sillons du visage, on ne peut pas grand chose, surtout si l’on tient à rester soi, en revanche bien choisir ses amis, et faire du sport à outrance, là on peut…j’ai plus de poids sur mes fessiers que sur mes rides et je me sens mieux dans mon corps à 30 ans qu’à 20. Et puis lorsque l’on perd un être cher, on peut avoir aussi, des réactions paradoxales et continuer à fumer comme un pompier sur l’air de » s’arrêter,à quoi bon? » parce qu’on a vu quelqu’un mourir d’un cancer du poumon, vous, au moins, ne semblez pas avoir cette bêtise là!
@Armalite et Melissa :
Exactement dans la même phase que vous deux…
(Sauf pour le cheveux blanc,mais vu les bétises des gamins, ça ne saurait tarder…)
D’où ma question « Est-ce qu’on ne doit pas toutes passer par là? » ou,autre question,
« Est-ce du au fait que nous soyons verticalement défavorisées et donc peut-être plus « vulnérables »? »
vieillir/mourir/les 2,ça me fiche vraiment la trouille…
C’est sûr que la petite taille n’aide pas; un kilo de plus sur un mètre 50 ça se voit beaucoup plus que sur un mètre 80!
Et oui, on doit toutes en passer par là, sinon c’est mauvais signe – c’est qu’on est mort avant d’atteindre le moment où ces questions se posent d’elles-mêmes! Après, chacune sa réponse, et j’avoue que je n’aime pas trop celle suggérée par les média – chirurgie esthétique, obsession de l’apparence… J’aimerais qu’on valorise davantage l’expérience et la sagesse acquise au fil des ans, qu’on n’oublie pas que la beauté se niche là aussi.
bien d’accord avec toi même si j’ai parfois ( souvent? ) beaucoup de mal à ne pas entendre le discours ambiant des sirénes matérialistes…
Bonjour,
j’ai eu affaire à quelques cancers dans ma famille, j’ai eu l’impression que nos corps et nos vies nous échappaient, malgré tous les soins qu’on peut porter à notre corps. Cela est très angoissant, même à 18 ans, je me suis méfiée de mon corps(comme vous pensez que pensez que vous avez une tumeur au cerveau).
Cela ne paraît donc pas lié à l’âge, ou peut être suis-je déjà vieille… lol