En allant chez le véto récupérer Scarlett que j’y avais laissée ce matin pour un détartrage sous anesthésie, j’apprends que la pauvre bête a des transaminases qui explosent tous les quotas: enregistrées à plus de 1200 alors que le taux normal se situe entre 12 et 130. Et encore, c’est peut-être plus, l’indicateur n’allait pas au-delà. Autrement dit, ma petite chérie a un problème de foie. Le véto a réclamé des analyses supplémentaires dont j’aurai les résultats jeudi; nous verrons alors ce qu’il faut envisager comme traitement. Il pense a priori qu’un changement d’alimentation et, peut-être, des hépato-réducteurs pourraient suffire à ramener ses transaminases à un taux plus raisonnable, mais bon, tant que je ne serai pas sûre je m’inquiéterai forcément. Elle n’est quand même pas toute jeune, ma puce. Je savais bien qu’un jour où l’autre les ennuis de santé commenceraient, mais on a toujours tendance à penser que ceux qu’on aime sont immortels.
Donc je sors de la salle de consultation, un peu ébranlée. Au comptoir de l’accueil, je règle ma facture et reprends rendez-vous pour jeudi avec la secrétaire. Derrière moi, j’entends discuter une mère et sa fille qui ont apparemment elles aussi amené un chat. La fille s’approche d’un présentoir situé à côté de moi. Je la vois de dos. Elle doit avoir une douzaine d’années; ses longs cheveux bruns et raides lui descendent jusque dans le creux des reins et… autour la taille, elle porte un sweat-shirt du club d’aïkido de l’Homme. Je me tourne vers la mère. Ces cheveux (mal) teints en blond, ce bronzage orange, ce nez en forme de patate… Ouaip, c’est bien elle. Je finis de régler ma facture et me dirige vers mes paniers à chat. Au passage, je lance un sourire crispé à Fausse Blonde.
– Vous ferez mes amitiés à l’Homme.
Je me penche pour attraper les paniers et entends une voix douce, un peu étonnée, me demander:
– Vous le connaissez?
Euh… Ou elle se fout de ma gueule, ou elle est pas physionomiste pour deux ronds, parce qu’elle a dû en voir quelques-unes, des photos de moi. A moins bien sûr que l’Homme ait effacé toute trace de ma présence dans sa vie (enfin, toute trace dépourvue de valeur pécuniaire, disons). Ce qui ne m’étonnerait guère de lui.
Je me redresse et, tandis que la secrétaire contourne son bureau pour venir m’ouvrir la porte de la clinique, je plante mon regard dans celui de Fausse Blonde.
– Oui. Je suis son ex. Celle à qui vous l’avez piqué.
Et je sors sans attendre sa réaction.
Et maintenant, je m’en veux. Pas de l’avoir agressée – même si je ne suis pas particulièrement en colère contre elle, j’ai bien le droit de lui caser une remarque aigre au passage, et puis je ne me voyais pas sortir de là sans marquer le coup. Non, je m’en veux de ne pas avoir ajouté: « Comme je l’avais piqué à son ex-femme et comme une autre vous le piquera un jour quand vous ne l’idolâtrerez plus suffisamment ». Ca, ça aurait été assassin juste comme il faut, parce que dirigé davantage contre lui que contre elle.
[matière à nouvelle]
Fausse blonge à l’Homme : aujourd’hui, j’ai vu ton ex…
L’Homme : Pas vrai ! … Comment ça ?
Etc.