Rumination, la suite

Depuis deux jours, je ne pense qu’à ça.
Je me remémore des tas de détails qui s’éclairent brusquement, comme ces repas avec ses élèves auxquels il m’empêchait de l’accompagner sous des prétextes foireux. Je n’en reviens pas d’avoir été aussi aveugle, aussi bêtement confiante. J’aurais pourtant dû reconnaître les situations, les arguments qu’il utilisait pour se débarrasser de Martine à l’époque.
Les deux ou trois premières années de notre histoire, je vivais avec l’impression constante que j’étais sur le point de me prendre un retour de boomerang, d’être victime de la fameuse justice immanente si chère à ma mère. « Bien mal acquis ne profite jamais », « on ne construit pas son bonheur sur le malheur de quelqu’un d’autre », « s’il a trompé sa femme avec moi, qu’est-ce qui l’empêchera de me tromper avec une autre ? », etc. J’étais à peu près sûre que je ne pouvais pas m’en tirer à si bon compte après avoir fait une saloperie pareille. Puis le temps a passé, notre relation s’est consolidée (me semblait-il), et j’ai fini par y croire vraiment. Oui, j’allais rester avec cet homme jusqu’à la fin – et du coup, sans excuser ce que j’avais fait, ça le justifiait en grande partie, puisqu’il était réellement mon Autre.
Arf arf arf.
Alors d’accord, je mérite ce qui m’arrive. Je ne vais même pas contester ce point.
Et puis… Toutes ces années passées à me rengorger de ne jamais m’être fait plaquer ni tromper, à me dire en mon for intérieur que quand même, les autres filles ne savaient pas y faire ou n’étaient pas très malignes… J’ai péché par orgueil, je suis punie dans mon orgueil. Là encore, je m’incline devant la logique des choses.
N’empêche que.
Je ne sais pas ce qui l’emporte de la colère ou du chagrin d’avoir été trahie de la sorte. J’ai passé les quatre dernières années à assumer l’essentiel de nos frais communs pour qu’il ne soit pas obligé de prendre un deuxième boulot et qu’il puisse se consacrer entièrement à l’aïkido. J’ai continué à lui faire des cadeaux jusqu’à la fin, et ça n’a pas eu l’air de le gêner. Il n’a pas beaucoup insisté non plus quand je lui ai dit, dans un élan de magnanimité, qu’il pouvait garder tout ce que j’avais acheté dans la maison. A part ça, il jouait les types désintéressés. Si encore c’était le seul point sur lequel je me sois trompée… Mais non : j’avais absolument tout faux en ce qui le concerne. Je le croyais dépourvu d’ego ; il faisait juste semblant. Je le croyais franc et sans détour ; il m’a manipulée en beauté pendant des mois.
Ce qui m’attriste le plus, c’est que tant que je pensais notre rupture due à l’usure du quotidien ou quelque chose dans le genre, je pouvais me dire que cette histoire avait quand même valu la peine d’être vécue, que je ne regrettais rien, que j’avais fait un bout de chemin avec un type génial et que c’était toujours ça de pris. Maintenant, j’ai l’impression d’avoir perdu sept ans de ma vie avec quelqu’un que je ne connaissais pas, un menteur, un lâche et un faible – trois trucs que je déteste par-dessus tout.
Mais le pire, c’est que c’est à moi que j’en veux. D’avoir dérogé à mes propres règles morales pour un connard pareil. D’avoir laissé mes hormones me convaincre que nous étions parfaitement complémentaires. D’avoir accepté qu’il m’impose ses règles. De ne pas m’être révoltée quand à chacun de nos désaccords, il nous faisait passer, lui pour un martyr bien brave de me supporter et moi pour une harpie invivable. De l’avoir laissé piétiner l’estime de moi que j’avais tant peiné pour acquérir. De m’être persuadée que j’étais indigne de son amour. Et surtout – d’en être encore persuadée quelque part au fond de moi, même aujourd’hui, même en sachant ce que je sais désormais. Oui, je mérite ce qui m’arrive. Pas parce que j’ai jeté mon dévolu sur un homme marié, mais parce que j’ai été trop nulle pour le retenir.

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3 réflexions sur “Rumination, la suite”

  1. vi. il a même encore l’adresse sur « son » ordi je pense. mais il ne passe jamais. ce que je pense, ça ne l’intéressait déjà pas quand on était ensemble, alors maintenant…

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