[PARIS] L’inauguration cuilléricide

Jeudi midi. Après un voyage en Eurostar sans autre incident que 8 mn de retard à l’arrivée (au Japon, le personnel ferroviaire se suiciderait en masse; en France, le chef de bord ne le mentionne même pas dans ses annonces et s’en excuse encore moins), je rejoins Isa à l’hôtel du Cygne, juste à côté de la station de métro Etienne Marcel. Je suis un peu déçue par ma chambre, toute petite et meublée de bric et de broc. Pour le prix, j’attendais mieux. Mais c’est propre, et le matelas semble convenablement ferme pour mon dos.

Avant même de déjeuner, nous prenons le métro pour nous rendre à la boutique Make My Lemonade, où Isa veut essayer différentes choses et où je pense me laisser tenter par une jupe Paula. Nous passons un très long moment dans les cabines, où nous échangeons nos avis et commentaires avec plusieurs autres clientes. Un chouette épisode de sororité et de bonne humeur. Isa repart avec un pantalon vert plein de peps, et moi avec… une salopette panthère tout à fait improbable. Je n’ai pas porté de jean ou autre pantalon depuis… au moins 12 ans, et je n’aurais jamais parié que ce vêtement rectangulaire me ferait une silhouette potable. Grâce à la périménopause qui a flingué mon sablier initial, c’est pourtant le cas. Et c’est tellement confortable! (Sauf pour aller aux toilettes, comme je le découvrirai par la suite.)

Nous allons ensuite déjeuner tardivement chez Gros Bao, conseillé par le caissier de Make My Lemonade et situé juste en face. Le service est ultra-rapide, la bouffe très bonne et l’addition ridicule. Je recommande. Puis nous prenons le métro jusqu’à Bercy: j’ai réservé des billets pour le créneau de 15h de l’expo Wes Anderson, qui a commencé voici deux semaines à la Cinémathèque

Même un après-midi de semaine, il y a beaucoup de monde, notamment un groupe de lycéens qui n’ont jamais vu un seul film du réalisateur, plus des flopées de touristes non-francophones. Je suis à la limite supérieure de mon niveau de confort, mais comme les gens sont calmes et circulent de manière fluide, j’arrive à gérer.

L’expo reprend tous les films de Wes Anderson par ordre chronologique et, pour chacun, propose à voir des croquis préparatoires, des accessoires, des costumes, des maquettes, des éléments de décor, des vidéos… C’est très riche, et ça me donner envie de revoir « Fantastic Mr. Fox » (à côté duquel je suis totalement passée à l’époque), mais aussi « Asteroid City » que j’ai abandonné au bout d’un quart d’heure. C’est aussi l’occasion de bassiner Isa pour qu’elle regarde « Moonrise Kingdom », mon préféré avec « Grand Budapest Hotel » – juste devant « The Royal Tenenbaums » et « The Life Aquatic ».

Nous faisons un petit tour à la boutique pour acheter cartes postales et autocollants, puis une halte au café du musée où nous nous désaltérons de chocolats glacés. Il y a environ vingt mètres de queue pour les toilettes des femmes, tandis que celles des hommes sont vides: je m’y faufile sans aucun scrupule. J’arrêterai le jour où on adaptera le nombre de box aux besoins réels des deux sexes.

La 14 nous amène à Pyramides. Nous remontons la rue des Petits Champs en explorant diverses boutiques japonaises, et je craque pour une figurine One Piece dissectible. Puis nous allons goûter au Kintaro Café où nous achetons également des sandos à manger en sortant de l’inauguration du Salon du Livre – l’expérience m’a appris qu’on nourrit très peu les visiteurs malgré l’heure de l’événement…

Nous arrivons devant le Grand Palais un quart d’heure avant l’ouverture des portes, ce qui est une bonne idée puisqu’une immense file d’attente se forme rapidement derrière nous. Je suis un peu stressée car je suis censée récupérer mon invitation à l’entrée, sauf que personne ne m’a dit comment. Au final, une éditrice se dévoue pour me l’apporter dans la queue – encore merci à elle.

Je n’étais encore jamais entrée au Grand Palais. C’est une serre immense, très spectaculaire. En plus de la maison d’édition pour laquelle je suis là, je me rends compte que deux autres de mes clients ont des stands juste à côté. Sur l’un d’eux, je croise la remplaçante de mon éditrice habituelle partie en congé maternité. Nous discutons de ma prochaine traduction à paraître, et je suis un peu dépitée d’apprendre que le tome 1 de cette série, qui avait cartonné sur les réseaux sociaux, s’est vendu seulement à 6000 exemplaires. « La littérature jeunesse est en perte de vitesse depuis 2 ou 3 ans », m’explique mon interlocutrice avec une petite moue désolée. Voilà qui ne m’arrange pas du tout.

A partir de là, la soirée ne tarde pas à virer au cauchemar. Un spectacle débute sans prévenir au centre de l’espace exposition. Il y a des danseurs, mais surtout de la musique très forte et une voix masculine tonitruante qui gueule par-dessus. Mes bouchons d’oreille enfoncés à fond ne suffisent pas à bloquer cet épouvantable assaut sonore. J’erre entre les stands comme une âme en peine avec l’envie de me rouler en boule dans un coin pour mourir. Le temps que ça se termine enfin, je n’ai plus une goutte d’énergie physique, mentale ou sociale. Et la soirée ne fait que commencer.

Comme d’habitude, il y a beaucoup à boire et rien à manger – un choix discutable aussi bien financièrement que métaboliquement. Pour tenter de me détendre, je bois deux verres de vin, ce qui ne m’est pas arrivé depuis des années. C’est bien entendu une erreur.

A partir de là, les chocs s’enchaînent. C’est d’abord cette amie d’amie archi-sympa dont le mari m’a filé un appréciable coup de pouce il y a quelques années, et que je confonds avec quelqu’un d’autre – elle le prend à la rigolade, mais je suis mortifiée. Puis cette collègue émérite qui se vante joyeusement d’utiliser l’IA quand elle ne comprend pas quelque chose dans un texte. Puis cette éditrice par ailleurs adorable et intéressante qui m’explique que la maison pour laquelle elle bosse s’est mise à faire de la dark romance parce que « c’est ce que les lecteurs veulent et que si on ne le fait pas, quelqu’un d’autre s’en chargera ». Puis cette personne avec qui je tente d’engager la conversation trois fois et qui me renvoie systématiquement vers quelqu’un d’autre, alors que j’avais une excellente raison d’estimer mériter deux minutes de son temps.

Ca faisait très longtemps que je ne m’étais pas sentie aussi dégoûtée dans le cadre professionnel. Je pense que pour trouver un moment de dépit pareil, il faut remonter jusqu’au millénaire dernier, et à la fois où je me suis embêtée à pitcher une collection de chick-lit (genre qui à l’époque commençait juste à décoller dans les pays anglo-saxons) et que le client l’a lancée en la confiant à quelqu’un d’autre. Ca plus la surcharge sensorielle… Je suis vraiment très mal. Le retour à l’hôtel en métro, à plus de 22h30, est une vraie torture. Seule la présence d’Isa m’empêche de faire un énorme meltdown. Je hais le monde, je hais les gens, je veux rentrer chez moi.

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