
Comme beaucoup de femmes sûrement, j’envisageais le passage à la cinquantaine avec un effroi mal contenu. Périménopause, invisibilisation sociale, début de la grande descente vers la fin… On ne peut pas dire que cet âge ait bonne presse.
Pourtant, je ne me suis jamais sentie aussi bien que depuis quatre ans.
Ma vingtaine et ma trentaine ont été plutôt mouvementées, pleines de hauts très hauts, de bas très bas et de chamboulement épuisants. Un burnout trois ans seulement après la fin de mes études (même si on n’utilisait pas ce terme à l’époque). Une reconversion à l’arrache. Des déménagements dont j’ai perdu le compte – sur cinq villes, trois pays et deux continents. Une IVG. Un mariage, un divorce, un PACS, un dépacsage. Je me suis beaucoup cherchée, parfois très loin et rarement au bon endroit.
Dans ma quarantaine, j’ai commencé à me stabiliser même si ma vie restait un peu compliquée et pas très conventionnelle. Mais je pestais contre mes allers-retours incessants entre Bruxelles et Monpatelin, et chaque crise de couple apocalyptique me laissait sur le carreau. J’ai aussi perdu mon père et mon soul cat, ce dont je ne me suis jamais vraiment remise.
Ma cinquantaine a commencé avec un diagnostic d’autisme plus que tardif, qui a éclairé et simplifié beaucoup de choses dans ma vie. J’ai appris à tenir compte de mes limites, à gérer mon énergie mentale réduite, à respecter mes troubles sensoriels et à éviter les interactions sociales que je ne sentais pas ou les gens qui ne me faisaient pas de bien.
J’ai la chance de vivre une périménopause relativement peinarde. Je suis fatiguée en permanence, mais du coup, je n’ai jamais aussi bien dormi de ma vie – avantage non-négligeable pour quelqu’une qui a dû gober des somnifères pendant des années. J’ai pris du poids et notamment du ventre, ce qui n’est ni agréable ni bon pour mon hypertension. J’ai parfois des bouffées de chaleur, un peu de brouillard mental mais… rien de tout ça n’est affreux. Je ne pourris pas mon existence et celle de mon entourage avec des sautes d’humeur dramatiques (« Oui, enfin, pas plus qu’avant, quoi », dirait sans doute mon amoureux). Je ne déplore ni suées nocturnes, ni insomnies, ni dépression atroce. Ca va, même si j’attends avec impatience l’arrêt définitif de mes règles.
Quant à la fameuse invisibilisation sociale… Je l’accueille à bras ouverts. Je suis ravie de sentir désormais les regards masculins glisser sur moi comme si je n’étais pas là, et ne plus me faire emmerder dans la rue que très rarement. Et je note que les femmes comme les hommes me respectent davantage depuis que je fais « dame d’âge mûr ». La plupart de mes interlocuteur.ices (professionnel.les ou non) sont désormais plus jeunes que moi, ce qui me place d’emblée dans la position de la personne expérimentée qu’il est normal d’écouter. Souvent, je m’entends dire ou penser « De mon temps », ou « Les jeunes de maintenant », ou « C’est quoi cette musique de sauvages? », mais ça me fait sourire plus qu’autre chose.
Du point de vue de mon apparence, je ne fais rien pour dissimuler mon âge, bien au contraire. J’avais déjà cessé de me maquiller et de porter des talons hauts depuis fort longtemps; en début de cinquantaine, j’ai également cessé de m’épiler (sauf 3 ou 4 fois par an) et de me teindre les cheveux. Au début, c’était moitié par flemme et moitié par militantisme. Puis j’ai récupéré ma texture naturelle légèrement bouclée. Et j’ai constaté que même s’ils popaient moins sur les photos que mon ancien roux, les cheveux gris renforçaient le côté sorcière grincheuse que je cultive avec jubilation. Je finirai Mémé Ciredutemps dans le corps de Nounou Ogg. On ne peut pas tout avoir.
Ma carrière ne s’est jamais aussi bien portée. J’ai depuis quelques années un planning bourré à craquer qui apaise ma crainte de finir sous un pont et me permet de refuser les projets les moins attrayants à mon goût. J’ai même pu cesser de collaborer avec deux éditeurs différents – le premier pour des raisons éthiques, le second à cause du mépris avec lequel il traitait ses traducteurs. Accessoirement, c’était aussi les deux clients qui me payaient le moins bien. Et ça n’empêche pas mon réseau professionnel de continuer à s’étendre dans des directions qui me réjouissent. Bien sûr, le spectre de l’AI plane sur mon métier, mais je ne désespère pas de réussir à prendre ma retraite avant que nous n’en soyons réduits à réécrire des premiers jets pondus par ChatGPT.
Entériné par le mariage le plus minimaliste du monde il y a deux ans et demi, mon couple va plutôt pas mal aussi. Deux diagnostics de neurodivergence nous ont permis de trouver des clés pour mieux respecter le fonctionnement et les besoins de l’autre. Je ne dis pas qu’on n’aura plus jamais de crise, mais on est mieux équipés pour les prévenir et les gérer le cas échéant. Quant au fait de vivre à cheval entre Bruxelles et Monpatelin – ce qui devait n’être que temporaire à la base, mais qui se prolonge depuis bientôt 20 ans… -, j’ai fini par en prendre mon parti. Oui, c’est contraignant et plutôt ruineux. Mais ça me permet de profiter d’un côté de mon amoureux et de la vie culturelle très riche à Bruxelles, et de l’autre, de ma solitude chérie et du beau temps dans le Sud de la France. A quoi sert l’argent sinon à s’acheter la liberté de vivre sa meilleure vie?
Je ne vais pas prétendre que tout est rose. Je n’adore ni ma nouvelle silhouette, ni l’affaissement de mon visage qui me fait ressembler de plus en plus à ma mère. Je n’adore pas non plus me priver de fromage à cause de mon hypertension, ou me rationner en féculents pour ne pas prendre davantage de poids. Je n’adore pas risquer la fuite urinaire au moindre éternuement, et devoir désormais accorder plus d’importance à la qualité de la literie qu’à la déco d’une chambre d’hôtel. Pourtant, je n’échangerais pas l’énergie bondissante et la taille 38 de mes 25 ans contre la connaissance et l’acceptation de moi-même laborieusement atteintes depuis lors.
Je suis désormais plus vieille que mon amie B. ne l’a jamais été. Encore quelques années et je serai plus vieille que mon père ne l’a jamais été. Cette pensée me rend mélancolique, mais surtout sereine. Il me semble que j’ai déjà vécu une vie complète, et plutôt bien remplie avec ça. Si elle devait s’arrêter demain, je ne me sentirais pas volée. Tout ce qui s’étend encore devant moi, c’est du bonus.
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