Je n’ai jamais eu beaucoup d’amis. Dotée d’un caractère un peu, euh, particulier, j’ai toujours eu du mal à trouver des gens avec qui j’accroche et réciproquement. Cette difficulté n’a fait que s’accentuer avec l’âge, et le combo pandémie-diagnostic d’autisme a porté le coup de grâce à ma vie sociale. D’abord par nécessité sanitaire, puis par conviction que ça n’était pas mon truc et enfin par pure flemme, j’ai cessé de faire le moindre effort pour voir qui que ce soit.
J’échangeais sporadiquement sur les réseaux sociaux, mais fuyais les échanges IRL bouffeurs de cuillères et générateurs de malaise. J’ai sorti de ma vie quelques personnes que je ne supportais plus; je me suis fait sortir de la vie de quelques autres qui ne me supportaient plus. En fin d’année dernière, j’ai réalisé qu’hormis pour Chouchou, je ne fréquentais plus guère que ma Ministre de Tout, au rythme approximatif d’un déjeuner tous les deux mois. Je me suis dit que c’était quand même très peu.
Pendant la longue période où le bonheur était un de mes intérêts spécifiques et où j’ai lu toutes les études réalisées sur le sujet, j’ai appris que le truc numéro un qui rendait les êtres humains heureux, c’était les relations avec d’autres êtres humains. Ca m’attristait un peu de passer à côté du truc, mais je me disais que ce résultat ne s’appliquait pas forcément aux personnes neuroatypiques. De toute façon, j’ai toujours apprécié ma propre compagnie, et la plupart des activités que j’aime pratiquer (lire, bloguer, faire de l’art journaling…) sont de nature solitaire. Je ne voyais donc pas vraiment de problème à vivre en ermite.
Sauf que j’ai beau avoir un univers intérieur très riche, j’ai quand même fini par y tourner en rond d’un point de vue émotionnel.
Début 2024, alors que je dressais ma liste d’objectifs pour l’année à venir, je me suis dit qu’il fallait que je relance ma vie sociale. Que je me décide à sortir de ma caverne et à proposer des sorties aux gens que j’aime bien mais avec qui je me contentais d’échanger en ligne depuis trop longtemps. Je me suis fixé un minimum mensuel de deux interactions IRL d’au moins une heure, avec deux personnes différentes. J’avais peur de vivre ça comme une obligation auto-imposée, une tâche à cocher sur une To Do List, mais ce n’est pas du tout ce qui s’est passé. Depuis le mois de janvier, je me suis toujours réjouie après coup d’avoir fait l’effort de voir Bidule ou Machine.
Oui, ces échanges continuent à vider mon tiroir à cuillères, que je dois ensuite re-remplir en restant seule dans mon coin pendant plusieurs jours. En même temps, les cuillères, c’est comme la belle argenterie reçue en cadeau de mariage: elles sont faites pour servir, pas pour rester enfermées à jamais dans un buffet qui sent l’encaustique. Le tout, c’est de les investir judicieusement, pour faire des choses agréables avec des gens intéressants. D’accepter que ça va saper mon énergie mentale pour un petit moment ensuite, mais que ça en vaut la peine. Que je peux très bien ne pas avoir besoin des autres mais prendre quand même du plaisir à leur compagnie occasionnelle.