« Ressac » (Diglee)

Maureen Wingrove alias Diglee est surtout connue pour ses bédés dont le style graphique rappelle très fort celui de Margaux Motin, ses livres jeunesse et son engagement féministe. Je me souviens qu’il y a quelques années, elle avait bataillé ferme contre un éditeur avec lequel j’ai cessé de travailler récemment, et qui lui demandait avec les arguments fumeux qu’on imagine de « mincir » pour son illustration de couverture une héroïne de roman explicitement grosse. Un affrontement qui lui avait valu tout mon respect. 

« Ressac » est le récit autobiographique de la courte retraite que Maureen fit en février 2020 dans une abbaye bretonne. A ce moment-là, son beau-père adoré, qui souffre d’un trouble bipolaire non-traité, vient d’avoir un très grave accident de voiture, et elle-même se pose beaucoup de questions sur son couple. Face à la mer, elle fait le point pendant 5 jours dont elle émerge transformée. 

Si le sujet m’intéressait beaucoup, j’ai d’abord été agacée par les croyances irrationnelles qui pullulent dans la première partie du livre. L’autrice se réfère très souvent aux tarots ou à l’astrologie, et voit des signes de l’univers dans des choses que je qualifierais à peine de vagues coïncidences. J’ai eu du mal à surmonter l’aversion presque physique que m’inspire cette vision du monde, cette volonté de créer un ordre et de trouver du sens là où il n’y en a pas. J’ai même failli en abandonner ma lecture. Mais l’écriture était si belle qu’au final, j’ai tout dévoré d’une traite. 

Il est beaucoup question de la maladie mentale qui, depuis deux ans à ce moment-là, transforme son beau-père si doux et si gentil en un inconnu effrayant. A travers ses souvenirs d’adolescence, Maureen dépeint son impuissance et sa peine avec une sincérité qui m’a serré le coeur. Elle évoque aussi le besoin d’avoir « une chambre à soi » qui l’a poussée à travailler presque jusqu’au burn out, son non-désir d’enfant découvert et admis depuis peu, son amour platonique pour une femme qu’elle décrit comme sa muse, et même l’étonnant plaisir qu’elle se donne chaque soir dans son petit lit monacal. Et puis, elle décrit ses rencontres avec d’autres pensionnaires de l’abbaye, nonnes ou voyageuses de passage, la facilité avec laquelle elles se révèlent les unes aux autres et la façon dont l’histoire de ces femmes résonne en elle. 

Les 180 pages de « Ressac » sont un bouleversant concentré d’intimité et d’émotions. Petit mais puissant, ce livre file rejoindre la bibliothèque où je ne conserve plus que les ouvrages qui m’ont marquée pour une raison ou une autre. Si vous êtes amateur.ice de tranches de vie contemplatives, je vous le recommande chaleureusement. 

4 réflexions sur “« Ressac » (Diglee)”

  1. Merci pour ce retour.
    Je suis diglee depuis longtemps (époque des bd blog) j'ai aussi lu les livres jeunesses qu'elle a écrit, mais j'avais des doutes quant à ce livre.
    Alors merci pour ce retour éclairant.

  2. Je viens de passer commande
    Curieux hasard, je pars dans une semaine, seule, cinq jours dans un hôtel face à la mer. Un peu pour faire le point, un peu pour me recentrer. Je le lirai à mon retour.
    Merci encore pour tes partages ,ce sont souvent de belles découvertes 🙂

  3. Diglee s'était aussi fait connaître en épluchant les programmes du bac successifs où ne figuraient pas une seule femme malgré les années qui passaient (à part peut-être Madame de la Fayette toute esseulée ?). A partir de là, elle a commencé à dessiner de très longues notes de blog assez introspectives qui faisaient bien mouche. Comme vous, je ne la suis pas du tout dans le tarot et l'astrologie, mais son univers m'émeut et j'ai très hâte de voir le recueil de poétesses choisies et illustrées par elle (je crois que c'est pour l'automne). Tous ses derniers Inktobers à la plume étaient assez fabuleux.

    Et… Serait-il possible de savoir quels autres livres peuplent la fameuse étagère des livres qui vous ont marquée ?

  4. @Pimprenelle: Il ne s'agit pas d'une étagère mais d'une bibliothèque. Qui occupe une pièce entière de mon appartement. Du coup ce serait un peu long de tout lister 😀

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