Depuis des années, l’association Plateforme Citoyenne (également connue sur les réseaux sociaux sous le nom de Bxl Refugees) effectue un travail remarquable dans l’accueil des réfugiés – une cause à laquelle je suis très sensible. Et depuis des années, j’ai envie de faire du bénévolat chez eux sans réussir à me lancer. Les rapports humains, c’est vraiment pas mon fort, et le travail de groupe non plus. Alors, après avoir envisagé de donner des cours de français et renoncé presque aussi vite, je me suis contentée de faire des dons matériels: des petites courses pour les collectes qu’ils organisent chaque mois à la sortie des supermarchés Delhaize, deux sacs à dos qui dormaient inutilisés au fond d’un placard, notre ancienne machine à laver, quelques meubles dont on n’avait plus besoin… Mais il me restait la frustration de ne pas m’impliquer plus personnellement.
Et puis en milieu de semaine dernière, un appel a été lancé sur la page Facebook de l’association: ils avaient besoin de bénévoles le vendredi pour préparer les commandes alimentaires des différents lieux d’hébergement. Je me suis dit: « Déplacer des boîtes de haricots et des flacons de liquide vaisselle, ça quand même, ça doit être dans tes cordes! ». Oui mais ça allait être dans un endroit que je ne connaissais pas, avec des gens que je ne connaîtrais pas non plus… Jusqu’au dernier moment, j’ai hésité. Mais je suis dans une très bonne période en ce moment, une phase où je me sens mentalement assez solide pour prendre quelques risques et sortir de ma zone de confort. Alors la veille, j’ai bien préparé mon déplacement. En bus ou en tram, c’était compliqué; en revanche, il y avait un train qui passait gare du Luxembourg, pas loin de chez moi, et me laissait 7 minutes plus tard à 500 mètres du dépôt de la plateforme. J’ai acheté un billet aller-retour en ligne et je l’ai mis sur mon mini-iPad, puis j’ai fait une capture d’écran du trajet à pied tel que montré par Google Maps.
Le vendredi après-midi, je pars avec une boule au ventre mais je pars quand même, après avoir promis à Chouchou de l’appeler si ça ne va pas. Peu de temps après, je débarque dans un immense sous-sol agréablement frais et fais la connaissance de l’équipe du jour. Une dizaine de personnes; que des femmes, à vue de nez toutes assez jeunes pour être mes filles. Parmi elles, deux employées permanentes, une moitié de bénévoles récidivistes et quelques noobs comme moi. On nous explique rapidement en quoi consiste notre boulot. La plateforme dispose à Bruxelles de plusieurs hébergements pour accueillir les réfugiés. Le plus gros d’entre eux, réservé aux femmes, s’appelle la Sister House. Les autres maisons portent le nom de Bridge, Chic, Tamam et Purple. Tous les quinze jours, elles passent commande des produits alimentaires, d’hygiène et d’entretien dont elles ont besoin pour leurs pensionnaires. Ces commandes arrivent au dépôt, où sont stockés les dons en nature effectués par des particuliers lors des collectes chez Delhaize et réceptionnés les produits frais payés avec les dons financiers sur le compte de l’association. Voir les rayonnages qui débordent et savoir que cette organisation tourne depuis des années fait chaud au coeur. Dans l’horreur toujours renouvelée de l’actualité, on oublie facilement qu’il existe aussi beaucoup de générosité en ce monde.
Les arrivages de produits frais ont déjà été déchargés par l’équipe du matin. Maintenant, il faut remplir les chariots à destination de chaque maison. Les deux employées distribuent les commandes aux bénévoles. Je me retrouve en binôme avec une jeune femme qui vient pour la seconde fois. Elle me fait un tour du propriétaire rapide pour me montrer où sont les choses. Puis chacune de nous prend un panier à roulettes et commence à le remplir en se fiant à la liste. Ce n’est pas aussi simple que faire les courses pour chez soi. D’abord, l’éclairage est chiche; j’ai du mal à déchiffrer la commande et à voir le contenu des cartons. Ensuite, les quantités indiquées ne correspondent pas toujours à ce qui est en stock. Si on me demande 24 flacons de 300 ml de gel douche et que la plupart des flacons en stock font 250, 400 ou 500 ml, l’important est-il d’arriver à la quantité totale qui correspond à une consommation globale pour la période, ou de respecter le nombre de flacons parce que chaque pensionnaire doit avoir le sien? Si on me demande 6 x 500g de spaghetti et que je ne trouve pas 6 paquets de la même marque, est-ce que c’est embêtant à cause des temps de cuisson, ou est-ce que les paquets seront préparés pour des repas différents de sorte que ça n’a aucune importance?
Chaque fois que nos paniers sont pleins, nous allons les décharger sur le chariot au nom de « notre » maison. Il faut jouer au puzzle pour tout caser sans écraser les produits les plus fragiles, ni créer d’équilibre douteux susceptible de provoquer une chute pendant le déplacement. Après avoir fini le non-périssable, nous passons au frais. Peser le gingembre pour mettre la quantité exacte à dix grammes près, se demander pourquoi il reste 11 kilos d’oignons à la fin alors que les commandes correspondent toujours pile à la demande des maisons… Quand nous avons tout coché sur les listes, chacune prend un carton et va piocher dans le stock des friandises non-essentielles – chocolat, biscuits salés ou sucrés, compotes ou fruits au sirop – mais qui feront plaisir aux pensionnaires. Enfin, nous rangeons sur les étagères les produits non-périssables qui restent en prenant garde à faire passer devant ou sur le dessus les produits de même catégorie plus vieux et qu’il faudra donc consommer en premier. (Coucou les souvenirs des années où je bossais en grande surface!) Je trimballe beaucoup, beaucoup de packs de lait et d’huile d’arachide en me disant que ce sera un miracle si je ne me fais pas un lumbago.
Nous avons bien travaillé: notre shift devait durer jusqu’à 17h30, et nous avons tout fini peu après 16h. Cela nous laisse le temps d’amener les chariots pleins à l’étage du parking où d’autres bénévoles viendront les chercher un peu plus tard pour les conduire aux différentes maisons. Enfin, les deux employées prennent le nom et les coordonnées de toutes les nouvelles bénévoles qui souhaitent être informées des prochaines actions. J’ai le dos en compote, de la crasse incrustée sous les ongles, et mes fringues propres de ce matin sont bonnes à passer à la machine. Mais j’ai surmonté ma phobie sociale, donné de mon temps pour une cause utile et fait plus d’exercice en une demi-journée que depuis le début du premier confinement. Je pense que je reviendrai.
Merci pour ce compte-rendu et bravo à toi !
Mais alors, finalement, comment as-tu fait pour les shampooings et les spaghettis ? 🙂
Ah j'ai la même question 😀
Bravo !!!