Spirale #2

 

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Depuis des années, j’avais follement envie de m’essayer à la céramique sans trouver de formule qui me convienne. Les cours du soir à l’année, ce n’est pas tellement possible quand on vit à cheval sur deux pays. Mais récemment, à la faveur d’un concours sur Instagram, j’ai découvert l’existence d’un studio bruxellois qui proposait des ateliers soit en soirée, soit par demi-journée, soit sur deux jours. Je me suis inscrite pour le premier week-end en couinant d’excitation. 

Même en semaine, je n’ai pas l’habitude de me lever avant 7h, surtout après une nuit aussi courte que mauvaise. Mais ce matin, je suis assez motivée pour me préparer sans rouspéter et aller, emmitouflée d’un manteau et d’une écharpe, attendre mon bus sous la pluie dans l’avenue déserte. Problème: l’itinéraire que j’ai repéré n’est pas le bon, ce qui me perturbe d’entrée de jeu. Puis le tram avec lequel je dois faire la seconde partie du trajet est en retard, et je stresse à l’idée d’arriver après le début du cours. Surtout que lorsque je débarque dans un quartier totalement inconnu, je n’y vois rien à cause de la buée sur mes lunettes. Mais par miracle, j’arrive pile à l’heure, et je ne suis même pas la dernière du groupe. A partir de maintenant, tout va bien se passer. 

…Ou pas. Là où les autres semblent piger tout de suite les explications et produisent rapidement quelque chose de potable, j’en suis encore à essayer de centrer ma 4ème boule d’argile après avoir ruiné les trois premières. Trop d’eau, pas assez d’eau, je n’ai pas retenu tout ce qu’a montré l’instructeur, sa collègue utilise des gestes un peu différents, je ne comprends pas ce que je dois faire, je m’énerve toute seule dans mon coin et sens les larmes monter, l’instructrice m’assure que je me débrouille bien, je lui en veux de mentir pour me calmer, j’ai juste envie de tout fracasser et honte de me mettre dans un état pareil pour un truc censé être relaxant, craquer devant tous ces gens quelle humiliation, je n’y vois plus clair je ne réfléchis plus droit, bon sang mais qu’est-ce qui ne va pas chez moi. 

Secouée de gros sanglots, je m’enfuis. 

(Ce n’est pas la première fois.)

Les activités de groupe ne me valent pas grand-chose – déjà entre amis, a fortiori avec des inconnus. Quand je me suis déplacée parce que les autres participantes s’était mises au fond de la salle et moi sur le devant, et que ça laissait des trous aux mauvais endroits, je me suis sentie tenue d’expliquer: « J’aime bien quand tout est symétrique ». Un grand silence a accueilli ma déclaration, et j’ai su que je venais déjà de me trahir. Le vernis qui sépare le moi socialement acceptable du moi bizarre planqué juste en-dessous est si mince qu’il ne résiste pas à une proximité prolongée. Les bons jours, j’arrive à jouer le rôle d’une personne normale pendant quelques heures – et puis après, il me faut une semaine pour m’en remettre. Les mauvais jours… Je rentre chez moi au bout d’une heure en pleurant de la fatigue, du découragement et de la frustration d’être moi. De partir en vrille à la moindre déviation du scénario que j’ai dans la tête. De gérer si mal l’imprévu et l’absence ou la perte de contrôle. D’être incapable de faire les choses juste pour le plaisir, d’avoir absolument besoin d’un résultat concret et satisfaisant à la fin. De me moquer du regard des autres mais de ne pas supporter de faillir à mes propres yeux. De voir venir la spirale qui va m’aspirer et de ne rien savoir faire pour lui échapper. 

5 réflexions sur “Spirale #2”

  1. Il n'y a pas de mauvais élève, que des mauvaises techniques d'enseignements.
    J'ai réalisé ça il n'y a pas longtemps en écoutant une vidéo qui parlait du système mental mis en place par les complotistes. Un monsieur expliquait que pour lui il n'existait pas de gens stupides ou incapables. Pour lui, et je suis tout à fait d'accord avec lui, c'est la manière dont l'explication est faite, la patience, la connaissance de la personne qui explique et surtout la capacité à changer si celui qui écoute ne comprends pas.

    Je sais par exemple, me concernant, que si je me trouve nulle pour un truc, je vais privilégier un cours privé parce que je me sentirai plus à l'aise de ne pas être mise en compétition. Je sais aussi, quand ça m'arrive, que j'ai besoin qu'on valide chacun de mes gestes et là encore, ce n'est pas possible en groupe. Ça ne fait pas de moi quelqu'un qui n'y arrivera pas ou qui n'est pas fait pour ça.

    Je te trouve très courageuse d'y être allée comme ça en te forçant à sortir de ta zone de confort. Et je suis bien désolée de lire que cette expérience a été pour toi éprouvante. Parfois on a des attentes tellement grandes qu'on en oublie d'être bienveillant avec soit même et qu'on est déçu.

    Je t’envoie des gros câlins.

  2. Soutien +++. Le faisceau d'émotions que tu décris me parle très fort. Certains jours, le verrou entre le moi social et le moi intérieur est plus mince que d'autre et c'est extrêmement épuisant de se mettre une telle pression de réussite et d'accomplissement. Pour moi la prise de conscience du fait que je suis HP a permis de mieux me comprendre et de donner un cadre de compréhension à mes émotions.

  3. Je me suis inscrite dans un club de gym très cher très chic (je croyais que cela allait me pousser au c… de douiller une fortune). J'ai suivi 1 cours de danse classique, un cours de jazz et un cours d'aquagym. Les deux cours de danse, j'ai versé de lourdes larmes silencieuses toute l'heure et foutu une ambiance de merde parce que tout le monde avait remarqué ma peine et personne n'osait me demander pourquoi puisque c'était une évidence: alors que j'ai 12 ans de danse classique dans les jambes, je n'arrivais à faire aucun mouvement correctement au contraire de toutes les mamies qui m'entouraient. Le cours d'aquagym, j'ai retenu ma nausée pendant une heure…patauger dans la même eau que des inconnues m'était insoutenable. J'ai attendu le premier délai pour résigner mon abonnement et me suis (plus ou moins) convaincue que les 900 € que cela m'avait coûté étaient le prix à payer pour mon ignoble personnalité.

  4. Ma spirale salut ta spirale, je ne suis pas d'une grande aide, mais savoir que je ne suis pas la seule à avoir ces tempêtes de sentiments ingérables et non explicables rationnellement aux personnes alentour ça me réconforte
    <3 sur toi (mais de loin avec les précautions d'usage)

  5. Bonjour,
    Je trouve déjà un grand pas de tenter.
    Jai beaucoup de mal avec l'échec et ce qui fait que je tente rarement les choses. Une fois jai du faire du chant et j'ai une tres mauvaise oreille je me suis effondrée quand tout le monde arrivé a reproduire la note du piano et pas moi. Quelle frustration! Surtout quabd on a était bonne élevé qui percute vite.
    Et il y a des jours le regard des autres sen va et ca va mieux
    Mais je crois que je peux comprendre ce petit monde qui s'écroule tout dun coup pour une broutille.
    Cest pas clair quand j'écris en ce moment…désolée :/

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