J’émerge d’une période assez difficile.
Pendant un peu plus d’un an, mon cerveau a oscillé entre « A quoi ça sert de continuer? » les bons jours, et « Tu ferais mieux de chercher la solution la plus rapide et indolore pour en finir » les mauvais. J’ai eu beaucoup de mal à ignorer ses injonctions.
En cause, mes premières périodes de chômage technique, qui se sont multipliées en s’allongeant à chaque fois. La crainte grandissante de ne plus pouvoir vivre du métier que j’adore. La terreur pure à l’idée de devoir prendre un emploi « normal », avec des gens autour de moi toute la journée et un lieu de travail fixe qui foutrait ma vie en l’air.
A côté de ça, une actualité de plus en plus anxiogène. L’accélération visible du réchauffement climatique, les mises en garde affolées de la communauté scientifique. La certitude grandissante que nous allons vers un bouleversement total de notre mode d’existence et sans doute une extinction de masse, pas d’ici la fin du siècle comme initialement prévu mais peut-être bien de mon vivant. La rage de voir que les gens en position de pouvoir ne veulent rien faire, parce qu’ils sont assez âgés et assez riches pour penser que les pires effets ne les concerneront pas.
Bref, une impuissance de plus en plus grande face à des changements tant personnels que généraux qui me terrifient.
Je suis née au début des années 70 dans une famille de Français moyens. La vision de l’avenir qui m’a été présentée par mes parents fonctionnaires et le reste de mon entourage, c’était: « Travaille bien à l’école et tu auras un emploi correctement payé que tu garderas jusqu’à la retraite. Si tu ne fais pas de bêtises avec ton argent, ta situation matérielle ne fera que s’améliorer au fil du temps. Et en ayant un mode de vie raisonnablement sain, tu pourras vivre sans gros souci jusqu’à 80 ans. »
*insérer grand éclat de rire jaune fluo*
Ce qui était vrai pour la génération des Baby Boomers ne le sera pas pour la mienne. Les trois quarts des gens que je fréquente connaissent, ont connu ou connaîtront des galères professionnelles. Ont dû ou devront se reconvertir une voire plusieurs fois au cours de leur carrière – et pas pour le plaisir. Voient leurs charges sociales augmenter et les prestations qu’ils reçoivent en échange diminuer chaque année. Doivent accepter des conditions de travail ou de rémunération impensables à la fin du siècle dernier. Et n’ont aucun espoir que la tendance finisse par s’inverser.
Une personne plus optimiste me répondrait sans doute que tout n’est pas si noir, que certaines choses s’améliorent, que la recherche progresse, qu’une partie des lois évolue dans le bon sens, que de nombreuses volontés oeuvrent à trouver des solutions. Ce qui est sans doute vrai. Je ne prétends pas présenter une vision juste du monde – seulement ma vision à moi.
J’ai un mal de chien à accepter que la route qui s’étend désormais devant moi dévie à ce point de celle que j’avais imaginée et tenais pour acquise. La dissonance cognitive est si grande! Je visualisais une trajectoire doucement ascendante, avec de légers cahots mais pas de grosses embardées si je me débrouillais bien, et au lieu de ça: la chute libre. La perspective que chaque jour soit, dans le meilleur des cas, un peu pire que le précédent. Dans le pire: un gouffre dont je n’aurai ni la force ni la volonté de ressortir.
J’ai parfaitement conscience d’être dans une situation très enviable par rapport à beaucoup de gens. J’appartiens à la classe moyenne d’un pays occidental où le niveau de vie reste élevé et le climat vivable pour le moment. J’ai du travail, même s’il devient sporadique. Un conjoint sur qui je peux compter pour m’épauler, aussi bien matériellement que moralement. Une famille, si réduite et géographiquement éloignée soit-elle. Un appartement payé et quelques économies. Une santé globalement bonne, malgré un cerveau dont la mission autoproclamée semble être de me tuer. Du coup, je ne me contente pas d’angoisser: je culpabilise et j’ai honte de le faire. Ca me paraît indécent quand tant de gens moins privilégiés souffrent davantage et ne capitulent pas pour autant. Hélas, ma honte et ma culpabilité n’ont pas plus d’effet sur mes angoisses que mes arguments rationnels.
Depuis fin juin, j’ai récupéré quatre bouquins à traduire et la perspective que d’autres suivent l’an prochain. Je suis partie en vacances quelques jours, et changer de cadre m’a permis de changer aussi de perspective. Pour préserver mon équilibre mental restauré à grand-peine, j’essaie de diminuer ma consommation de médias – même si cela aussi s’accompagne d’une certaine culpabilité: je fais l’autruche parce que je peux me le permettre… Je n’ai toujours pas d’espoir que la situation s’améliore, et je tente de l’accepter tant bien que mal. Faire le deuil de mon avenir fantasmé et ne pas perdre de temps à me lamenter sur des choses qu’il n’est pas en mon pouvoir de changer, ou si peu.
Au lieu de ça, je cherche des moyens de gérer la chute libre. De profiter au maximum avant le moment inévitable où je m’écraserai au sol. Je me répète en boucle: « Jusqu’ici, tout va bien ». Je m’efforce plus que jamais de m’ancrer dans le présent. Je ne me projette dans le futur qu’à (très) court terme: j’ai frissonné de joie mais aussi de trouille en commençant à préparer notre road trip écossais du printemps prochain, comme si ça revenait à provoquer un destin en lequel je ne crois pourtant pas. Je ne tiens plus les prochaines décennies pour acquises, ni même les prochaines années. Je m’impose des oeillères afin de ne pas devenir folle, et je concentre mon champ de vision réduit sur les prochains mois, pour les rendre les plus jolis possibles avec les moyens dont je dispose. Il reste beaucoup de choses dont je peux, dont nous pouvons encore jouir à condition de ne pas nous laisser submerger par l’idée qu’elles étaient plus belles hier et le seront moins demain.
Au lieu de ça, je cherche des moyens de gérer la chute libre. De profiter au maximum avant le moment inévitable où je m’écraserai au sol. Je me répète en boucle: « Jusqu’ici, tout va bien ». Je m’efforce plus que jamais de m’ancrer dans le présent. Je ne me projette dans le futur qu’à (très) court terme: j’ai frissonné de joie mais aussi de trouille en commençant à préparer notre road trip écossais du printemps prochain, comme si ça revenait à provoquer un destin en lequel je ne crois pourtant pas. Je ne tiens plus les prochaines décennies pour acquises, ni même les prochaines années. Je m’impose des oeillères afin de ne pas devenir folle, et je concentre mon champ de vision réduit sur les prochains mois, pour les rendre les plus jolis possibles avec les moyens dont je dispose. Il reste beaucoup de choses dont je peux, dont nous pouvons encore jouir à condition de ne pas nous laisser submerger par l’idée qu’elles étaient plus belles hier et le seront moins demain.
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Bonjour Armalite,
Le problème de la dégradation du climat et plus généralement de notre planète me perturbe énormément.cela devient tres culpabilisant. Je cogite sur l'impact du moindre achat, de mes gestes quotidiens. C'est dur d'avaler ces informations anxiogènes surtout quand elles viennent de personnes reconnues comme compétentes. Ça ne sert à rien de répéter ces mauvaises nouvelles comme un mantra mais c'est vrai qu'en s'en coupant trop on risque de tomber dans une forme de déni..personnellement j'essaie d'adopter plus de gestes écologiques et de réfléchir à diminuer un peu mon impact. Je sais que dans l'absolu ça ne changera pas grand chose mais l'action permet de cogiter un peu moins..le plus triste pour moi est d'imaginer le monde que je vais laisser à mes enfants. J'essaye de me dire qu'il faut faire de son mieux pour aller bien, pour protéger un peu, au mieux, les autres, ceux qui n'ont rien demandé, les enfants, les animaux etc… même si on ne maîtrise pas grand chose finalement. Cela reste difficile, on oscille entre les mêmes phases qu'à l'annonce d'une maladie grave : déni, colère etc. Pour l'acceptation, c'est pas gagné.
En tout cas merci pour tes articles. Je les apprécie tant par le contenu que par le style. Les blogs bien écrits et intéressants (enfin à mon humble avis),ne sont pas si nombreux..
@AsaIsa: Merci pour ce commentaire! J'essaie de regarder/lire moins, de news anxiogènes, mais je ne nie pas le problème pour autant. J'ai beaucoup changé mes habitudes de consommation depuis quelques années et je pense que cette évolution se poursuivra de toute manière. Je n'achète plus de cosmétiques, beaucoup moins de vêtements et de chaussures, presque plus de livres papier. Je ne mange de la viande qu'une ou deux fois par semaine et j'essaie d'éviter les emballages plastique. Je prends le train plutôt que l'avion pour mes voyages moyenne distance. Je ne pense pas qu'il y ait besoin d'être dans l'angoisse permanente pour adopter des comportements plus écologiques 🙂
L'époque est terriblement anxiogène et c'est bien difficile de ne pas y penser, je fais un peu comme Isa (?), j'avance de mon côté, avec des petits gestes du style faire sa lessive ou des bee-wrap, en observant les effets (chauve-souris et salamandres sont revenues dans mon jardin !), c'est une façon de se sentir un peu mieux, un peu moins impuissant.
Mais si je peux me permettre, Armalite, il me semble que tu es, comme moi (née en 68), et que tu as goûté aux bouffées de chaleur annonçant une période qui peut être vraiment difficile du point de vue anxiété. Celle-ci est salement augmentée par les variations hormonales, je le vis depuis 3 ans, ça allait avec ses bons et ses mauvais jours, j'étais contente de gérer sans trop de soucis. Mais cet hiver, j'ai complètement plongé dans ce que tu décris dans le premier paragraphe, et j'ai décidé de demander de l'aide pour la première fois de ma vie. Je pensais à un petit coup de pouce hormonal, mais Dr trouve ça trop dangereux, et m'a donné plutôt une petite dose d'anti-dépresseur, ça fait 6 semaines et ça va beaucoup, beaucoup mieux… Je ne cherche plus la meilleure façon de…, et se lever le matin est plus facile.
Désolée de raconter ma vie, mais je ne savais pas, avant de le vivre, à quel point la péri-ménopause est une période difficile à gérer entre anxiété, dépression et l'irritabilité qui fait parfois réagir comme un dragon ! J'ai compris en cherchant comme d'habitude sur le net, c'est un peu tabou, les femmes n'en parlent pas facilement entre elles je trouve. J'aurai aimé qu'on me dise que toutes ces idées noires pouvaient venir de là (je n'ai aucune raison de déprimer, j'ai une vie facile), j'aurai moins culpabilisé, ruminé…et pour peu qu'on soit un brin asperger (ce que je pense être), la phobie sociale s'amplifie un bon coup aussi (exemple :je n'avais jamais expérimenté la crise de panique à l'idée de revoir des gens déjà rencontrés et très gentils, mais quoi leur dire ??? Je n'avais jamais annulé à la dernière minute, je mets un point d'honneur à être fiable !). Même l'hypersensibilité sensorielle (lumière, odeurs et sons pour moi) a été amplifiée et devenait difficilement gérable.
Bref, ta période difficile a peut-être également un lien avec tes variations hormonales et il peut y avoir une solution (pour le sommeil, bien détérioré, je vais m'offrir une couverture lourde à la rentrée, je suis convaincue par ton retour). J'espère que tu trouveras e l'apaisement !
@Gwen35: Il est effectivement possible (voire probable)que la périménopause amplifie mes tendances naturelles. Mais comme je n'ai pas droit aux traitements hormonaux à cause de mon endométriose et qu'il est hors de question que je reprenne des antidépresseurs, je vais serrer les dents en attendant que ça passe… Bon courage à toi!
Etant dans à peu près le même état d'esprit, j'ai du prendre la seule décision atteignable dans mon périmètre d'intervention : prendre du recul. Pour éviter la chute libre. Courage.