Il est des couples dont les partenaires sont très en phase quand ils se rencontrent. Mais au fil du temps, ils évoluent dans des directions différentes, finissant par s’éloigner l’un de l’autre jusqu’à la rupture.
Mon amoureux et moi suivons le chemin inverse. Tout nous séparait lorsque nous avons décidé de faire connaissance « en vrai ». Plus de mille kilomètres à vol d’oiseau entre son domicile et le mien, déjà. Une frontière, fût-elle européenne. Et puis il n’était pas DU TOUT mon genre, ni physiquement, ni au niveau du caractère. J’aimais les grands bruns solides et taiseux; il était chauve, de taille moyenne, avec un coeur de pâquerette et un tempérament ultra démonstratif. Au mieux, j’attendais une brève aventure qui m’aiderait à oublier le Chacal Jaune, alias mon ex.
En octobre, ça fera treize ans que nous sommes ensemble. Des années plutôt agitées qui ont vu chacun de nous surmonter de rudes épreuves: le cancer puis la mort de mon père et son passage mouvementé au statut d’indépendant, pour ne citer que les deux plus évidentes. Des années durant lesquelles nous avons frôlé la rupture au moins une demi-douzaine de fois, généralement à cause de ses colères dévastatrices ou de mon dirigisme rampant.
Après une dispute cataclysmique, alors que nous discutions pour tenter de nous extirper du cratère de l’explosion qui venait d’avoir lieu, il m’a dit froidement: « L’amour, c’est un choix ». Sur le coup, ça m’a choquée. Si j’étais persuadée depuis belle lurette que l’amour seul ne suffit pas pour faire un couple heureux, qu’il faut aussi beaucoup de travail et d’investissement personnel, je partais en revanche du principe qu’à la base de toute relation amoureuse, il y avait un élan irrésistible vers l’autre, une pulsion avec laquelle on ne pouvait pas négocier. Et bien que je ne sois pas romantique pour deux sous, cette idée de choix me semblait pragmatique à pleurer, dans le seul domaine de ma vie où je consens à mettre un peu d’affect.
L’orage est passé comme les précédents. Nous nous sommes accrochés à ce que nous avions construit cahin-caha; nous avons continué à tenter de nous ajuster l’un à l’autre au milieu du champ de bataille de nos angoisses ravageuses. Et l’idée semée ce jour-là a fait son chemin dans ma tête. C’est vrai qu’on aurait pu lâcher l’affaire des tas de fois. On n’est pas mariés; on n’a pas d’enfants; chacun a son domicile dans un pays différent. En fait, à bien des égards, ma vie aurait été beaucoup plus simple sans lui cette dernière décennie. Pourtant, je n’ai pas fui au premier gros écueil. Ni au deuxième, ni au dixième. Je me suis dit: « Oui, ma vie serait plus simple, et elle serait aussi beaucoup moins intéressante ». Il n’y a personne d’autre comme lui, et depuis le début, notre relation nous pousse à nous améliorer tous les deux. Je crois fermement que chacun de nous est une meilleure personne grâce à l’autre.
Et la bonne volonté que nous mettons à combler les gouffres entre nous. A faire chacun la moitié du chemin. A accepter les critiques et à en tirer les conclusions qui s’imposent. A s’efforcer de respecter le fonctionnement incontournable de l’autre – supporter ses défauts au mieux et célébrer ses qualités. Ne pas appuyer là où ça fait mal. Ne pas dire noir en pensant blanc, ou attendre que l’autre devine ce qu’on pense, mais exprimer clairement ce dont on a besoin. Tout cela, oui, mon amoureux a raison: c’est un choix. Un choix pas facile quand mon premier instinct, lorsque je suis blessée, est toujours la fuite. Je veux prendre mes jambes à mon cou pour me protéger, mais je reste, et j’endure la souffrance jusqu’à ce qu’elle passe, parce que je sais que ma patience sera récompensée et que la suite sera meilleure.
Je suis par nature plutôt quelqu’un de solitaire. Les premières années, même si je pestais à cause des dépenses et les complications dues à mes aller-retour mensuels entre Bruxelles et Toulon, j’avoue aussi que je me réjouissais d’avoir un peu de temps rien que pour moi. Ne pas devoir parler ou sourire quand je ne suis pas d’humeur; manger quand ça me chante; dormir sans personne qui ronfle ou qui joue sur écran à côté; n’avoir aucune concession à faire à personne. Sur la fin de notre séparation, mon amoureux commençait à me manquer, et j’étais toujours contente de le retrouver. Je trouvais ça assez idéal comme mode de vie, du taillé sur mesure pour mes besoins.
Et là, depuis un an ou deux, je rechigne chaque fois que je dois rentrer chez moi. Pour tout un tas de raisons pratiques qui ne sont pas le sujet de ce billet, je n’envisage pas de vendre mon appartement et de m’installer à plein temps en Belgique, mais désormais, mon amoureux me manque avant même que je sois partie. Je sais que je vais trouver le temps long dans le sud de la France. Que je succomberai plus facilement à mes angoisses sans lui pour me distraire et m’ancrer dans la réalité. Que je ne serai pas là pour le soutenir s’il a une baisse de forme ou de moral. Et comme la vie se charge de nous rappeler chaque jour combien elle est courte courte courte, je m’en désole d’avance.
Il est des couples dont les partenaires sont très en phase quand ils se rencontrent. Mais au fil du temps, ils évoluent dans des directions différentes, finissant par s’éloigner l’un de l’autre jusqu’à la rupture. Mon amoureux et moi suivons le chemin inverse: nous n’avions rien en commun au départ, et plus nous continuons à nous choisir chaque jour, plus je me sens indéfectiblement liée à lui.
J'aime beaucoup ton texte et cette vision du couple.
Mon amoureux et moi avons des choses en commun mais nous sommes aussi très différents : personnalités et loisirs par exemple. Mais nous avons des valeurs communes fortes, nous nous sommes choisis et nous nous soutenons et nous apportons beaucoup. Il est le seul à pouvoir me faire progresser et évoluer sur pas mal de sujets, tout en abordant les choses avec bienveillance et douceur. Il se connait très bien, connait ses limites, les énonce clairement et est très sincère. Cela facilite la communication et évite les malentendus.
Je ne peux pas présager de notre avenir, mais je chéris ce que nous partageons et construisons ensemble chaque jour et je sais, tout comme tu l'as écrit, que nous nous rendons meilleurs l'un l'autre. Je pense aussi que nous faisons le choix quotidien (pour l'instant assez évident, mais dans l'épreuve c'est parfois pus compliqué) d'être et de cheminer ensemble. Cela confère une solidité et une sérénité que je n'avais jamais connu avant. Je ne suis pas en train de dire que je nous crois infaillibles, je n'ai pas cette présomption. Mais je pense que nous avons envie, l'un comme l'autre, d'être et d'avancer ensemble, au delà des sentiments très forts.
C'est beau. J'espère connaître ça un jour.
Bisous Nad 🙂
Merci pour ce texte qui me parle et qui, je l’espère, parlera à deux personnes qui me sont chères et qui traversent un moment difficile.
C’est un très joli texte. Je m’y retrouve en partie. Mais j’ai encore du chemin. Choisir l’humilité de progresser plutôt que le lance-flammes dans nos disputes par exemple. Ou en tout cas être capable d’en parler avec autant d’humilité après coup, même si j’ai sorti le lance-flammes 😉 Pour l’instant on butte sur des trucs qui sont nos bêtes noires. Globalement on vit bien ensemble, mais l’impression de faire du surplace sur certains aspects relationnels est usante. Et il y aurait tant à dire sur « nos angoisses ravageuses » en couple, quand on s’est assorti entre stressés de la vie 🙂
C'est une très jolie déclaration d'amour.
Perso, ma vision de l'amour a également beaucoup évolué ces dernières années. Je crois que l'amour commence par une attirance physique (parfois inexplicable) mais que sans travail, son remise en question constante, on peut difficilement mener sa barque très loin. Merci pour ton partage.