
Combien d’entre nous, après avoir survécu à une semaine difficile ou résolu un problème épineux, se disent: « J’ai bien mérité une petite récompense » et foncent s’acheter une robe un peu chère, un vernis de marque ou un joli bibelot? Ne levez pas les yeux au ciel: je ne vais pas partir dans une tirade anti-consumériste. Non, ce qui m’interpelle, c’est cet usage très répandu du verbe « mériter » dans un contexte où il n’a pas du tout sa place. J’ai déployé un effort louable, d’accord. Du coup, je veux me faire plaisir pour rééquilibrer mon bilan comptable (la chiantise de la vie dans une colonne, ses agréments dans l’autre) – soit. Mais à partir du moment où j’ai gagné mon argent, j’ai le droit d’en faire ce que je veux, sans justifier de mes dépenses vis-à-vis de moi-même et/ou du reste de la société. A condition d’avoir les moyens de me l’offrir, je suis tout à fait libre de m’accorder cette fameuse petite récompense.
Comme la vérité, la vraie question est ailleurs. Elle ne consiste pas à savoir si je « mérite » telle ou telle chose. Elle consiste à savoir si la dépense envisagée va maximiser le plaisir que je peux me procurer avec mon argent – ou si elle va juste m’apporter une satisfaction ultra-éphémère qui n’en vaut pas la peine. Par exemple, j’ai cessé d’avoir le réflexe robe un peu chère/vernis de marque/joli bibelot après m’être rendu compte que mes placards débordaient de fringues jamais portées, que personne au monde n’a assez de mains pour utiliser trouze mille vernis avant qu’ils ne sèchent dans leur flacon et que des tas de merdouilles prenaient la poussière sur mes étagères sans me rendre plus heureuse. J’avais certainement les moyens et le droit de les acheter, mais était-ce une bonne idée? Non. Pas au regard des bonnes vieilles valeurs judéo-chrétiennes, mais par rapport à ce que j’aurais pu faire de mieux avec mes sous. Depuis toujours, et comme beaucoup d’autres gens, je plaçais sur un terrain moral ce qui n’était qu’une question de gestion intelligente.
Il y a quelques années, à l’époque où mes revenus ont entamé un déclin perceptible et où j’ai commencé à m’intéresser au minimalisme, j’ai identifié mes priorités dans la vie. Elles étaient les suivantes: écrire, passer du temps avec les gens que j’aime, voyager et faire des expériences insolites. La première chose ne coûte rien. La deuxième peut réclamer un certain investissement, surtout s’agissant des gens-que-j’aime-et-qui-sont-loin. La troisième est forcément assez gourmande en ressources vu que, sans avoir des goûts de luxe, je ne suis pas non plus adepte du camping ou du couchsurfing. Donc, une énorme majorité de l’argent qui ne sert pas à couvrir mes frais fixes ou à alimenter mon épargne devrait aller là-dedans. A partir de là, j’ai éliminé les trois quarts de mes achats de fringues, de chaussures et de sacs à main. Maintenant, quand j’éprouve le besoin de me récompenser, je vise plutôt un cocktail entre amies ou une descente dans une librairie (les livres, c’est jamais perdu avec moi).
Cela dit, je ne suis pas encore tout à fait satisfaite. Je trouve notamment que j’ai trop tendance à aller au resto pour un oui ou pour un non – parce que le frigo est vide et que j’ai la flemme de faire les courses, parce que je manque d’inspiration, parce que je n’ai pas mis le nez dehors depuis plusieurs jours et que j’ai besoin de prendre l’air en début de soirée, ce genre de truc. Nous ne fréquentons que des « petits » restos avec une addition raisonnable, mais à raison de deux fois par semaine en moyenne, ça finit tout de même par faire un joli budget. Je ne veux pas éliminer les vrais restos-plaisirs (ils rentrent dans la catégorie « passer du temps avec les gens que j’aime », même quand j’y vais seule puisque je suis définitivement un gens que j’aime). Mais les restos-flemme, les restos « j’aurais-aussi-bien-fait-d’aller-passer-une-heure-au-parc-voisin », j’ai décidé qu’il fallait que ça s’arrête. Puisque je gagne de moins en moins d’argent à chaque année qui passe (et que la tendance ne semble hélas pas partie pour s’inverser), je tiens absolument à faire bon usage de celui qui me reste.
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Mon luxe à moi c'est de me laisser tranquille le jour suivant… Quand j'ai bossé sur un truc jour et nuit, quand j'ai eu des semaines difficiles, je m'offre un lundi ou un vendredi sans ménage, sans contraintes ou je ne pense presque qu'à moi et de total "fareniente".
Par exemple, en ce moment, je prépare un atelier pour 9 personnes, il me prends toute mon énergie et mon espace libre mental et bien, je me réjouis d'être à vendredi prochain pour m'offrir 1 jour de vacances une fois que ce sera derrière moi.
Malgré tout, il m'arrive parfois de culpabiliser, parce que Mr Pops est au boulot par exemple et que moi je suis dans le jardin avec un bouquin. Ou encore parce que je vois la réserve de chaussettes de tout le monde diminuer mais que je préfère discuter sur FB avec mes amis…
Je ne cherche pas à être désagréable, mais "anticonsumériste" n'est pas l'adjectif qui vient spontanément à l'esprit quand on lit ce blog.
Mais alors, on ne pas utiliser le mot "mérite" dans nos petites vies finalement. Je n'aurais jamais de mérite, comme sauver une vie(quoique,on ne sait jamais) et pourtant je me dis que parfois je "mérite" quelque chose ou que j'ai du "mérite" d'avoir traversé une épreuve.
Alors pourquoi pas 😉
Chacun son point de vue et je comprends le tien.
Et j'aime toujours autant te lire même si nos vies sont diamétralement opposées, tu es un régal et ton "Chouchou" a la palme des conversations absurdes mais rafraichissante(en période de festival de Cannes ça tombe bien.
Bisous Nad 🙂
@Ana: Mmmmh non, en effet. Je m'intéresse au minimalisme et j'ai clairement évolué dans mes habitudes au fil du temps – il faut voir d'où je partais… -, mais il est certain que je continue à faire pas mal tourner l'économie. J'essaie de trouver comment consommer moins et mieux (plus éthique, plus satisfaisant…), pas comment ne plus consommer que le strict minimum. Ce serait sans doute une démarche salutaire à bien des niveaux, mais pas une démarche que je me vois entreprendre sans obligation.
@Nad: Je n'ai pas dit que le verbe mériter n'avait pas de raison d'être dans l'absolu. Juste qu'il me semblait qu'il était à côté de la plaque dans cet exemple précis 🙂