Où je règle leur compte aux flocons de neige

Longtemps j’ai été une petite conne. 
Bon, j’avais des excuses. A 8 ans j’étais en CM1; on me faisait passer des tests de QI et en voyant le résultat, on débattait pour savoir si on m’envoyait dans une école spéciale surdoués à Nice ou si on me faisait sauter une troisième classe et rentrer en 6ème l’année d’après. J’avais un physique ingrat, zéro aptitude sociale et pas davantage de dispositions artistiques ou sportives; du coup, tout ma jeunesse, je n’ai été valorisée que pour mon intelligence soi-disant hors normes. Un conditionnement très peu propice au développement d’une saine humilité. 

Mais les excuses chez l’enfant et l’adolescent deviennent au mieux des explications chez l’adulte.  De quelque façon qu’on ait été élevé, quelques antécédents dont on puisse se prévaloir, quelques casseroles qu’on traîne derrière soi, à un moment, il faut savoir porter un regard lucide sur soi-même et sur le monde alentour. De ce côté-là, je n’ai pas été précoce: j’ai attendu d’arriver à la trentaine pour me rendre compte que je n’avais aucune raison de me glorifier d’un truc que j’avais reçu à la naissance sans jamais devoir travailler pour. Je n’avais pas plus de mérite à raisonner vite et mémoriser facilement qu’un top model à exhiber des mensurations de rêve. Et surtout, mes capacités intellectuelles ne me rendaient supérieure à personne, ne me donnaient pas le droit de prendre quiconque de haut. Elles ne valaient certainement pas mieux que les qualités humaines que j’observais chez certaines personnes de mon entourage et dont je manquais moi-même cruellement: la bienveillance, le courage ou la persévérance, par exemple. Des choses que ces gens avaient choisi de cultiver même si ça leur demandait des efforts. Alors que moi, j’étais cette petite conne qui se contentait de faire les choses pour lesquelles elle était douée, celle qui se désintéressait tout de suite de ce qui lui demandait le moindre effort et se moquait plus ou moins gentiment des gens qui réfléchissaient moins vite qu’elle. 
Je ne suis pas devenu quelqu’un de modeste. Aujourd’hui encore, si vous me demandez de vous citer mes dix plus grandes qualités, il me faudra probablement moins d’une minute pour m’exécuter. Mais l’intelligence ne figurera pas dans la liste. L’estime de soi, par contre, viendra en premier. Je suis fière des accomplissements qui ne me sont pas tombés tout cuits dans le bec, fière des traits de caractère positifs qui ne m’étaient pas naturels et que j’ai lutté pour développer, fière de rester toujours honnête et droite et décente même quand il y a un prix à payer. Parce que tout ça, c’est du travail que je m’impose sans y être obligée; même s’il ne change pas la face du monde, j’ai du mérite à le faire et je suis en droit de le revendiquer. La qualité de mes synapses, par contre, je n’y suis pour rien. Je m’en réjouis dans la mesure où elle me facilite souvent la vie, mais désormais je le fais avec gratitude plutôt qu’avec orgueil. 
Non seulement j’ai cessé de me croire spéciale pour de mauvaises raisons, mais je ne supporte plus les gens dont c’est toujours le cas. Il me semble que les travers pour lesquels on a le moins d’indulgence sont souvent ceux qu’on a vaincus soi-même. J’ai arrêté de fumer assez facilement, ce qui tend à me faire lever les yeux au ciel quand quelqu’un se lamente qu’il vient de rechuter pour la Xème fois. De la même façon, les gens qui se prennent pour de précieux flocons de neige m’irritent sans fin – ceux qui se plaignent d’être inadaptés à la société, mais qui s’en plaignent en suintant un sentiment de supériorité huileuse par tous leurs pores. Parce que ce qu’ils pensent vraiment, c’est qu’ils sont trop bien pour le reste de la société, que leur indéniable supériorité sur le vulgum pecus les condamne à planer pour toujours dans les hautes sphères de leur suffisance. Et ça les ennuie un peu, mais pas autant que ça les ennuierait de faire partie de la masse des imbéciles heureux. Je le sais, parce que longtemps j’ai été l’une d’eux, et longtemps j’ai raisonné de la même façon (ce qui, ironiquement, prouve que mes capacités intellectuelles ne sont pas aussi éblouissantes que je voulais le croire alors). 
La vérité que j’ai fini par apprendre, c’est que nous sommes tous uniques et spéciaux, ou qu’aucun de nous ne l’est. Que quels que soient nos dons innés, la richesse ou le statut social de notre famille, on ne naît pas surplombant la foule: on s’élève éventuellement par nos propres efforts. Et que le regard qu’on porte sur les autres en dit au final beaucoup plus long sur nous que sur eux. 

8 réflexions sur “Où je règle leur compte aux flocons de neige”

  1. Intéressante analyse,

    je me permets cependant d'y apporter un point d'éclairage : la connerie ne s'oppose pas à l'intelligence logique (celle que l'on associe plus volontiers au fonctionnement des synapses, bien que finalement, tout ce passe quand même dans le cerveau) mais plutôt à la capacité de conscience critique. Il y a donc des cons intelligents (on en connaît tous malheureusement, certains gouvernent même).

    Cette analyse ne vient pas de moi mais de Charles Hadji et je te renvoie à cet article très intéressant :

    http://www.slate.fr/story/156026/intelligence-artificielle-connerie-humaine

    Il serait de salubrité publique que chacun le lise. Malheureusement les cons risquent probablement de s'abstenir.

    Tout ça pour dire que c'est un véritable tour de force de sortir de sa connerie, car par définition le con ne sait pas qu'il l'est.

    Ce qui me permets de conclure que finalement tu n'étais probablement pas si conne que ça 😉

    Sparke

  2. @Plézou: Ben oui, ce blog n'a jamais eu d'autre vocation… Si ça vous agace – ce que je peux très bien comprendre -, vous savez que rien ne vous oblige à me lire encore, hein? Je précise, parce que moi, au bout de 78000 fois, j'aurais lâché l'affaire depuis longtemps!

  3. J’ai adoré ton article (je l’ai même fait lire autour de moi 😉 )… c’est vrai qu’on ne jure encore que par le traditionnel QI, et meme Si je suis celle qu’il le fait passer, plus j’avance et plus je me dis qu’il est indicateur d’un fonctionnement cognitif, et absolument pas d’une trajectoire de vie réussie, et du bonheur tout simplement. De plus en plus je lis et réfléchis à l’intelligence émotionnelle, j’accorde de plus en plus d’importance à une cohésion entre les deux. Beau travail que tu as fait par toi même, et si rare àfaire comprendre aux gens (meme ceux « dans « la branche »). Merci!

  4. J'espère que dans la liste des 10 qualités, il y a la connaissance de soi, ou la clairvoyance sur soi, je ne sais pas comment l'exprimer au mieux! Je suis admirative.

    Et puis donc, ce/cette Plézou découvre ce qu'est un blog! C'est à saluer ^^

  5. J’ai toujours trouvé que les défauts dont il est le plus difficile de se défaire sont ceux dont on est fière et grisée. Du coup, bravo 🙂

  6. Merci pour cet article ! Je partage ton avis et ne suis fière que de ce que j'arrive à accomplir à force d'efforts et de remises en question.

  7. Je trouve ton article globalement intéressant et je suis plutôt d'accord avec toi sur le fond : notre manière de percevoir et traiter les autres en dit certainement long sur nous-même.

    L'exercice de se trouver dix qualités me paraît pas mal intéressant aussi, c'est typiquement le genre de chose que je devrais faire histoire de travailler mon estime personnelle. Quand à la modestie… Ma foi, les femmes sont quand même bien poussées par la société à l'être, ça me semble chouette de se montrer vocale sur ce qu'on sait faire de temps en temps.

    J'ai un peu plus de mal avec le concept de "snowflakes". Ces dernières années je l'ai vu beaucoup utilisé avec un mépris dégoulinant à propos de certaines personnes, en particulier par des gens de droite et d'extrême-droite, à égalité avec le terme "fragile" (apparemment devenu une insulte). Je me doute bien que tu n'es pas du tout dans cette rhétorique, mais c'est devenu un réflexe : j'ai tendance à grincer des dents dès que je le vois quelque part ! xD

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